Data science : Rolls-Royce veut réduire les coûts de ses moteurs
Rolls-Royce Allemagne mise sur la data science pour abaisser le coût de conception de ses moteurs. En cela, elle compte sur son partenariat avec l’éditeur Altair, un spécialiste de la simulation de plus en plus actif dans le domaine de l’analytique avancée.
Si pour beaucoup Rolls-Royce est synonyme de voitures luxueuses, la fabrication de moteurs d’avions et de navires est rapidement devenue son activité principale, et ce dès le début de la Première Guerre mondiale. En 1973, la division automobile Rolls-Royce Motors est séparée du groupe et appartient depuis 2003 à BMW après un passage chez Volkswagen.
Aujourd’hui, 13 000 moteurs de Rolls-Royce Holding PLC propulsent 35 types d’aéronefs commerciaux. Le groupe est également largement implanté sur le marché militaire avec 150 clients dans 100 pays et 16 000 engins en service à travers le monde.
La division allemande, Rolls-Royce Allemagne, basée à Dahlewitz, près de Berlin, emploie 10 000 personnes à travers le pays et a pour client Lufthansa, Airbus, Bombardier, Gulfstream ou encore la Bundeswehr, la force de Défense fédérale allemande. Elle a produit 7 500 moteurs aéronautiques et sa filiale MTU a fabriqué 24 000 engins Diesel « pour de grands et de petits vaisseaux ».
Pour ce faire, Rolls-Royce recourt à la data science et l’analytique avancée depuis de nombreuses années. Le groupe emploie également des algorithmes dans la conception des moteurs. Ils servent à étudier les designs antécédents et les données de simulation associées. Les systèmes d’IA peuvent aider à prédire les performances des engins. Rolls-Royce utilise régulièrement des algorithmes pour automatiser l’inspection des pièces et des moteurs. Les modèles de machine learning doivent aussi faciliter la maintenance prédictive de ces complexes organes. Le groupe industriel a d’ailleurs la volonté de commercialiser des applications et un endoscope intelligent pour réaliser l’entretien des lames de turbines.
Les ambitions de Rolls-Royce vont de l’anticipation des opérations jusqu’à la diminution de l’empreinte carbone des moteurs, voire son éradication par le biais d’engins électriques.
Tout l’objectif de Rolls-Royce Allemagne est de limiter les cycles de conception et effectuer moins d’essais « certifier » les moteurs.
Selon la firme, créer un moteur à réaction peut prendre jusqu’à dix ans et coûter des centaines de millions de dollars.
Rolls Royce Allemagne choisit Altair Knowledge Works
En ce sens, cette filiale a annoncé un partenariat en janvier dernier avec Altair, un éditeur spécialiste historique de la simulation, des HPC et de l’analyse de données. En 2018, Altair a acquis Datawatch, le concepteur d’une plateforme de data science réservée à la finance. Depuis, Altair y a infusé des fonctionnalités dédiées à l’ingénierie et l’a renommé Altair Knowledge Works. Cette suite comprend plusieurs produits : Kowledge Studio, Knowledge Studio for Apache Spark, Panopticon, Knowledge Hub et Monarch. L’éditeur mise beaucoup sur la préparation de données et sur la mise à disposition des outils à des non-data scientists. C’est bien Knowledge Works qui a séduit le fabricant de moteurs.
« Nous avons remarqué qu’au début de la phase de conception, il y a moins de données disponibles. Lors des simulations et des tests, nous collectons des indicateurs complexes et nombreux, mais cela arrive tard dans le processus. Idéalement, nous souhaiterions obtenir des données plus simples, plus rapidement », déclarait Cartsen Buchholz, Project Engineer - Hybrid Electric Flight Demonstrator chez Rolls-Royce Allemagne, lors d’une conférence menée par Altair en 2020.
En un jour, le test d’un moteur peut générer jusqu’à un téraoctet de données brutes. Il faut ensuite plusieurs semaines pour recueillir des indicateurs pertinents après cette étape, considérée comme la plus coûteuse de la conception d’un moteur. À cela s’ajoutent les données de simulation et les indicateurs opérationnels issus des moteurs en service.
