Carlos Santa Maria - stock.adobe.com
IATA mise le cloud pour aider l’aérien à survivre
En pleine zone de turbulences, l’association du transport aérien se lance dans une transformation digitale qui mélange cloud, IA, DevOps, et no-code. Avec l’ambition de devenir aussi le « broker » de données de référence du secteur.
Avec les interdictions de voyage et les confinements imposés partout dans le monde, le secteur aéronautique est l’un de ceux qui ont le plus souffert de la pandémie. IATA, l’Association internationale du transport aérien, prédit que le secteur dans son ensemble devrait essuyer une perte de 118 milliards de dollars en 2020, et une baisse globale du nombre de passagers de 60,5 %.
À mesure que les campagnes de vaccination s’intensifient, un timide espoir renaît.
Pour autant, selon le DSI de IATA, le Français Pascal Buchner, le secteur de l’aviation ne devrait pas retrouver son niveau d’activité pré-COVID avant 2025… au mieux. L’association a donc décidé de revoir ses priorités numériques pour les années à venir.
Cap sur le cloud, toute
Avant la pandémie, l’association se dédiait à deux objectifs : aider les 290 compagnies aériennes qui la composent à doubler le volume de passagers, tout en s’efforçant de réduire leur empreinte carbone.
Si le développement durable reste un objectif prioritaire pour l’association, l’ambition de croissance a, elle, cédé la place à l’aide aux compagnies pour leur survie.
« Il s’agit désormais, sur un plan stratégique, de faire redémarrer le secteur […], tout en sachant qu’une partie de l’activité est perdue à jamais », explique M. Buchner. « Une partie de cette activité venait des grandes conférences auxquelles les professionnels du monde entier venaient en avion pour trois jours. C’est du passé. La nouvelle manière de faire des affaires, c’est ce que nous faisons en ce moment [de la visioconférence] ».
« Avec la crise, nous avons l’occasion de faire les choses différemment », ajoute-t-il. « S’il y a bien un point positif à en tirer, c’est qu’elle oblige les gens à changer. […] Cela se traduit pour nous par la nécessité de trouver de nouvelles manières de faire, plus efficaces et plus économiques, pour tenter d’atténuer les répercussions financières de la pandémie en limitant la dépendance des compagnies aériennes à des procédures et à des technologies anciennes. »
« Quand les compagnies gagnaient de l’argent, elles pouvaient se contenter de leurs vieux systèmes, coûteux et dépassés, pour les réservations par exemple. Mais ce n’est plus le cas, nous devons transformer notre industrie », invite-t-il.
Pascal BuchnerIATA
Pour M. Buchner, au regard de la situation financière précaire des compagnies, le cloud est un moyen idéal pour faire une transformation digitale qui inclut aussi bien les workloads, que les applications ou les processus sur lesquels repose le secteur.
« Nous devons faire cette transformation sans apport de capital, car les compagnies n’ont pas d’argent à investir. C’est pourquoi le choix du cloud, qui donne accès à l’infrastructure technique et à tous les outils existants, est une bonne manière de faire table rase des systèmes historiques », confirme-t-il.
« Les compagnies qui survivront seront probablement celles qui auront réussi à prendre le virage de la modernisation. Les autres risquent malheureusement de ne pas s’en remettre. »
Des modèles prédictifs plus réactifs
Avec l’aide du fournisseur de services cloud managé Rackspace, IATA a entrepris de passer en revue l’architecture de son propre environnement IT afin d’identifier les éléments qui pourraient bloquer son projet de modernisation axé sur le cloud.
La collaboration a démarré en juin 2020. Les décisions prises devraient être implémentées en ce début d’année. L’IATA va modifier totalement son approche du cloud avec des fonctionnalités d’automatisation et de libre-service.
« La crise bouleverse nos capacités de réaction, elle nous force à ajuster nos ressources à nos possibilités actuelles. Nos équipes comprennent qu’il est nécessaire de changer notre manière de travailler pour économiser nos ressources et gagner du temps. »
Pascal Buchner constate que diriger une compagnie aérienne en 2020 n’a rien à voir avec diriger une compagnie en 2019. Le besoin de modèles prédictifs à base d’IA est encore plus grand pour prendre en compte les répercussions de la pandémie.
« Aujourd’hui, les compagnies nous demandent [si nous pouvons] utiliser les données du mois précédent pour anticiper ce qui va se passer dans les prochains mois ; ce qui implique de construire de nouveaux modèles prédictifs [plus réactifs] », explique-t-il. « Nous devons utiliser des technologies telles que IA, faire appel à l’innovation, et pour cela il nous faut un environnement adapté ».
Pascal BuchnerIATA
Quand ce projet a été lancé, 60 % de l’IT de l’association était déjà chez AWS, mais la manière dont cet environnement était utilisé devait être améliorée, résume M. Buchner.
« Nous utilisons aujourd’hui AWS de manière complètement différente. Auparavant, nous avions un seul compte. Quand nous nous connections à AWS, nous nous connections au réseau IATA, ce n’était pas souple du tout. »
Et d’ajouter : « L’objectif [de la refonte] est de s’assurer que nous utilisons le cloud et toutes les ressources disponibles comme il se doit, avec une solution qui peut monter en charge. Nous sommes désormais attentifs à tirer le meilleur profit des ressources dont nous disposons déjà ».
