Industrie 4.0 : Bosch investit massivement dans l’AIoT
Au début du mois de mars, Bosch a organisé l’AICON 2021, sa conférence annuelle consacrée à l’intelligence artificielle et à la data science. L’industriel allemand en a profité pour annoncer un programme d’investissement d’envergure pour adopter cette technologie et automatiser ces usines.
500 millions d’euros. C’est la somme que compte injecter Bosch en cinq ans pour moderniser son appareil industriel. L’équipementier automobile et fabricant allemand d’électroménager évoque, dans un communiqué, l’apport de la « digitalisation et de la connectivité » dans ses usines. En retour, il espère économiser « pratiquement » 1 milliard d’euros d’ici 2025. En cela, l’intelligence artificielle aura un rôle prépondérant.
« La question majeure est de savoir comment nous pouvons déployer à l’échelle l’IA dans une entreprise industrielle internationale telle que Bosch », introduit Michael Bolle, CTO et Chief Digital Officer du groupe, qui a aussi mis en lumière son bagage en data science.
« Notre héritage vient de la capacité à concevoir des produits en maintenant des critères d’excellence », vante-t-il. Ces « produits », ce sont à la fois des puces MEMS, des équipements électroniques, différentes pièces mécaniques, mais aussi des cafetières, des tondeuses, des réfrigérateurs et toute une variété d’appareils électroménagers.
« Nous pouvons nous appuyer sur notre expertise en ingénierie pour construire ces produits et sur notre statut de champion du manufacturing », considère-t-il.
Garder le contact avec les produits (et les clients)
Michael BolleCTO et Chief Digital Officer, Bosch
Mais le « champion » veut entrer dans une catégorie, dans un Nouveau Monde même, celui de l’AIoT. Malgré ses capacités d’envergure, le géant allemand peine à maintenir le contact avec ses produits, une fois livré aux clients.
« Le seul moyen de garder ce contact est de les observer, de solliciter les clients de nous faire parvenir des retours, etc. Tous ces processus sont manuels, coûteux et demandent énormément de temps. Pour mettre à jour un produit, cela prend des années », déplore Michael Bolle.
« Pour y remédier, nous proposons une méthodologie que nous avons nommée le cycle AIoT », explique Michael Bolle. « En combinant l’IoT et l’intelligence artificielle, nous sommes en position de conserver la trace de nos produits, de voir comment nos clients les utilisent. Avec ces données, nous pouvons appliquer du machine learning afin de les mettre à jour beaucoup plus rapidement. Nous pouvons aussi nous assurer que nos produits restent pertinents sur le terrain ».
Bosch a déjà étendu cette formule à plusieurs de ces biens, par exemple le robot de cuisine, Cookit ou à des systèmes de conduite dotés de caméras frontales qui peuvent être utilisés pour détecter des événements rares, comme des sorties de routes. En cela, l’équipementier a besoin de données terrain et de déployer ses modèles de computer vision. Ces systèmes pourront être ensuite associés à des systèmes d’aide à la conduite.
Mais avant d’appliquer cette vision idyllique auprès de tous ses clients, Bosch veut adapter l’AIoT à sa propre chaîne de production. « Collecter les données, exécuter du machine learning, mettre à jour les processus : nous pouvons le faire en interne », assure-t-il.
Traiter un milliard de points de données
De prime abord, il n’y a rien d’évident. Bosch dispose en effet d’un réseau de 240 usines à travers le monde. Sur ses sites industriels, il y a un total de 4 000 lignes de production, qui elles-mêmes comprennent 100 000 machines.
« En interne, nous créons une plateforme nommée BMLP (Bosch Manufacturing Logistic Platform N.D.L.R.) afin d’accéder aux données de nos usines et de nos équipements, puis de les structurer. C’est la partie importante de BLMP. Et c’est seulement une fois que ces données sont structurées que nous pouvons appliquer le machine learning », rappelle Michael Bolle.
« En utilisant ces systèmes, nous pouvons améliorer la qualité de nos produits et réduire les efforts de production. Nous allons déployer l’IA et le machine learning à l’échelle mondiale. Nous allons commencer avec notre division motopropulsion », promet le CTO. Ce qui représente 800 lignes de production dans 50 usines.
Michael BolleCTO et Chief Digital Officer, Bosch
Plus d’un milliard de messages seront traités par la plateforme BMLP. Et, par la même occasion, « nous allons commercialiser cette solution à l’externe par notre filiale Bosch Connected Industries », ajoute-t-il.
La plateforme BMLP communique avec le système MES Nexeed de Bosch. Le MES collecte automatiquement des données en quasi-temps réel de dizaines de milliers de capteurs pour les envoyer vers une plateforme de traitement qui appliquent des algorithmes de recommandations d’actions.
Certains processus de corrections seront automatisés, par exemple des détections de dérives de conception sur une chaîne de montage. Pour cela, des caméras placées le long des lignes de production servent à appliquer des modèles de vision par ordinateur.
Les défis de la data science chez Bosch
La firme allemande investit massivement dans l’IA. Et pourtant, dans le domaine de la data science, l’argent ne fait pas tout. Le CTO de Bosch identifie plusieurs défis que le géant de l’industrie devra relever.
« Premièrement, les paramètres, la dimensionnalité des solutions s’accroissent rapidement. Dans l’automobile, nous avons besoin de millions, voire de milliards de paramètres s’appliquant à des données d’entraînement et de tests », indique-t-il, dans un registre lexical soudainement beaucoup plus technique.