Faire converger data science et ingénierie
Carsten Buchholz identifie trois domaines d’applications de la data science. Le premier vise à réduire la complexité de conception en analysant les données en provenance de produits antécédents. Le second cas d’usage concerne l’estimation précise des conditions de stress maximales qu’un moteur pourra subir. Pour cela, il s’agit de classifier les combinaisons d’événements associés à différents organes et pièces de l’engin. En cela, les arbres de décision et les classifieurs bayésiens naïfs sont recommandés. Enfin, l’ingénieur évoque des composants « intelligents », c’est-à-dire l’application de modèles qui apprennent des analyses et des tests, afin d’évaluer si le design d’une pièce est le bon avant même sa fabrication.
Rolls-Royce Allemagne applique déjà en grande partie ces méthodes. En l’occurrence, Carsten Buchholz prend l’exemple du moteur Pearl 700 qui équipe le jet d’affaires Gulfstream G700. Celui-ci dispose d’un rapport poussée/poids 12 % supérieur et son efficience a augmenté de 5 % par rapport à son prédécesseur.
Toutefois, il faut encore que les data scientists et les ingénieurs puissent collaborer aisément, ce qui aujourd’hui n’est pas systématique. De fait, la majorité des initiatives en data science (en sus de l’IIoT, du jumeau numérique, la blockchain, de l’informatique quantique, du pilotage autonome) sont administrées par R² Data Labs. Ces laboratoires situés en Inde et au Royaume-Uni desservent à la fois les besoins internes et externes.
« Rolls-Royce a fait le constat qu’il y avait peu de data scientists, encore moins de data scientists experts en ingénierie. Les ingénieurs, eux, sont nombreux et connaissent bien l’activité. Par ailleurs, ils ont le bagage théorique pour comprendre l’analytique et le fonctionnement des modèles. Si l’on ne peut pas leur demander d’employer des frameworks de data science, cette population peut apprendre à exploiter des solutions low-code/no-code », déclare François Weiler, directeur d’Altair en France.
Des ingénieurs préposés à la préparation de données
Pour autant, les ingénieurs spécialistes des moteurs et de la simulation n’interviennent pas principalement dans l’élaboration des algorithmes.
François WeilerDirecteur d’Altair en France
« La conception d’algorithmes de maintenance ou de prédiction de comportement est relativement bien maîtrisée », considère François Weiler. « Ces modèles de machine learning qui dépendent d’un cycle de développement continu peuvent être mis dans les mains de quelques personnes. En revanche, au quotidien, ce qui coûte de l’argent, c’est la préparation de données, la visualisation, l’analytique. Nos outils doivent aider les ingénieurs à nettoyer les données, à construire des bases de données riches et pertinentes ».
En plus du déploiement sur site de Knowledge Works, l’accord signé entre les deux acteurs inclut une dimension de consultance, le dernier métier d’Altair. Il s’agit en premier lieu de combiner l’analyse de données et le machine learning aux modèles 3D des pièces de moteur. Les méthodes sont « développées en interne ».
« Nous travaillons avec Rolls-Royce depuis des années dans le domaine de l’ingénierie. Nous connaissons les tests et les simulations 3D nécessaires à la conception d’un moteur. Nous développons une expertise autour de la data science, nous pouvons les aider à faire les bons choix », vante François Weiler.
Les deux entreprises commencent par optimiser la mise au point de boîtiers d’accessoires (communément nommés gearbox), des ensembles de trains d’engrenages couplés à différents organes (générateurs électriques, pompes hydrauliques, de carburant, de lubrification, etc.) d’un moteur à réaction. Avec les approches précédentes, ce travail demande plusieurs mois de simulation et d’analyse.
Altair prône notamment une utilisation légèrement différente de la simulation. « Nous sommes des grands avocats de la conception pilotée par la simulation. Elle est employée dès le début d’un projet pour donner des idées, plus seulement pour vérifier des modèles. C’est ce que certains appellent le generative design ou de son véritable nom, l’optimisation topologique », indique le directeur d’Altair France. Cette pratique est plus communément associée à la fabrication additive, mais Altair assure qu’elle facilite aussi la phase de conception dans son ensemble.
Enfin, Altair n’a pas encore finalisé la dimension collaborative de sa plateforme de data science. Il compte bien sur ce partenariat et d’autres, pour ajuster ses briques logicielles afin de mieux répondre aux besoins de ses clients industriels. En France, les constructeurs automobiles Renault et PSA emploient davantage ces solutions de simulation.