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Francine met la blockchain au service de la transparence alimentaire
Pour répondre aux attentes sur la traçabilité alimentaire, Grands Moulins de Paris joue la carte de la blockchain avec la startup Connecting Food. Sa marque Francine peut ainsi démontrer l’origine bio et française de son blé.
Les habitudes de consommation changent. D’après une étude Kantar, les Français tendent vers une consommation qui se veut plus responsable et plus vertueuse. Et les « actes d’achat réels confirment les intentions et les valeurs affichées. »
Les consommateurs se montrent sensibles aux engagements RSE des marques (responsabilité sociétale des entreprises), qui ont donc tout intérêt à agir dans ce domaine et à faire connaître leurs initiatives concrètes. D’autant que ces actions génèrent, en retour, un incrément de chiffre d’affaires.
Démontrer l’origine Bio et 100 % blé français
Pour obtenir ce précieux sésame de la confiance, les entreprises doivent donc entreprendre des actions, comme de démontrer aux clients la traçabilité de leurs produits. De plus en plus de produits de grande consommation affichent ainsi sur leur emballage un QR Code. Un scan depuis un smartphone affiche des informations certifiées sur la provenance des matières premières : café, lait, farine, etc.
Grands Moulins de Paris, propriétaire de la marque de farine Francine, joue depuis quelques mois la carte de la traçabilité avec une seconde technologie : la blockchain.
L’entreprise centenaire (elle a été fondée en 1919 et compte aujourd’hui 1 000 salariés pour 463 M€ de CA) se revendique un « rouage clé » de la filière blé française.
Elle s’affirme aussi depuis mars 2021 comme le fournisseur de « la première farine de blé bio totalement transparente ». Encore faut-il le démontrer. Pour y parvenir, Grands Moulins de Paris s’est associé à une startup de la FoodTech, Connecting Food.
« La traçabilité avec la blockchain permet de s’assurer que tout ce que les produits promettent sur l’emballage soit authentique. Et toute la beauté de ce système, c’est de prendre en compte des informations qui existaient déjà dans l’entreprise. Connecting Food nous permet en outre de mettre en valeur tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement, de la fourchette jusqu’à la fourche », se réjouit la directrice marketing du meunier, Claire Madoré.
La blockchain comme tiers de confiance
La responsable insiste sur le fait que ce projet s’inscrit pleinement dans la politique RSE de l’entreprise – baptisée « à table » pour AlimenTAtion responsaBLE. Cette démarche repose sur 3 piliers : manger équilibré, améliorer la qualité de vie et contribuer à un avenir plus sain.
« La blockchain, ce tiers de transparence, contribue pleinement à alimenter les engagements pris par Grands Moulins de Paris », continue Claire Madoré. Pour mener son projet dans la blockchain, l’entreprise a mis sur pied une équipe pluridisciplinaire avec l’IT, le marketing, la production, la qualité et l’approvisionnement, mais aussi ses partenaires fournisseurs de blé.
Pour collecter les données de traçabilité sur l’ensemble de la supply chain, le groupe n’a pas eu à bouleverser ses processus. Le système d’information permettait déjà de procéder à une traçabilité complète. L’ensemble des données remontaient en effet dans un logiciel de GPAO (Gestion de la Production Assistée par Ordinateur).
Pour la transmission des données de traçabilité et leur enregistrement sur la blockchain, GMP s’est adapté au standard défini par Connecting Food. Les extractions, grâce à la participation de la DSI, sont automatisées chaque semaine. Elles sont mises à disposition de la startup via un répertoire FTP.
Des données accessibles depuis une application Web
La récupération et l’intégration dans la blockchain privée s’effectuent également sans intervention humaine. Pour ne pas « noyer le consommateur sous les informations », Grands Moulins de Paris s’en est tenu aux données clés : les informations relatives à la livraison du blé, l’identité du fournisseur, la qualité, la date de transformation du blé et d’ensachage.
Quant au consommateur, il peut lire ces informations depuis le QR Code estampillé sur chacun des sachets de 500 g et d’un kilo de la farine Bio de la marque Francine, et ce après saisie du numéro de lot inscrit sur l’emballage. La lecture du code déclenche l’ouverture d’une application Web, dont le développement a été assuré par la startup.
