Données et IA : Jules tisse une stratégie centrée sur les métiers

Deux ans après une cyberattaque remarquée, Jules poursuit la refonte et la modernisation de ses systèmes d’exploitation, en se concentrant sur le traitement des données et l’IA. Et les métiers sont au centre du dispositif.

En octobre 2022, Jules, marque du collectif roubaisien FashionCube (Brice, Jules, BZB, RougeGorge Lingerie, Orsay, Grain de Malice, Pimkie), subissait une cyberattaque. Celle-ci a paralysé pendant quelques jours une partie de ses systèmes d’information. L’événement est, par principe, douloureux. Mais la cybersécurité n’était pas le seul enjeu de l’enseigne de prêt-à-porter masculin.

« Quand je suis arrivé chez Jules, les données étaient mal exploitées, assez silotées. Il y avait beaucoup de fichiers Excel et un problème de cumul d’outils analytiques », déclare Salmane Khamlichi, responsable data chez Jules.

Qui plus est, au mois de février 2023, le propriétaire de Jules, l’Association familiale Mulliez (AFM), cédait Pimkie à un consortium (Lee Cooper France, Ibisler Tekstil, Kindy), mettant fin, sur le papier, à l’expérience FashionCube.

En avril 2023, Jules devenait une entreprise à mission, en vue de réduire son empreinte carbone, de relocaliser une partie de la production de vêtements fabriqués dans des matériaux biologiques ou recyclés.

Une cyberattaque perçue a posteriori comme un « accélérateur »

Quelques mois plus tard, en juin 2023, Joannes Soënen prenait la direction générale de l’enseigne. La même année, Jules a réalisé près de 420 millions d’euros de chiffre d’affaires auprès de 7,7 millions de clients.  

« Joannes Soënen a déclenché une transformation profonde de l’entreprise qui affecte l’offre, les magasins, les prix, l’organisation, etc. Il voulait aussi mettre les données et l’IA au cœur du modèle de Jules », estime le responsable Data.

L’une des premières décisions prises dans ce sens a consisté à créer une direction Data&IA. En comptant la DSI, une vingtaine de collaborateurs de Jules sont responsables des traitements de données. Un Chief Data Officer a été nommé et fait partie intégrante du comité de direction.

« Nous avons profité des impacts de la cyberattaque pour accélérer cette remise à plat [des SI]. Finalement, ça n’a pas que des aspects négatifs ».
Salmane KhamlichiResponsable Data, Jules

« L’idée de centraliser les données a germé un petit peu avant la cyberattaque », précise Salmane Khamlichi. « Il fallait remettre les choses bien en ordre afin de permettre aux utilisateurs de bénéficier de toute la puissance des traitements analytiques. Nous avons profité des impacts de la cyberattaque pour accélérer cette remise à plat. Finalement, ça n’a pas que des aspects négatifs ».

Organiser la centralisation des données

Cela demandait de revoir l’architecture de données, en commençant par choisir la plateforme qui servirait de « Data Hub ».

« Nous avons effectué un certain nombre de consultations auprès des autres enseignes de l’AMF, nous avons observé ce que faisaient nos concurrents et nos partenaires », relate-t-il.

Après cette phase d’échanges, Jules a finalement choisi Snowflake.

« Au sein de l’AMF, Snowflake était de plus répandu et nous avons pu tester la plateforme. Nous avions déjà une expérience BigQuery à travers FashionCube. Toutefois, nous avons trouvé la feuille de route de Snowflake assez ambitieuse. Par ailleurs, les aspects coûts nous paraissaient beaucoup plus maîtrisés. Tout cela nous permettait de nous projeter dans les cas d’usage que nous envisagions de développer ».

Plusieurs partenaires locaux ont suivi Jules dans les migrations de certaines données référentielles et l’importation de données transactionnelles.

