ERP : Phytocontrol contrôle toute son IT (grâce à l’open source)
Profiter des atouts clefs en main d’un ERP, tout en gardant la maîtrise totale de son IT et la possibilité de développer des spécifiques métiers soi-même : c’est le pari à contre-courant du groupe français Phytocontrol, spécialisé dans les analyses sanitaires. Une stratégie Open Source, audacieuse et innovante.
Créé en 2016, le laboratoire Phytocontrol a pour ambition de devenir le numéro un européen sur ses trois domaines d’activité que sont la détection de contaminant dans la nourriture (Agrifood), le contrôle des eaux (Waters) et le marché industriel (BioPharma).
Basé à Nîmes, le groupe ne compte encore que 370 personnes, mais il est présent sur une bonne partie de l’Europe via 17 agences commerciales et « proxilab », des laboratoires de proximité que le groupe compte déployer en Europe au plus près de ses clients.
Une culture d’entreprise qui s’appuie sur la maîtrise interne des outils IT
Jusqu’à aujourd’hui, Phytocontrol a fondé sa croissance sur un LIMS (Laboratory Information Management System) entièrement développé en interne. Véritable ERP dédié à l’activité du laboratoire, ce LIMS a été bâti sur la classique plateforme Open Source LAMP (Linux/MySQL/PHP).
La culture de l’entreprise est de totalement maîtriser ses outils, mais avec une croissance de 30 % par an, cet ERP « maison » atteignait ses limites. « Le projet de renouveler notre LIMS s’inscrit dans l’ambition européenne de Phytocontrol », explique aujourd’hui Adrien Garcia, chef de projet IT à la DSI de Phytocontrol. « Il nous fallait une solution capable d’encaisser cette croissance tant sur nos activités de support de l’entreprise que sur les activités directement liées à l’activité des laboratoires. »
Pour assurer cette croissance, la décision est prise par la direction générale et le DSI au printemps 2019 de déployer un véritable ERP.
Plutôt que d’acquérir un LIMS du marché, Phytocontrol continue sur sa logique de maîtrise interne des outils IT. L’idée est de déployer un ERP pour les activités classiques de l’entreprise (CRM, ventes, GRH), mais de continuer les développements « maison » sur les activités spécifiques du laboratoire.
Plusieurs ERP sont considérés. Avant d’opter pour Odoo (anciennement OpenERP/Tiny ERP). « Odoo est Open Source et nous considérions que nous pourrions ainsi l’adapter beaucoup plus facilement aux spécificités de notre activité » justifie Adrien Garcia au MagIT.
Pas peur des spécifiques
Pour déployer son nouvel ERP, la DSI de Phytocontrol se fait accompagner par un intégrateur partenaire de l’éditeur Odoo, Captivea. Mais en conservant en interne tous les développements de modules spécifiques.
Le chef de projet confirme : « notre stratégie est d’utiliser les modules classiques de l’ERP, mais aussi de garder la main sur les modules spécifiques qui constituent notre cœur de métier. Ce sont par exemple les analyses de recherche de pesticides, de radioactivité, etc. Toutes ces fonctions sont développées sous forme de microservices qui viennent se connecter à Odoo. »
En termes de modules Odoo (les « App » dans la terminologie de l’éditeur), la première vague de déploiement actuellement en cours chez Phytocontrol porte sur les Apps Accords, Contacts, CRM, Ventes, Site Web/E-Commerce, Signature Electronique, Maintenance, Fabrication, Qualité, Achats, Inventaire, Demandes d’achats, Congés, Employés et feuilles de temps, et Assistance.
« Outre ces Apps génériques, nous développons toute une série d’autres – dont Rapport, une App qui correspond à notre activité principale : la vente de rapports d’analyse. Dans la deuxième vague de déploiement, nous mettons en place des Apps plus classiques de comptabilité, marketing et de gestion des stocks. »
Un développement progressif qui doit s’accélérer
L’implémentation a été initiée avec Captiva il y a exactement un an, au début de l’été 2019.
L’approche choisie est de mener un déploiement progressif, module par module. Le déploiement de l’ensemble des modules doit s’étaler sur deux à trois années, ce que la DSI va devoir gérer alors que l’entreprise accroît rapidement ses activités internationales.
Adrien GarciaPhytocontrol
« L’un des points-clés, c’est que pendant le déploiement, les applications existantes sont bien évidemment utilisées et doivent continuer à évoluer. Nous devons donc développer des Apps pour le nouvel ERP tout en assumant ces besoins d’évolution à plus court terme. »
Ces développements n’en sont qu’à leurs balbutiements, mais le chef de projet estime que son équipe a déjà une bonne maîtrise de la plateforme. Outre les Apps spécifiques, des développements communs avec Captivea sont prévus sur les App généralistes pendant les mois de juillet et août. « Actuellement, le module Maintenance des équipements est en production et une partie des utilisateurs ont accès à l’App d’Assistance. Nous nous apprêtons maintenant à ouvrir les App CRM et Contacts, et le gros des déploiements va avoir lieu sur la période juillet/août/septembre. »
Historiquement, le LIMS de Phytocontrol était développé en PHP. Mais pour ce projet, l’équipe informatique a préféré développer dans le même langage qu’Odoo et ainsi garder une certaine homogénéité de technologies sur l’ensemble du nouveau système d’information. Adrien Garcia précise : « Les microservices sont développés en Python, la base de données est PostgreSQL et l’infrastructure est à base de conteneurs Docker. Tous les échanges de données avec Odoo passent par des Web Services. Ce travail ne fait que commencer, mais jusqu’à présent nous n’avons pas rencontré de difficulté majeure. Environ le tiers de nos développeurs travaille désormais sur le projet et ils ont rapidement compris comment Odoo fonctionne. »
Trois développeurs sont actuellement affectés aux nouvelles applications. Un quatrième les rejoindra bientôt et, à terme, l’équipe devrait compter six personnes. De son côté, Captivea ajoute une équipe de trois à quatre développeurs, selon les phases du projet.
