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L’Intelligence Artificielle peut-elle aider à protéger les chevaux des mutilations ?
Smart cameras, caméras thermiques, radars, capteurs, drones, IoT, Video Management System, toutes ces technologies peuvent aider à sécuriser en temps réel des champs isolés et protéger les animaux. Mais elles ont un coût qui les rend encore difficilement accessibles aux éleveurs.
La multiplication des cas de chevaux mutilés et tués dans les campagnes françaises suscite l’indignation et la colère. Ces actes, non expliqués à ce jour, sont perpétrés de nuit, dans des champs isolés, difficiles à surveiller par les éleveurs et par les propriétaires de haras. N’empêche. À l’heure où les caméras connectées et l’Internet des Objets (IoT) ouvrent des perspectives nouvelles bien au-delà de la surveillance (analyse de parcours clients dans les magasins, comptage de visiteurs ou de clients, de véhicules pour les Smart Cities, respect des normes sanitaires sur des sites archéologiques, suivi de colis, etc.), la furtivité et l’impunité avec laquelle les auteurs de ces mutilations arrivent à agir peut laisser dubitatif, alors que des technologies « de défense » semblent exister.
Sur le papier, ces technologies pourraient être déployées pour sécuriser presque n’importe quel champ. On sait installer des caméras thermiques, des radars, des détecteurs de mouvements – voire les combiner avec des drones. On sait les connecter, soit en filaire, soit avec des relais, soit via des réseaux mobiles (3G, 4G) pour envoyer des notifications. On sait également embarquer des algorithmes d’analyses vidéo dans ces appareils, ou remonter des informations dans un cloud pour analyser ces flux (en temps réel ou a posteriori).
Ce mélange d’Intelligence Artificielle (IA) et d’IoT est-il néanmoins suffisamment mature pour aider à protéger les chevaux de France et de Navarre ? Un début de réponse se trouve peut-être du côté du Canada.
Cohabiter paisiblement avec les ours polaires
À la frontière de l’Arctique, la petite ville de Churchill, tout au nord de la province du Manitoba, borde la Baie d’Hudson. Le calme de cette bourgade d’à peine 1 000 habitants est néanmoins régulièrement troublé par deux types de visiteurs bien différents.
Plus de 10 000 touristes passent en effet chaque année à Churchill pour voir d’autres visiteurs : les ours polaires. À cause du réchauffement climatique, les ours étendent leurs zones de chasse pour trouver de la nourriture et arrivent de plus en plus régulièrement aux confins de la ville.
Or un ours polaire est certes très joli, mais il est aussi un danger mortel pour l’homme. Les autorités locales ont donc imaginé un système ingénieux de détection pour alerter les habitants (et les touristes) lorsqu’un ours est à proximité.
Jusqu’en 2016 ce sont les agents de protection de la faune qui appelaient un central lorsqu’ils repéraient un ours, pour que d’autres agents viennent le repousser (sans lui faire de mal) ou pour l’immobiliser et le relâcher dans la nature. Mais avec plus de 300 appels sur 2016, une autre piste a dû être explorée dès 2017.
« Quand nous avons analysé la situation de Churchill, nous nous sommes dit qu’une solution avec des caméras et des radars – que nous avions vu à l’œuvre il y a quelques années de l’autre côté du pays – seraient une bonne idée », explique BJ Kirschhoffer, directeur des opérations terrain de Polar Bears International (une association de défense des ours polaires). L’autre projet qu’il évoque est un déploiement où des caméras intelligentes et des capteurs étaient placés autour de pipelines en Alaska.
Le principe à Churchill, a été de répliquer ce dispositif pour automatiser la détection des ours grâce à l’analyse en temps réel des retours d’une caméra (une Canon VB-R10VE) et de deux radars, via un Video Management Software (VMS) un logiciel qui analyse avec de l’IA les données émises par ces dispositifs connectés. Lorsqu’un ours approche de trop près, le système envoie un mail ou une alerte. Un agent peut alors prendre la main et regarder les images depuis n’importe où, sur une tablette ou un smartphone.
« Cette technologie a un fort potentiel pour contribuer de diverses manières à la conservation de la faune et de la flore », estime Liz Larsen, directrice de la conservation du Hogle Zoo de Salt Lake City, partenaire de Polar Bears International et sponsor du programme. « Nous considérons ce projet [à Churchill] comme un outil prometteur pour aider à assurer la survie à long terme de populations animales, en particulier celles qui vont être les plus vulnérables au changement climatique ».