« Nous étions déjà accompagnés par des partenaires sur les sujets analytiques, mais nous voulions rassembler les usages analytiques et opérationnels », nuance le responsable Data. « Ils nous ont guidés sur tous les aspects d’architecture, la modélisation, le développement ».

Les premiers projets ont permis de porter « les plus gros lots de données » de l’enseigne sur Snowflake.

Suivant la typologie de données (navigations Web, sur site ou dans le cloud, structurées ou non), Jules exploite les outils de dbt et de xDI de Semarchy pour l'intégration et la transformation de données. L'équipe Data étudie les capacités de Fivetran. L'enseigne envisage par ailleurs de déployer un catalogue de données. Parmi les options sur la table, elle cite Datagalaxy.

Outre la mise en place de la plateforme, l’équipe Data de Jules a supervisé une approche pas à pas, projet par projet. « Nous avons établi une règle stipulant que tout nouveau projet devait obligatoirement passer par cette plateforme de données centrale », informe Salmane Khamlichi. « Cela nous permet de valider les données insérées dans un contexte réel, qu’il soit un projet métier, ou applicatif », ajoute-t-il.

« Nous avons établi une règle stipulant que tout nouveau projet devait obligatoirement passer par cette plateforme de données centrale ».
Salmane KhamlichiResponsable Data, Jules

« Ainsi, étape par étape, avec le soutien des entités métiers, nous avons pu valider et certifier les données et nous assurer ainsi que notre approche allait dans la bonne direction ».

Cette refonte a permis de revoir son outil de gestion des approvisionnements. « Nous avons pu nouer un partenariat avec Nextail parce qu’ils utilisent également Snowflake. Cela facilite l’échange de données tout en abaissant les coûts de développement », explique Salmane Khamlichi.

Nextail fournit une plateforme SaaS de prévision des réassortiments, de gestion des commandes et des achats.

« C’est une application tierce dont la base de données est Snowflake. Elle se base effectivement sur nos données, que l’on partage avec eux. À partir de là, Nextail a des algorithmes qui s’exécutent sur Snowflake », explique l’interlocuteur du MagIT.

Jules a accès à un portail pour consulter les résultats et ils sont réinjectés dans l’instance Snowflake de l’enseigne.

« Nextail utilise l’IA pour calculer les bonnes quantités et adapter finement le réassortiment des magasins », poursuit-il.

Simplifier l’accès à l’analytique

L’autre volet, l’analytique, est en construction. Cette fois-ci, Jules s’appuie sur la suite BI de Tableau. Ce choix a cette fois-ci été porté par le responsable data en personne. « J’avais déjà une première expérience de Tableau chez RougeGorge, une expérience qui s’est très bien passée. Elle était consacrée à la découverte de la visualisation de données et son déploiement », renseigne Salmane Khamlichi.

Là encore, le responsable juge que la feuille de route de la filiale de Salesforce est « très riche ». La plateforme demeure, selon ses dires, simple à prendre en main et « la communauté Tableau est très active ». « Tableau souhaite démocratiser l’analytique et l’IA. Cela rejoint tout à fait nos ambitions », considère-t-il.

L’adoption de la plateforme est « progressive ». « Nous étions en rodage sur l’outil et il y a eu une grosse accélération depuis environ six mois », indique-t-il. Pour l’heure, 60 collaborateurs du siège ont accès à Tableau et l’outil est accessible dans plus de 400 magasins sur les 550 portant la marque Jules.  

En outre, Jules a déployé trois produits analytiques en production. D’autres sont en développement. Ces déploiements sont pilotés par une « Analytics Factory », une entité qui doit apporter une expertise consacrée aux produits analytiques, qui sont à la fois des tableaux de bord et des applications.

« Il y a tout un processus de conception des tableaux de bord que nous pouvons sans cesse améliorer. Nous avons adopté la méthodologie Sprint Design », déclare le responsable data. « Nous nous mettons autour de la table avec les métiers pour parler de problématiques et non de KPI. “Quelle est votre problématique ? Comment la mesurez-vous actuellement ? Quels sont les freins aujourd’hui ?”. À partir de là, nous travaillons ensemble sur les indicateurs et l’expérience utilisateur qui pourraient les aider ».

