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« Guide Dogs » se laisse guider par la data science

Pour moderniser ses process, Guide Dogs, le plus grand éleveur de chiens guides au monde, fait le pari de l’IA, du prédictif… Et d’un Dog Relationship Management (sur Salesforce).

La « Guide Dogs for the Blind Association » – alias « Guide Dogs » – est une association britannique qui forme des chiens guides. L’association, très importante outre-Manche, compte 1 600 employés (dont 55 à l’IT et une vingtaine pour la gestion des données), 15 000 bénévoles et 2 500 chiens.

Guide Dogs est aussi le plus grand éleveur au monde de chiens guides, principalement des labradors, mais aussi des bergers allemands et des labradoodles (un croisement de labrador et de caniche, des chiens qui ont la particularité d’être également hypoallergéniques).

L’organisation milite également pour les droits des personnes malvoyantes, et sa division Jeunesse gère CustomEyes, un programme de livres pour les enfants malvoyants.

Casser les silos

Comme tout organisme caritatif Guide Dogs aspire à mieux exploiter ses données (250 000 enregistrements) pour optimiser ses processus, optimiser les fonds de ses donateurs, et rationaliser l’emploi de cet argent.

L’association s’est donc lancée dans un grand chantier, chapeauté par son DSI, Gerard McGovern. « Nous en sommes encore aux tous débuts, mais nous savons parfaitement où nous allons », lance-t-il.

Les données de Guide Dogs étaient complètement éparpillées entre ses services. La première étape – et un progrès majeur – a consisté à casser ces silos très cloisonnés.

Photo de Gerard McGovernGerard McGovern,
DSI de Guide Dogs

« Nous avons quelques-uns des meilleurs spécialistes [des données]. Ils sont vraiment très bons. Mais ils regardaient les données par le petit bout de la lorgnette. Notre travail ne sert à rien si, au bout du compte, nous abordons les données de manière silotée, service par service. Cette approche ne permet d’en tirer qu’une valeur limitée. Ce qui fait une vraie différence, c’est d’analyser les choses en s’appuyant sur l’ensemble des données dont nous disposons ».p

Un des premiers usages de cette donnée « unifiée » sera de tirer un meilleur parti des revenus provenant de ses donateurs.

Des données sur les chiens

Mais le projet le plus « mordant » concerne les chiens.

Jusqu’ici, les informations sur les labradors, les bergers et les labradoodles étaient consignées sur papier, dans des feuilles de calcul, voire sur des tableaux blancs (ou complètement informelles).

Photo d'un chien guidant unmal voyant
Guide Dogs est le plus grand éleveur de chiens guides au monde, principalement des labradors

Pour les formaliser, Guide Dogs a déployé, en janvier 2021, une application conçue avec Salesforce pour que le personnel chargé du dressage et de l’éducation des chiots puisse saisir ces données sous forme numérique.

Guide Dogs espère ainsi, grâce à une analyse poussée des données génomiques, identifier en amont les chiens qui ont peu de chances d’être sélectionnés. Pour Gerard McGovern, le gain d’efficacité serait réel.

« La seule façon de trouver si [des corrélations] existent, c’est d’éplucher les données »
Gerard McGovernDSI de Guide Dogs

« Si un chien ne peut pas désapprendre à chasser les chats par exemple, il ne fera pas un bon guide », explique-t-il. L’organisation caritative dispose déjà d’un « outil de suivi du comportement des chiens » qui indique lesquels sont susceptibles de réussir, mais « ce serait formidable si nous pouvions y ajouter le volet génomique ».

« Nous sommes le plus grand éleveur de chiens guides au monde, et à ce titre, nous disposons d’une très grande base de données sur l’élevage, que nous pouvons exploiter. Chaque chien qui passe par notre système est enregistré dans un dossier papier, mais il n’est pas aussi précis qu’il pourrait l’être. Ce qui serait génial, si nous nous améliorions [dans la donnée et l’analytique], ce serait de découvrir un marqueur unique [qui permettrait de faire du prédictif]. Par exemple “une grosse langue” pourrait être corrélée à “fera un super chien guide” », plaisante le DSI pour illustrer son propos. « Mais la seule façon de trouver si ce genre de choses existe, c’est d’éplucher les données ».