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle IATA utilise aujourd’hui les ressources AWS sous la forme de Rackspace Service Blocks, qui lui permettent d’augmenter ou de réduire d’un mois sur l’autre les services utilisés en fonction de ses besoins.
Un « SI composable » à la Gartner
Cette évolution, à son tour, a permis à l’IATA d’adopter ce que M. Buchner appelle une approche d’« infrastructure unifiée ». Pour réduire les coûts, une même plateforme d’infrastructure sert à chacun des projets informatiques auxquels travaille l’association.
« Nous avons désormais une feuille de route qui implique que nous réutilisions la même infrastructure pour un nouveau projet, en ne payant que des coûts additionnels marginaux. C’est un changement radical d’approche », explique-t-il. « Cela signifie que nous gérons la partie commune du projet globalement, tout en nous adaptant au calendrier complexe de chaque projet pour le livrer en temps et en heure. »
Chacun des projets auxquels IATA travaille comporte des éléments sur mesure, configurés avec l’aide de Rackspace, tout en tendant vers les principes de ce que le cabinet d’analystes Gartner appelle « composable business » (l’entreprise modulaire).
Selon Gartner, une entreprise est composable lorsque ses systèmes informatiques reposent sur des blocs modulaires interchangeables qui peuvent être « réorganisés et réorientés » pour s’adapter aisément aux changements dans le comportement des consommateurs ou dans les évènements mondiaux (tels que l’apparition d’une pandémie).
L’idée est que cette approche donne une souplesse indispensable à l’IT, ce qui permet également de diversifier la palette des fournisseurs en fonction des besoins.
« Dans cette logique, nous voudrions à l’avenir pouvoir composer une ligne de projets avec différents partenaires, créer quelque chose qui fonctionne pour un type de projet spécifique, puis passer à une autre composition pour une autre ligne de projets », prévoit Pascal Buchner.
La souplesse, ajoute-t-il, est également de mise dans le choix des projets informatiques réalisés en interne et ceux dont la gestion est déléguée à un tiers.
« Nous avions jusqu’ici une seule solution dont nous pensions qu’elle répondait à toutes nos exigences. Nous évoluons aujourd’hui vers un environnement hybride entièrement hébergé par AWS, mais comportant différents modèles de collaboration avec différents partenaires », poursuit M. Buchner, « Rackspace fournissant les services managés pour fluidifier le tout ».
« Nous apportons de la diversité [dans notre IT], en particulier dans nos collaborations avec différents fournisseurs. C’est vers cela que nous devons aller, car nous avons besoin de souplesse ».
Du DevOps et du Low-code en « libre-service »
Travailler avec Rackspace a également permis à IATA d’incorporer des éléments de DevOps et de no-code/low-code dans ses processus, dans le but de réduire le nombre de spécifiques pour répondre à ses besoins propres.
Pascal BuchnerIATA
« Plutôt que de développer le code nous-mêmes, nous préférons consacrer du temps à la réalisation d’une plateforme en libre-service qui donne aux utilisateurs la possibilité de construire le produit eux-mêmes », justifie Pascal Buchner.
« Avant, l’utilisateur venait me voir avec ses besoins, puis nous transcrivions ces besoins en code, puis l’utilisateur testait le produit pour vérifier qu’il répondait à ses attentes ».
« À l’avenir, nous allons donner aux métiers l’accès à une plateforme no-code qu’ils pourront configurer et implémenter eux-mêmes en fonction de leurs besoins métiers. Nous n’intervenons plus entre l’activité et la solution. Ce sont les métiers qui vont construire la solution eux-mêmes. C’est une autre manière de travailler. »
La liberté du « self-service » s’accompagnera toutefois de restrictions : les utilisateurs devront apporter la preuve qu’ils sont capables d’utiliser ces outils de manière responsable », ajoute M. Buchner.
« Nous savons que les utilisateurs vont être enthousiastes de pouvoir développer leurs solutions eux-mêmes, mais nous devons aussi nous assurer qu’ils acceptent la discipline que cela implique. S’ils veulent la liberté, ils doivent devenir des partenaires de confiance et respecter les processus que nous essayons d’instaurer dans l’outil DevOps [pour ne pas] créer de problème plus sérieux que celui qu’ils essaient de résoudre. »
IATA version Data Broker
L’association (et ses membres) entend ainsi moderniser ses méthodes de travail. Mais elle poursuit aussi une ambition plus large : celle de devenir le « courtier en données » de l’industrie aéronautique. Elle n’est d’ailleurs pas la seule à briguer cette position, à laquelle prétendent aussi d’autres associations et organismes de réglementation du secteur.
« La concurrence est rude, [mais] nous avons accès à plus de données [que nos concurrents] et nous devons montrer que nous sommes capables d’enrichir ces données pour créer de la valeur », synthétise M. Buchner. « Pour notre association, c’est une question de survie, et donc clairement l’une de nos priorités ».