Pour elle, ce type particulier d’IA est à creuser pour sauvegarder « les éléphants sauvages, les hippopotames et autres espèces non prédatrices qui font souvent des incursions et qui détruisent les récoltes, en menaçant les humains, provoquant chez ces derniers des réactions de défense qui peuvent être mortelles [pour les animaux] », explique-t-elle.
Mais alors, si la technologie permet de détecter les animaux pour protéger les hommes, pourquoi ne pourrait-elle pas à l’inverse détecter les hommes pour protéger les animaux ?
Sur le papier, mais dans la « vraie vie » ?
La réponse est qu’elle le peut, mais que le diable se trouve, comme toujours, dans les détails (et dans l’argent).
Retour dans la neige et les eaux glacées de Churchill. La caméra et les radars ne sont pas installés au milieu de nulle part. Au contraire, ils sont situés sur l’un des bâtiments les plus fréquentés de la ville. Ce bâtiment – à proximité d’un couloir de migration actif des ours polaires – abrite l’école, l’hôpital et le centre communautaire. L’installation de capteurs et leur raccordement sont donc bien moins problématiques que dans un champ isolé.
Autre élément, la ville est certes petite et un peu perdue dans l’immensité du Canada. Mais elle bénéficie d’une bonne couverture mobile et dispose de l’Internet sans fil à haut débit. Là encore, beaucoup de domaines et de fermes en France ne sont pas dans ce cas de figure. Cela ne signifie pas qu’un tel dispositif ne peut pas y être installé, mais que les spécificités topographiques et de réseaux peuvent grandement le complexifier.
Le projet qui a inspiré Churchill se trouvait dans l’Alaska. On peut supposer (les responsables ne donnent pas les détails du réseau) que dans ce cas, des alternatives au WiFi ont dû être trouvées (comme avec des solutions de transmission de données sans fil sur plusieurs centaines de mètres). Tout est donc possible. À condition d’avoir le budget. Or les éleveurs de chevaux n’ont pas les mêmes moyens que des pétroliers du Grand Nord.
« On peut parfaitement imaginer couvrir des zones avec des technologies radar (LiDAR), définir ce qu’est un intrus (pour ne pas s’activer dès qu’un renard ou un chien passe), et envoyer des alertes au propriétaire des chevaux qui peut décider d’aller voir ou d’appeler la police », confirme au MagIT Remy Deutschler, Country Manager France de Milestone Systems, un éditeur de logiciel VMS qui travaille en France notamment avec la RATP.
« Une caméra thermique peut aussi être utilisée si on veut couvrir un champ relativement plus large. Et là encore, le VMS peut déterminer si un point chaud est un loup ou un homme. Dans certains cas, il y a un intérêt à associer une caméra pour une double vérification, mais ce n’est pas obligatoire dans ce contexte ».
« On peut aussi imaginer des drones qui font des rondes, la nuit, sur un secteur donné », continue-t-il. « Ou des caméras pas forcément connectées, mais avec un logiciel embarqué qui génère des métadonnées pour faire des recherches rapides a posteriori ». Concrètement, un tel outil permet de faire une recherche d’un objet (un pull rouge par exemple) sur une période (de 10 h à 22 h). Ici, un VMS pourrait retrouver un homme pendant la nuit – ce qui évite de visionner des heures de vidéosurveillance – utile pour des gendarmes qui n’ont pas forcément le temps.
« La technologie pourrait répondre à cette demande. Elle existe et elle est maîtrisée », assure Remy Deutschler. Mais l’expert nuance immédiatement. « Mais, et indépendamment du côté affectif qui reste très important, il y a toujours le rapport coûts/bénéfices », confirme-t-il. Car évidemment ces installations ne sont pas gratuites et les bénéfices souvent difficiles à évaluer (quel est le prix d’un statu quo ?).
S’unir ou trouver un mécène ?
Bref, IoT, VMS, cloud, IA, toutes ces technologies pourraient aider à protéger les chevaux.
Elles pourraient. Mais dans la réalité, elles ont un coût – trouver le bon prestataire certifié, achat du matériel, analyse du terrain, installation, déployer un réseau, apprentissage des algorithmes, formation à l’utilisation de l’outil, etc. – qui les rend malheureusement inaccessibles au commun des éleveurs.
Elles restent néanmoins une piste à explorer avec – pourquoi pas ? – une mutualisation des ressources (par exemple au sein de la FFE ?) ou en recherchant un mécénat technologique avec les géants de l’IT (un investissement marketing sous forme de mise à disposition de leurs outils qui serait ô combien rentable pour eux en termes d’image).