Les chiens qui ne sont pas retenus sont donnés à des familles d’accueil, précise également le DSI.

Construire sur de bonnes bases

La stratégie de l’organisation caritative s’oriente donc vers un équilibre entre une gestion « basique » des données et la data science.

« Guide Dogs adopte la bonne démarche, à savoir se concentrer sur les bases »
Caroline CarruthersConsultante

« Il faut souligner que, au niveau de l’Intelligence Artificielle (IA) et de toutes ces choses très séduisantes dont nous adorons parler, Guide Dogs adopte la bonne démarche, à savoir se concentrer sur les bases », souligne Caroline Carruthers, consultante sur le projet. « Mais ils ne tombent pas non plus dans le piège d’essayer de tout corriger, et du même coup de ne plus avoir les ressources nécessaires pour faire les choses plus “sexy”. »

« Ils essaient de trouver un juste équilibre, et d’avoir des bases suffisamment solides pour aborder [le ML] avec la confiance nécessaire ».

Gerard McGovern confirme que les spécialistes des données de Guide Dogs procèdent déjà à des analyses prédictives et s’intéressent aux modèles de Machine Learning (ML). Mais, ces travaux n’en sont qu’à leurs débuts.

Les projets IT sont des projets métiers

Une autre bonne pratique de Guide Dogs est de considérer son projet « data » comme un moyen concret d’améliorer ses activités. « Il n’y a pas de projets technologiques, il n’y a que des projets métier et organisationnels », lance Gerard McGovern.

« Même si [le DSI ] guide vers la bonne direction technologique, il faut que tout le monde participe, que ce soit un projet à l’échelle de l’organisation »
Gerard McGovernDSI de Guide Dogs

« Et même si nous guidons les gens dans la bonne direction technologique, il faut que tout le monde participe, que ce soit un projet à l’échelle de l’organisation. S’il ne s’agissait que de choisir des solutions IT, ce serait vraiment trop facile ».

Aujourd’hui, l’IT de Guide Dogs est encore un mélange de technologie vieillissante – comme une base CRM que le DSI qualifie d’« inadaptée au monde moderne » – et d’outils plus récents (Salesforce, PowerBI, etc.)

Parmi ses projets, l’association envisage de créer un portail self-service pour ses donateurs, sa communauté de sympathisants et, évidemment pour ses utilisateurs (ce qui lui simplifierait la saisie des futures données). Autre piste étudiée, le passage à un datawarehouse cloud

Le DRM, Dog Relationship Management – la gestion de la relation canine

En ce qui concerne les données sur les chiens, Guide Dogs dispose de ce qu’il appelle – non sans un humour très britannique – un système de « gestion de la relation canine ». Un « DRM » qui repose sur le CRM de Salesforce… et qui devrait s’étendre, aussi, aux données des humains.

« À terme, notre ambition est de mettre en place un système de gestion centralisé pour toutes les demandes qui arrivent, que ce soit par téléphone, par SMS, par Alexa, peu importe », explique Gerard McGovern, qui rappelle que les bots vocaux sont « extrêmement appréciés » par les personnes malvoyantes. Le manuel du propriétaire du chien guide, par exemple, est disponible dans ce format audio.

« La data science en elle-même n’est pas si compliquée ; mais la préparation des données pour parvenir à ce stade, oui, c’est dur »
Gerard McGovernDSI de Guide Dogs

Mais avant d’arriver à ce DRM unifié et à l’IA, il faut encore – et toujours – travailler la donnée.

« C’est le plus frustrant, de mon point de vue. Une fois que les données seront dans un bon format, accessibles et exploitables, l’analyse sera relativement facile », prédit-il. « La data science en elle-même n’est pas si compliquée que cela ; mais la préparation des données pour parvenir à ce stade, oui [c’est difficile] ».

« Le plus dur pour moi aujourd’hui, c’est de devoir dire “non” aux gens. Mais arrivera un jour où je n’aurai plus à refuser. Ce sera un moment formidable », sourit-il.

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