IA et IoT : dans les coulisses d’Auchan Go, le magasin autonome d’Auchan
En 2023, Auchan Retail teste un nouveau concept de magasin autonome bardé de capteurs et de technologies : Auchan Go. Pour son DSI et Chief Data Officer, Samir Amellal, l’équation à résoudre est complexe et certainement pas seulement technique.
En 2018, Amazon faisait sensation avec son concept Amazon Go dénué de caisse physique pour le paiement des achats. Le principe : des magasins bardés de capteurs et de technologies. Mais vitrine high-tech ne rime pas nécessairement avec efficacité commerciale et rentabilité. En mars, Amazon fermait 8 supermarchés autonomes. Une vingtaine aux États-Unis restent en service.
Si Amazon Go n’a pas révolutionné à ce jour le retail physique, il a cependant inspiré les acteurs français de la grande distribution et des startups, comme Boxy. Les principales enseignes développent des projets de ce type. C’est le cas d’Auchan Retail France avec Auchan Go (en réalité sa troisième déclinaison de magasin autonome).
86 m2 de magasin et de techno dans un environnement fermé
Plusieurs phases ont déjà été menées et plusieurs typologies testées, rappelle Samir Amellal, DSI et Chief Data Officer d’Auchan Retail. « La finalité était d’évaluer à la fois la scalabilité du concept, sa rentabilité, et de tester aussi des technologies qui auraient pour vocation d’être déployées ailleurs que dans des magasins autonomes », explique-t-il.
Au cours de ses expérimentations, Auchan a ainsi testé une première typologie de magasin (38 m2) au sein d’une école de commerce (l’EDHEC). Le siège du distributeur a aussi accueilli un second concept au format conteneur, avec scan par le client de ses achats. L’objectif restait le même : expérimenter des solutions, des surfaces, des assortiments et des usages (snaking, courses d’appoint, etc.).
En 2023, place à une nouvelle déclinaison avec Auchan Go, hébergé lui aussi dans l’enceinte du siège social de l’entreprise à Villeneuve-d’Ascq. « C’est un nouveau magasin autonome, mais il tire parti des enseignements des deux précédents, du point de vue de sa potentielle rentabilité, des assortiments, des technologies déployées et de la scalabilité », déclare le DSI.
En chiffres, Auchan Go se traduit par un format de 86 m2, couvert par 138 caméras, plus de 1 000 articles proposés – dont 48 % en marques propres. Pour ce modèle, l’enseigne collabore avec une startup israélienne, Trigo (sur les deux précédents, d’autres jeunes pousses technologiques étaient partenaires). Ces collaborations multiples s’inscrivent dans la démarche d’expérimentation et de montée en compétences. Auchan se dit soucieux de ne pas s’enfermer dans la solution d’un fournisseur.
Des gondoles pour peser et des caméras pour détecter
Grâce aux technologies déployées dans le magasin, le distributeur procède à une double mesure, le poids et l’image.
La computer vision permet d’ajouter et de retirer les articles dans le panier virtuel du consommateur. Pour cela, la boutique compte 1,6 caméra par mètre carré. « Nous essayons de couvrir le maximum d’angles pour capter chaque manipulation d’article. Cette détection est complétée via une mesure par balance », détaille le DSI.
Samir AmellalDSI et Chief Data Officer d’Auchan Retail
Dans ce domaine aussi, Auchan a enrichi sa connaissance au fil des pilotes, notamment pour identifier les « partenaires capables de fabriquer des gondoles adaptées et scalables (y compris en termes de prix et de taille) » afin d’être personnalisables en fonction de chaque magasin.
Aux solutions fournisseurs, les équipes de la DSI ont ajouté des investissements en intégration et des développements internes pour adosser Auchan Go à ses systèmes en production sur le cloud Google (GCP).
