Dématérialisation comptable : comment les Chantiers de l’Atlantique ont traversé la tempête
Les Chantiers de l’Atlantique se sont appuyés sur la mise en place en 2012 de la dématérialisation comptable, pour assurer la continuité d’activité pendant la crise sanitaire et payer les fournisseurs à l’heure. La prochaine révolution devrait être celle de l’IA.
La crise sanitaire a eu des effets profonds sur l’activité des entreprises, et par ricochet sur leurs relations avec leurs fournisseurs. Il y a un an, le Médiateur des Entreprises observait un « tsunami des saisines ». Entre le 1er et le 15 mars 2020, les demandes adressées à la médiation étaient en effet multipliées par dix.
« Depuis septembre 2020, nous ne sommes ni à la normale ni dans les pics que nous avons connus. Actuellement, nous sommes entre trois et quatre fois ce que nous connaissions historiquement », témoigne le Médiateur, Pierre Pelouzet.
La livraison des bateaux dépendante des fournisseurs
Le niveau de tension reste donc élevé, ce qui se traduit concrètement par des différends entre entreprises concernant les retards de paiement. Or, ces délais sont particulièrement préjudiciables à la trésorerie des fournisseurs. Mais aussi in fine à l’activité de leurs clients.
Pour Les Chantiers de l’Atlantique, les paiements ont été un enjeu majeur dès le début de la crise de la Covid-19. Le chantier naval de Saint-Nazaire emploie pour ses activités 3 000 fournisseurs dans le cadre de contrats de longue durée, et dont un tiers est implanté localement.
Comme le souligne Thierry Pralong, son chef du Service Comptabilité, l’entreprise entretient une relation forte avec ses fournisseurs. Cette relation devait être préservée pour permettre un redémarrage de l’activité dans les meilleures conditions et la livraison à temps des commandes. Car les retards sont aussi synonymes d’importantes pénalités.
« Dès le mois de mars 2020, nous nous sommes projetés vers la sortie de crise. Il était capital dans ce cadre d’aider nos fournisseurs à passer eux aussi cette crise, parce que nous aurions absolument besoin d’eux au redémarrage », justifie-t-il.
Cela passait en particulier par des paiements dans les temps, et ce dans un contexte de généralisation du travail à distance. Pour respecter cet engagement, les Chantiers de l’Atlantique se sont appuyés sur le projet de dématérialisation de la facturation mis en place cinq ans auparavant.
Plus de 8 000 factures traitées en mars 2020
Dès mars dernier, le service comptabilité a pu ainsi surpasser son record de factures comptabilisées avec plus de 8 000 traitées en fin de mois. L’entreprise faisait mieux encore en parvenant à avancer les paiements d’un jour. Et cela sans dégradation d’un indicateur clé : celui du taux de factures payées à l’heure.
Ce taux atteignait en mars 2021 les 98,43 %. Un objectif de 98,5 % a été fixé par la direction générale du groupe. Cette réussite s’explique principalement par la dématérialisation des opérations. En mars 2020, déjà 80 % des factures fournisseurs étaient dématérialisées et transmises par email. Le confinement a contribué à faire encore progresser la tendance, accroissant ainsi la productivité.
« Comptabiliser une facture est une forme de course contre la montre. Recevoir une facture par email fait gagner quelques jours. Et c’est plus facile à tracer, tout en supprimant ou réduisant la saisie », vante Thierry Pralong.
Grâce à un système d’OCR (reconnaissance des caractères) les données sont automatiquement extraites des documents pour être injectées dans l’application comptable avec la solution SaaS du Lyonnais Esker. Celle-ci avait été retenue en 2012 pour générer des gains de productivité. Elle contribue aussi à la traçabilité des factures dans les systèmes, permettant de répondre rapidement aux questions des fournisseurs.
Le déclencheur de ce chantier de dématérialisation, c’est au départ une commande en 2012. Mais pas n’importe laquelle. Les Chantiers de l’Atlantique remportaient la construction de ce qui était alors « le plus gros paquebot du monde ».
Cette commande s’accompagnait du doublement du nombre de factures… sans possibilité de doubler parallèlement les effectifs.
Un gain de productivité de 50 % grâce à la dématérialisation
« Il fallait tuer toutes les tâches à faible valeur ajoutée », assène le chef du Service Comptabilité. Et celles-ci ne manquaient pas. Le traitement d’une facture papier se décomposait ainsi en 16 tâches et faisait intervenir 5 personnes, que son montant soit de quelques euros ou de plusieurs milliers.
L’automatisation permet désormais la gestion d’une part significative de ces factures. Ainsi, 20 % des factures sont auto-comptabilisées. Ce qui libère autant de temps pour les comptables, qui peuvent se consacrer à des opérations mobilisant leurs compétences, au contraire de la simple saisie ou de la gestion du courrier.
« Un comptable n’est pas là pour ouvrir des factures, les scanner, les renuméroter et faire de la saisie », tranche Thierry Pralong. « Nous voulions un système qui permette de recevoir les factures par email, de faire de la lecture automatique et de les comptabiliser automatiquement ».
À la clé la fonction comptable serait revalorisée. Et le ROI se traduit aussi avec des retombées financières. En matière de productivité, le gain serait estimé à 50 %. Sans compter sur les gains dans d’autres services des Chantiers de l’Atlantique, dont les achats, le contrôle de gestion et le courrier.
La dématérialisation accélère donc la comptabilisation des factures, mais elle éclaire aussi la problématique des retards de paiement. Le service comptabilité mène actuellement une analyse des causes de ces retards pour y remédier. Et la démarche semble porter ses fruits. Au premier confinement, 92 % des factures étaient réglées à l’heure. Un an plus tard, ce taux est donc de 98 %.
L’IA pour augmenter l’intelligence humaine
Thierry PralongChef du Service Comptabilité, Les Chantiers de l'Atlantique
« La dématérialisation a été une révolution dans les services comptables », raconte Thierry Pralong. La prochaine révolution devrait être celle de l’intelligence artificielle, poursuit-il.
Les comptables exploitent déjà de l’IA au travers de l’OCR intelligente de la solution d’Esker, mais aussi pour le contrôle interne – en particulier sur les IBAN – afin de prévenir fraudes et erreurs.
Comme pour la dématérialisation, l’expert en attend des gains de productivité et de la valeur ajoutée sur le métier de comptable. L’intelligence artificielle vient ainsi, estime-t-il, compléter l’intelligence humaine, sans menacer la profession ou réduire les effectifs.
Quant au potentiel de progression, il serait « énorme », pour le responsable. Par exemple pour alerter les comptables sur l’absence de factures sur la base d’un historique. Un chatbot pourrait aussi aider dans la relation avec les fournisseurs en offrant la possibilité de traiter automatiquement des demandes récurrentes, relatives notamment à la traçabilité d’une facture.
« Je place beaucoup d’espoir dans l’intelligence artificielle, sans en avoir peur. On attend de l’IA qu’elle simplifie notre travail, alors qu’il se complexifie toujours plus. Elle doit ainsi nous libérer du temps pour des tâches plus complexes et plus valorisantes pour la profession », entrevoit Thierry Pralong. Une profession de comptable qui « ne disparaîtra pas à cause de l’intelligence artificielle », mais qui devrait, au contraire, en sortir renforcée.