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Jumeaux numériques : Saint-Gobain prêt à scaler
L’industriel français Saint-Gobain a défini une méthodologie pour ses initiatives autour des Digital Twins. Un premier cas d’usage sur l’activité céramique a été déployé à Avignon sur un four. Des déploiements en Italie et en Inde sont en cours.
Dans son Hype Cycle de juillet 2022, Gartner positionnait le Jumeau Numérique (ou Digital Twin) dans le « creux des désillusions ». Après la phase des « attentes exagérées », l’intérêt pour ce domaine technologique déclinait. La phase suivante attendue était la « pente de consolidation ». Et c’est effectivement ce qui se passe chez Saint-Gobain.
Industrialiser des jumeaux numériques prend du temps. Il faut réunir de multiples et complexes prérequis (cloud, Machine Learning, Data temps réel, etc.). Chez Saint-Gobain, le projet est sur la table de travail des ingénieurs depuis maintenant deux ans.
Les problématiques de production comme point d’entrée
« Pour l’instant, cela concerne essentiellement des lignes de production », indique Lorenzo Canova, directeur du département R&D pour Saint-Gobain Recherche Provence lors de l’IMAgine Day (un événement autour du « métavers industriel »). À l’avenir, « la création de jumeaux numériques de bâtiments pourrait présenter un intérêt », ajoute-t-il. Mais le groupe français n’en est pas encore là.
Pour l’instant, Saint-Gobain se focalise sur certains processus et sur leur optimisation.
Guillaume BennabDigital Manufacturing & Supplychain Manager, Saint-Gobain
« Nous travaillons beaucoup en partant des cas d’usage. Nous avons beaucoup de diversité dans les usines et dans les produits que nous fabriquons. Notre point de départ, c’est la problématique d’un site, de qualité, de production ou autre » confie Guillaume Bennab, Digital Manufacturing & Supplychain Manager.
Le Digital Twin est donc déployé comme une réponse à des enjeux de production. Il n’est pas (pas encore ?) une solution qui s’inscrit dans une stratégie de digitalisation globale d’une usine.
Dans ce cadre, Saint-Gobain a défini une méthodologie standardisée (visite sur site, analyse du cas d’usage et modélisation ou création d’un jumeau numérique), pour des applications qui, elles, ne sont pas standardisées.
Et s’il est complexe de déployer à l’échelle, c’est en particulier en raison de la diversité des technologies qui caractérise les sites de production (de 30 à 40 ans d’ancienneté), notamment en matière d’automatisation et de mesure au travers de capteurs.
Capter les données, les transférer sur le cloud et les standardiser
« Sans mesure, on ne peut pas faire de jumeaux numériques », rappelle Lorenzo Canova. Les capteurs se sont multipliés au cours de la dernière décennie, mais ils restent souvent attachés à des systèmes isolés.
La donne a changé « ces dernières années », facilitant l’interconnexion de capteurs hétérogènes et la remontée de données dans des bases structurées à des formats standardisés. Pour autant, l’hétérogénéité demeure une réalité sur les sites industriels. Des chaînes restent manuelles et associées à des processus papier.
Avant de s’attaquer au Digital Twin, Saint-Gobain a donc mené des étapes préalables : adoption de l’Internet des objets industriel (IIoT), de MES (Manufacturing Execution Systems), standardisés et considérés comme « le relais du Digital Twin sur site qui permet le temps réel et une réactivité opérationnelle forte. »
Pour progresser sur la collecte de données, l’industriel s’est associé à une startup – financée et développée au sein de Saint-Gobain. Le but était de concevoir un connecteur universel. Combiné à du Edge Computing, il permet une interconnexion avec l’ensemble des technologies sur site (automate, capteur LoRa, etc.).
La donnée est captée et normalisée en sortie du Edge puis transférée vers une plateforme cloud pour la « structurer de manière universelle », détaille Guillaume Bennab. Parallèlement, Saint-Gobain a piloté des actions en cybersécurité pour concilier ouverture du SI et protection.
Le MES, clé du Digital Twin
Dans le même temps, l’industriel a planché sur le volet consommation des données avec des tableaux de bord pour rendre les données « visuelles et utilisables. » Et la représentation 3D ? « Ce n’est pas vraiment le cœur du réacteur du delivery », répond l’expert.
Il en va autrement du Manufacturing Execution System. Le MES de Saint-Gobain (principalement basé sur Ignition) occupe une place centrale dans le déploiement des jumeaux numériques. Décrite comme une plateforme de développement, Ignition permet de concevoir des MES adaptés à chacun des sites (« chaque site à ses process propres ») et les SCADA du groupe. Il s’interface aussi avec des MES ou SCADA existants.
Combinés, Edge et MES collectent la donnée et la centralisent sur le cloud. « Aujourd’hui, nous avons la capacité de “browser” le MES sur Ignition et de projeter en automatique un jumeau numérique dans le cloud ».