Ces tableaux de bord et indicateurs ne doivent pas être figés. « Ces produits peuvent évoluer, faire l’objet d’itérations afin de répondre à l’ensemble des besoins autour de la problématique métier ».

L’un des premiers tableaux de bord conçu selon cette philosophie concerne la production de l’indicateur « click-to-possession », c’est-à-dire le temps moyen entre le paiement et la livraison effective d’une commande. « En six mois, nous avons gagné deux points sur la promesse que l’on fait aux clients sur le respect des délais de livraison des commandes », se félicite Salmane Khamlichi. « Nous avons pu économiser 104 jours par an de productivité. Auparavant, cela était effectué manuellement ».

Un autre tableau de bord est depuis peu consacré à la performance du réseau, des magasins et du Web. L’idée est que les collaborateurs puissent consulter des indicateurs sur la segmentation client par pays, grandes régions, régions et magasins ainsi que sur leur activation à partir du programme de fidélité. « Pour tout mettre en place, cela nous a pris environ trois semaines ».

Enfin, un troisième produit analytique, le « Portail Performance » sera disponible dans les prochaines semaines en magasins. Il vise à mettre à disposition les données financières et de productivité aux responsables des points de vente.

Former, former, former

La constitution de ces outils n’est qu’une des missions de l’Analytics Factory. L’usine doit aider les métiers à réaliser des analyses ad hoc, ponctuelles (pour mesurer la performance des collections éphémères) et, in fine, favoriser la BI en libre-service.

Cela implique, de fait, un travail d’acculturation.

« Chez Jules, il y avait la volonté des métiers de s’approprier le sujet des données et de l’IA, mais ils ne savaient pas par quel bout le prendre ».
Salmane KhamlichiResponsable Data, Jules

« Chez Jules, il y avait la volonté des métiers de s’approprier le sujet des données et de l’IA, mais ils ne savaient pas par quel bout le prendre », considère Salmane Khamlichi. « Nous, nous avons une forte volonté de former les métiers ».

En avril dernier, Jules a organisé l’AI Day, un événement qui a rassemblé 350 collaborateurs du collectif Holtex (Jules, BZB, RougeGorge Lingerie) et neuf partenaires, dont Tableau, Google, Snowflake, Devoteam ou encore Imagino.

« Nous y avons présenté Tableau ainsi que Tableau Pulse et leurs fonctionnalités. Cela a beaucoup intéressé les participants », raconte le responsable Data. « À la suite de cela, nous avons reçu des demandes de formation, de conception de tableaux de bord, etc. Nous avons aussi organisé des matinées autour de la data visualization, de l’IA, des formations [Simplon est partenaire de Jules]… ».

Toujours plus d’intelligence artificielle

Jules compte prolonger ce travail de « coaching » des métiers tout en maintenant un programme chargé.

« L’acculturation permet de débloquer les idées, de changer les mentalités et de démontrer que les données représentent une opportunité pour accompagner la transformation de Jules », assure Salmane Khamlichi.

« La priorité est de poursuivre cette acculturation, de développer et industrialiser les produits analytiques dans un temps court (en moins de trois mois) tout en conservant une vision à douze mois », poursuit-il. « Il est également crucial d’améliorer continuellement la qualité des données, de moderniser le système d’information ainsi que s’appuyer sur des sources de données fiables ».

Dans un même temps, Jules mène un projet consacré à la connaissance à 360 degrés de ses clients et de sa chaîne logistique (Pigment), teste les LLM d’OpenAI pour générer des fiches produits, développe son « SecureGPT » (un équivalent interne à ChatGPT basé sur les modèles Gemini de Google, et s’essaye à la création assistée par les modèles de diffusion.

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