Le client peut aussi se rendre sur le site de la marque pour saisir son numéro de lot. À chaque numéro correspondront des informations spécifiques sur le produit, mais aussi génériques, soit une vidéo de « l’ambassadeur » de la coopérative ayant assuré la fourniture du blé. Grands Moulins de France est allé au-delà en géolocalisant sur une carte le silo dont provient la matière première.
« Dans le but de garantir le respect du cahier des charges et les promesses de la marque - blé 100 % origine France, issu d’une agriculture biologique –, nous utilisons l’audit digital, pour auditer lot par lot nos productions directement dans la blockchain », explique Mohammed Reggad, responsable Achats Packaging. « Concrètement nous avons fourni les certificats Bio de nos partenaires et de nos moulins à Connecting Food, qui les a numérisés dans la blockchain. Ainsi lors de l’intégration des données, nous auditons automatiquement tous les maillons de la chaîne qui ont permis la fabrication du lot en vérifiant la validité des certificats ».
Tracer, mais aussi engager la conversation avec le client
La Web App contrôlera en effet aussi la validité du certificat Bio du moulin, ajoute le chef du projet blockchain, un projet qui se sera échelonné sur 7 mois. Une première réunion de lancement se déroulait fin juillet 2020, elle sera suivie par des ateliers en septembre. Suivront une phase de configuration de trois mois et une phase d’industrialisation de deux mois. Les produits Francine munis du QR Code sont en rayon depuis mars 2021.
Mais si l’enjeu du projet est la traçabilité et l’image de l’entreprise, il comporte aussi un volet marketing. La marque a prévu dans son application mobile des coupons de réduction et du contenu accessible par le biais d’un chatbot. Outre les actualités de la marque, sont disponibles des questions déclenchant des recommandations de recettes utilisant sa farine.
De quoi contribuer au ROI du projet, dont le coût comprend un investissement de départ et des frais annuels (dont le montant reste confidentiel). « Ce développement a avant tout un enjeu d’image. Il ne s’agit pas d’une initiative opportuniste », répond la directrice marketing. Par ailleurs, si impact sur les ventes il devait y avoir, il est encore trop tôt pour l’évaluer. L’entreprise ne fournit donc pas de chiffre pour le moment sur l’audience de sa Web App.
Pour les acteurs de l’alimentaire, en nombre croissant à se tourner vers ces solutions de traçabilité via la blockchain, ces technologies sont un moyen de renouer avec le consommateur. En effet, le distributeur tend à s’intercaler entre les marques et les consommateurs finaux.
« Cette ambition d’une approche conversationnelle avec le client existe. Elle nous permet d’illustrer la proximité propre à la marque Francine. Ces notions d’échange, d’engagement du consommateur sont essentielles aussi dans cette démarche », reconnaît d’ailleurs Claire Madoré.
Entretien avec Nicolas Ramy, Chief Technology Officer de Connecting Food
LeMagIT : Quel type de blockchain utilise Connecting Food pour la traçabilité alimentaire ?
Nicolas Ramy : Étant donné que nous manipulons des données qui ont besoin d’être sécurisées, nous avons choisi une gouvernance semi-fermée de notre blockchain. Cela nous permet d’utiliser la force de la blockchain dans notre besoin de traçabilité, tout en assurant la confidentialité des échanges de marchandises.
Ainsi, nous mettons à disposition des consommateurs et d’autres acteurs du secteur des informations relatives uniquement et spécifiquement au produit qu’ils tiennent entre les mains.
L’avantage d’une blockchain semi-fermée, c’est qu’elle nous permet d’utiliser d’autres consensus de validation des blocks. Ainsi, le PoET (Proof of Elapsed Time) est utilisé en lieu et place du PoW (Proof of Work). Il ne s’agit donc pas d’une compétition entre différents nœuds qui vont calculer le bloc suivant, mais de l’élection d’un nœud qui sera chargé de calculer ce bloc.
LeMagIT : Sur quel socle technologique vous appuyez-vous ?
Nicolas Ramy : Concernant la structure blockchain, nous travaillons sur Hyperledger Sawtooth. Grâce à ce framework, la consommation énergétique se trouve grandement diminuée, quel que soit le nombre de nœuds.