L’entreprise développe aussi ses propres modèles de computer vision, qu’elle peut mettre en concurrence avec ceux des startups, mais qui se destinent surtout aux supermarchés classiques. Cette approche permet de mesurer l’efficacité des différents outils, de les adapter aux usages et également de réduire les risques de vendor locking.
Des progrès considérables sur la computer vision et le taux d’erreur
Pesée et détection visuelle se doivent d’afficher les taux d’erreur les plus bas. Les débuts des magasins autonomes avaient mis en lumière la perfectibilité des résultats dans ce domaine. Mais « les technologies [dont la computer vision] ont beaucoup progressé », assure Samir Amellal.
Le taux d’erreur constitue en tout cas un des KPI suivis sur Auchan Go. S’y ajoutent des indicateurs relatifs aux réapprovisionnements et à la performance commerciale, au trafic, au parcours client (via des données anonymisées), ainsi que bien sûr au monitoring IT pour suivre l’efficacité opérationnelle (pannes, latences, etc.).
Sur ce volet IT, l’entreprise s’est d’ailleurs fixé des objectifs. « Nous avons pour volonté d’améliorer nos KPI au cours des mois qui viennent. »
Pour les paiements au portique, le client peut s’acquitter de ses achats via l’application mobile ou en carte bancaire. Cette étape est stratégique dans la conception du parcours d’achat.
Une analyse concurrentielle a mis en lumière la diversité des modèles dans ce secteur. Samir Amellal a jugé peu souhaitable un concept aboutissant à un magasin proche d’un « distributeur automatique ». L’obligation de disposer d’une application – donc de la télécharger avant d’entrer – est qualifiée de rédhibitoire. C’est la raison pour laquelle Auchan a opté pour deux modes d’accès alternatifs.
Le paiement en CB nécessite cependant de s’assurer d’un envoi très rapide du ticket de caisse. Le DSI se montre aussi attentif à l’impact du modèle de magasin sur la taille du personnel nécessaire, la déclinaison « distributeur automatique » étant ainsi celle comptant le moins d’employés pour son fonctionnement.
Auchan privilégie « un magasin qui ressemble autant que possible à un magasin normal et non pas à un distributeur » – en l’occurrence le concept Piéton de la marque. Ces différents paramètres entrent dans l’équation qu’il cherche à résoudre. L’enjeu est en particulier de rendre le m2 rentable malgré la concentration technologique forcément coûteuse.
Du multicloud, des données et un fonctionnement event driven
Aux briques technologies déployées sur site s’ajoutent des composants d’infrastructure. Auchan a fait le choix « de se reposer sur la puissance du cloud » au travers d’une stratégie multicloud avec GCP et Azure. La DSI exploite des services managés et conteneurisés. Pour les données, elle s’appuie, entre autres, sur Looker et Tableau.
Samir AmellalDSI et Chief Data Officer d’Auchan Retail
Ce patrimoine de données est analysé pour définir et adapter les assortiments. Samir Amellal précise aussi « se reposer autant que possible sur des dispositifs event driven de type Pub/Sub pour travailler à l’évènement et en temps réel, en réduisant au maximum la latence. »
L’ambition est en effet de reproduire, mais pour un magasin, le fonctionnement d’un service e-commerce. Cet objectif impose aussi de garantir la qualité des réseaux, c’est-à-dire la connectivité.
Le DSI d’Auchan envisage d’ailleurs de plus en plus le Edge Computing. « Tout n’a pas vocation à être déporté sur des serveurs distants. On peut gagner en efficacité grâce à des traitements locaux, soit à proximité du magasin, soit dans celui-ci », dévoile-t-il. Cette architecture pourrait offrir des avantages en termes d’expérience utilisateur, mais aussi de rentabilisation du concept à moyen terme.
Auchan Go : une équation Tech et business
Le modèle Auchan Go préfigure-t-il l’avenir de la grande distribution ? Trop tôt pour le dire. Auchan, comme ses concurrents, expérimente, sans chercher d’effet « wahou ».