« La plupart des algorithmes efficaces que nous utilisons aujourd’hui sont apparentés au domaine de l’apprentissage supervisé. Cela veut dire que les données que nous collectons doivent être labélisées, étiquetées par des humains. Cela représente un coût important », considère le CTO.
Dans le secteur de l’automobile, « la question de l’explicabilité – c’est-à-dire les étapes de validation pour la conduite autonome – est importante. L’on doit passer de modèles black box, à des modèles gris, puis blanc. C’est un problème irrésolu », avoue le dirigeant.
Puis, il faut prendre en compte la notion de causalité. « Les modèles que nous utilisons sont basés sur la corrélation et les statistiques. Ils n’impliquent pas la notion de causalité et les relations de cause à effet », constate-t-il.
Les data scientists connaissent parfaitement ces défis. Mais Michael Bolle termine cette liste par une dernière remarque, cette fois-ci applicable à tous les acteurs du monde industriel. « Nous faisons face à une sous-utilisation des domaines de connaissance, qui ne sont pas encore exploités à bon escient ».
Modèles hybrides : rapprocher les ingénieurs et les data scientists
Pour autant, Bosch estime avoir trouvé la bonne méthodologie pour pallier ces défauts. « Nous sommes convaincus que les modèles hybrides découlent d’une approche prometteuse pour améliorer les performances des algorithmes d’intelligence artificielle ainsi que pour résoudre les problèmes que j’ai listés », avance Michael Bolle.
Mais à quoi correspondent ces fameux modèles hybrides ?
Il s’agit en réalité de réunir des modèles mathématiques qui s’appuient sur la physique et les modèles statistiques, de machine learning. « Les modèles physiques sont efficaces en matière de données, de causalité, d’explicabilité et l’on peut généraliser leurs principes. Ce n’est pas le cas des modèles statistiques, mais les deux formes sont complémentaires », affirme le CTO.
Encore faut-il les combiner. « Les interactions entre ces deux types de modèles sont cruciales », rappelle Michael Bole.
Le géant industriel a déjà appliqué des modèles hybrides dans le contrôle qualité, dans la conception de capteurs de détection de collisions et dans la stabilité de la conduite autonome à partir de données de séries chronologiques. Dans le premier cas, le modèle physique impose une forme de topologie, c’est-à-dire une forme de constance dans les données d’entrée qui doivent empêcher les dérives. Dans le deuxième, les signaux d’entrée des radars peuvent être brouillés par des interférences. Le machine learning doit réduire ce phénomène de bruits.
Enfin, dans le cadre de la conduite autonome, Bosch construit un modèle de deep learning qui permet de prédire les paramètres du modèle physique. Les ingénieurs et les data scientists s’appuient sur le principe mathématique de factorisation de distributions conjointes qu’ils appliquent aux données physiques. Des réseaux de neurones permettent, à partir de ces logs, d’obtenir des paramètres flexibles afin d’améliorer le modèle physique. Ces paramètres servent ensuite à établir des objectifs d’apprentissage non supervisé « efficaces ».
Les ingénieurs de Bosch recourent à des éléments finis, des transferts de fonction et de l’analytique dans un environnement de simulations multidomaines. Les data scientists y associent des processus gaussiens, des réseaux de neurones et des arbres de décision suivant les cas d’usage.
Pour cela, les data engineers ont tiré des flux vers un entrepôt de données qui nourrit la plateforme de traitement de machine learning. Avant de renvoyer les paramètres obtenus vers l’environnement de simulation, les data scientists exécutent une optimisation bayésienne afin d’améliorer la précision des algorithmes. Cette boucle permettrait de recueillir des résultats en quelques jours au lieu de plusieurs semaines.
La méthode a été mise en œuvre dans la conception d’injecteurs diesel. Une simulation sans IA peut demander jusqu’à 10 000 CPU par heure sur un HPC et un long temps de prototypage et de simulations. Une fois les modèles d’IA d’optimisation de design formés en une semaine, les ingénieurs pourraient plus facilement comprendre les phénomènes physiques complexes applicables aux pièces qu’ils conçoivent, tout en réduisant drastiquement le temps d’usage du HPC et de simulation.
Cette intelligence artificielle hybride sera aussi appliquée aux données issues du terrain, promet Michael Bolle. Elle deviendra une étape du cycle AIoT.
Cette approche qui mêle physique et machine learning n’est pas spécifique à Bosch. Lors de l’AICON 2021, Karen Willcox, la directrice de l’Institut Oden – situé à l’université d’Austin, au Texas – a elle aussi mis en évidence l’importance de cette approche dans le cadre de la production de jumeaux numériques.
Au-delà des participants à l’événement organisé par l’industriel allemand, d’autres acteurs veulent eux aussi rapprocher ingénierie et data science. Par exemple Rolls-Royce Allemagne, la division motorisation du spécialiste de l’aéronautique, compte s’appuyer sur la plateforme de data science d’Altair pour y arriver.
Tout comme Rolls-Royce, Bosch étaie son expertise en data science sur un centre d’excellence, le Bosch Center for Artificial Intelligence (BCAI) qui possède sept antennes à travers le monde (Sunnyvale, Pittsburgh, Renningen, Tübingen Bengalore, Shanghai et Haïfa). Le BCAI conçoit l’ensemble de ses systèmes d’Intelligence artificielle. « Sa contribution au résultat financier s’élève à quelque 300 millions d’euros », assure la firme dans un communiqué de presse. L’investissement initial serait ainsi déjà remboursé.