Le Edge peut en outre exécuter des modèles, en proximité (local ou cloud), en fonction du besoin.
Lorenzo Canova insiste sur l’importance des données, dont les sources peuvent être multiples. Elles sont d’abord liées aux processus, mais elles concernent également la logistique, la qualité, et de plus en plus la R&D pour accroître l’efficacité.
Saint-Gobain voit déjà au moins un bénéfice dans ses Jumeaux numériques : le désenclavement des équipes.
Ces initiatives sont en effet mises en œuvre par le biais de « squads projets », un « mixte de compétences IT, R&D et business » avec « un leadership local sur les sites » impliquant en particulier les directeurs et les process engineers.
Un jumeau numérique pour modéliser le fonctionnement d’un four
Ces « squads » sont constituées pour les deux typologies de projets Digital Twins déployées par Saint-Gobain.
La première consiste à virtualiser des actifs et l’ensemble de la traçabilité d’un processus au sein d’un jumeau numérique. À la clé, des informations en temps réel sur toutes les étapes du processus dématérialisé.
Mais les lignes des usines de Saint-Gobain fonctionnent également à travers des « îlots de processus ».
Dans ce second cas, les jumeaux numériques viseront l’optimisation, îlot par îlot. C’est déjà le cas pour un four à céramique d’une usine implantée à Avignon.
Guillaume BennabDigital Manufacturing & Supplychain Manager, Saint-Gobain
De la taille d’une piscine olympique, ce type de four est rempli de verre en fusion et fonctionne grâce à un arc électrique générant de la chaleur (jusqu’à 3 000°). Le processus exige donc une grande quantité d’électricité. La réduction de sa consommation offre des impacts potentiels forts.
Initié en pleine crise du prix de l’énergie, le projet a bénéficié d’un appui important en interne. L’entreprise a donc rapidement lancé une démarche de création d’un jumeau numérique (identification de la donnée disponible, transfert dans le cloud via edge, représentation 3D du four, interface de visualisation des résultats).
Afin d’optimiser ce processus de fabrication, Saint-Gobain a conçu un modèle de machine learning comprenant divers paramètres d’entrée (chimie, température de coulée…). Des données météo sont aussi ajoutées, car elles sont de nature à impacter le processus. La combinaison du jumeau et du ML permet ainsi d’effectuer des simulations plus pointues.
Pour Guillaume Bennab, le jumeau « est une chose vivante. Il réagit en temps réel aux événements ». En fonction des événements et des règles métiers implémentées, des tâches sont exécutées, comme la fourniture d’une prédiction de température de fusion à appliquer (ou non) par l’opérateur dans le MES.
6 % d’économie d’énergie à Avignon
Lorenzo CanovaDirecteur du département R&D pour Saint-Gobain Recherche Provence
Les remontées d’informations des opérateurs sont suivies avec attention. « L’opérateur dispose d’une connaissance qu’il est difficile de digitaliser. En demandant un retour, cela permet d’identifier cette connaissance terrain et éventuellement d’améliorer le modèle », explique l’expert Manufacturing & Supplychain.
Les étapes de digitalisation sur le four ont d’ores et déjà permis de réaliser une économie d’électricité de 6 % à Avignon. Un gain conséquent pour un équipement dont la consommation avoisine les 10 gigawatts par an, soit une facture de plusieurs millions d’euros.
Ce premier cas d’usage était le moyen « de démontrer la pertinence et la faisabilité afin d’envisager un scaling de la démarche », se félicite Lorenzo Canova. Le déploiement sur d’autres sites équipés de fours similaires est d’ailleurs engagé en Italie et en Inde.
Répliquer et adapter les Digital Twins
Les développements réalisés à Avignon ne peuvent cependant pas être répliqués à l’identique. Sur les nouveaux fours, les projets repartent ainsi au Sprint zéro, « et cela même si l’ontologie et le jumeau numérique sont faciles à redéployer d’un site à un autre, quand bien même les équipements ne sont pas à 100 % identiques. »
Guillaume BennabDigital Manufacturing & Supplychain Manager, Saint-Gobain
Mais « en fonction du pays, nous n’avons pas nécessairement le même cas d’usage. En France, la problématique était celle de la consommation énergétique. En Inde, les sites sont plus intéressés par l’optimisation du temps de cycle – c’est-à-dire par la capacité de produire plus sur une même machine », précise Guillaume Bennab. « Nous retravaillons avec les directeurs d’usine sur leur problématique locale et nous adaptons tous les modèles en fonction de leurs besoins ».
Saint-Gobain souhaite aussi « scaler » au niveau de ses différentes activités.
Dans ce but, le groupe a créé un incubateur Digital Twin au sein de sa R&D. L’idée est d’inventorier les projets en cours dans une optique de gouvernance et de mutualisation. Car l’ambition en 2024 de l’industriel est clair : passer à l’échelle, standardiser la méthodologie et déployer d’autres digital twins.
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