« Le but de ces tests, c’est surtout de ne pas se précipiter. L’équation économique, technologique et opérationnelle du dispositif doit être fine pour fonctionner. Le but n’est pas de faire la démonstration de nos compétences [technologiques], mais bien de trouver la bonne équation », insiste Samir Amellal.
Samir AmellalDSI et Chief Data Officer d’Auchan Retail
« Démontrer que nous sommes capables de le faire, cela ne présente pas beaucoup d’intérêt. Amazon l’a déjà fait bien avant. Et d’autres l’ont fait par la suite. Non, ce n’est pas du tout notre objectif. »
L’expert du retail le rappelle : « ce type de magasin, ce n’est pas seulement de la technologie. » Et les outils retenus doivent tenir compte de problématiques propres à cette industrie. C’est cet ensemble de facteurs, dont l’assortiment, qui complexifie la concrétisation du magasin autonome dans un format rentable.
« Le lieu d’implantation aussi a des impacts. En environnement fermé – école, entreprise, hôpitaux, etc. – ou en environnement ouvert, l’assortiment ne sera pas nécessairement le même, le besoin étant potentiellement différent. »
Ce choix conditionne en outre les investissements, notamment en termes de personnel – car le magasin autonome n’est pas dénué d’humains.
« Nous sommes convaincus que ce type de magasin ne remplacera pas les parcours de courses existants, mais qu’il va au contraire les compléter […]. Nous avons signé un accord avec Deliveroo. Nous avons racheté Cagette et Paprika [N.D.L.R. startup de la livraison de courses]. Nous étudions la complémentarité de ces parcours et surtout leur rentabilité et scalabilité », conclut Samir Amellal.
La Computer Vision, une piste aussi pour le supermarché classique
Auchan Go va fonctionner jusqu’à la fin de l’année. Cette période est nécessaire pour tirer « des premiers enseignements structurants » sur un magasin avec des technologies, un assortiment et un dispositif d’approvisionnement inédits. Les résultats, fin 2023 ou début 2024, détermineront la suite des développements et en particulier le type d’environnement adapté (ouvert, fermé, ville, etc.).
Samir AmellalDSI et Chief Data Officer d’Auchan Retail
La DSI d’Auchan alimentera aussi ses autres projets technologiques. L’enseigne travaille par exemple sur des applications de la computer vision pour ses supermarchés traditionnels. L’IA devra plus particulièrement répondre aux besoins en termes d’amélioration de l’efficacité opérationnelle.
D’autres technologies ont été étudiées, comme le RFID (trop coûteux aujourd’hui), ou les robots pour l’inventaire « qui passent dans les rayons, mais nous avons considéré avec les patrons des hypers et des supers que ce n’était pas concluant », confie le DSI.
Les caméras offriraient plus de potentiel en raison de leur facilité de déploiement et de leurs rapports qualité-prix. Cela vaut aussi pour les terminaux mobiles dont les employés en magasin sont équipés. Leurs capacités, dont le Lidar des iPhone 13 (non déployés à ce jour chez Auchan), ouvrent de nouveaux cas d’usage avec des photos remontées à des algorithmes de computer vision. Des expérimentations dans ce domaine de l’IA sont en cours.
« Nous étudions comment ces technologies, à un coût rentable, pourraient répondre à différentes problématiques, comme l’approvisionnement ou la tenue du rayon. La démocratisation de certaines technologies permet de traiter des sujets d’excellence opérationnelle plus complexes à résoudre auparavant », entrevoit Samir Amellal.
Comme pour le magasin autonome, les usages devront être passés au tamis de la rentabilité et de la faisabilité opérationnelle. Ces contraintes métiers imposent de « se montrer malin et pragmatique. Le risque sinon, c’est de déployer des dispositifs qui fonctionnent technologiquement, mais qui ne sont pas rentables et par conséquent pas utilisés », prévient le DSI.