L’ERP peine à entrer dans l’approche DevOps
Fidèle à sa philosophie de maîtrise totale de ses outils (lire par ailleurs l’encart un peu plus loin), Phytocontrol héberge Odoo sur ses propres infrastructures informatiques, sur son site de Nîmes, avec une réplication sur un second site dans la région.
Le DSI a ainsi écarté Odoo.sh, l’édition cloud de l’ERP Open Source. « En termes d’hébergement, nous étions déjà sous Linux, donc Odoo n’a pas nécessité de changements dans nos opérations d’exploitation. La V12 nous a semblé plutôt lente sur certains aspects, notamment dans le traitement des données en masse. Nous travaillons avec Captivea sur cette question. Des améliorations notables sont attendues sur ce point avec la V13. »
Pour le chef de projet, le gros point noir reste le travail en intégration continue avec cette version on-premise de l’ERP.
« Nous devons développer des scripts d’automatisation pour les installations, et pour les refresh des bases de données. Nous devons tout construire nous-mêmes pour intégrer Odoo à notre démarche d’intégration continue », regrette Adrien Garcia.
Travaillant en DevOps avec des méthodes agiles, l’objectif de l’équipe est de livrer les fonctionnalités le plus fréquemment et le plus rapidement possible. Or Odoo impose un arrêt de service d’au moins une demi-heure à chaque mise à jour et cause des erreurs d’installation qui freinent le rythme des sprints.
Atout prix et richesse fonctionnelle maîtrisée
Si le chef de projet estime la solution encore immature sur ce point, il considère en revanche que la solution est particulièrement adaptée aux entreprises technophiles, notamment adeptes de Python.
Autre atout en faveur d’Odoo, un coût qu’il juge inférieur à d’autres ERP pour une couverture fonctionnelle très large. À plus longue échéance, Phytocontrol s’intéresse en effet aux modules logistiques, de gestion de tournées, mais aussi à l’IoT et à l’exploitation de la blockchain dans la traçabilité.
À plus court terme, l’objectif de l’équipe d’Adrien Garcia sera de créer rapidement l’espace client où ceux-ci pourront récupérer leurs résultats d’analyse.
Durant l’été, Phytocontrol devrait dévoiler une grande partie des App métiers en cours de développement et Odoo pourra générer directement les rapports d’analyse pour les clients du laboratoire.
Les applications métiers vont ensuite se succéder rapidement, sur l’activité Agrifood dans un premier temps, puis Waters et Biopharma.
Pourquoi donc maîtriser son IT
Le choix d’un ERP sur site, sur ses propres serveurs, et avec des spécifiques, est triplement à l’opposé de ce que poussent les « faiseurs » américains du marché. Chez Phytocontrol, cette volonté vient de la DG et de la DSI de vouloir maîtriser ses outils et son IT.
Mais pourquoi cette stratégie ? Quels éléments ont abouti à ce choix ?
« En fait, notre métier, c’est la vente de données », répond Adrien Garcia. « Nous nous orientons en premier vers des partenaires et des solutions locales, ceci afin de nourrir rapidement notre croissance et nos changements. Et le métier de Phytocontrol est aussi un métier de proximité : si le SI ne respectait pas cette philosophie, ce serait une contradiction ! ».
Le groupe n’a donc pas succombé aux sirènes du cloud, plus flexible, plus scalable, moins cher. « La performance est importante : nos machines écrivent en local, notre architecture ne permet pas d’avoir une solution fiable sur du cloud », explique dans un premier temps le responsable du projet.
Mais ce n’est pas la seule raison. L’extraterritorialité du droit américain est aussi un sujet de préoccupation pour cette ETI, à l’instar des membres de plus grands groupes. « Héberger des données de nos clients sur des solutions américaines n’est pas rassurant en termes d’image. Nous connaissons tous les scandales à répétition concernant le respect des données des acteurs américains, le CLOUD Act, la politique étrangère de la Maison-Blanche, [la contradiction avec] le RGPD, etc. », liste Adrien Garcia.
Quant à la question des économies réalisables avec le SaaS, le responsable IT de Phytocontrol inverse totalement l’argument. « [Notre choix] est aussi une question de coûts : les solutions “cloud” sont, à moyen et long terme, généralement plus chères », calcule-t-il.