Comment l’innovation IT influence la gouvernance des villes de Vienne, Helsinki et Belfast
Des leaders du numérique dans les villes de Vienne (Autriche), Helsinki (Finlande) et Belfast (Irlande du Nord) mettent en œuvre des stratégies de services innovants, au service des citoyens et des économies locales.
Les collectivités locales doivent fournir une vaste gamme de services très différenciés à tous les habitants de leur région, ce qui rend l'innovation difficile. Mais une nouvelle génération d’administrateurs publics locaux emprunte des idées et des méthodes de travail à des innovateurs du secteur privé, tout en collaborant avec des entreprises et d'autres villes pour tenter d'égaler les services numériques privés, désormais familiers de leurs administrés.
Vienne mise sur les méthodes agiles
L'une des techniques utilisées par ces fonctionnaires novateurs consiste à créer de nouvelles équipes, habilitées à travailler de différentes manières. Début 2016, la municipalité de Vienne, en Autriche, a par exemple créé PACE, une organisation interne d'innovation numérique, pour réaliser les idées d'une application urbaine fondé sur les remontées d'un groupe de 150 Viennois.
Robin Heilig, membre de la DSI de la capitale autrichienne, avait pourtant estimé qu'il n'était pas possible de construire une telle application dans un délai raisonnable, comme l'avait promis le directeur adjoint du conseil municipal. Deux semaines plus tard, lui et deux développeurs, devenaient responsables de PACE.
En septembre 2016 avec une première version de l'application « Sag's Wien », un outil de signalement par les usagers de toute forme de dysfonctionnement lié à l’administration de la ville, voyait le jour. Elle entrait en phase de test bêta en octobre. L’équipe a pu tenir les délais en s’appuyant sur des méthodes agiles de développement mais également en facilitant les itérations des services municipaux, qui ont pu ainsi prendre des décisions rapides basées sur des séries de messages ou d’appels téléphoniques, plutôt qu'en réunion. L'application a été officiellement lancée en février 2017 et, au début de juin 2019, elle avait été téléchargée 43 850 fois.
L’équipe PACE compte désormais 11 collaborateurs et, bien qu'elle reste une entité distincte, Robin Heilig explique qu’elle influence grandement, par ses retours d’expérience, l’organisation de la DSI tout entière : « nous procédons pas à pas, en essayant de remonter les leçons de PACE dans notre service informatique et de voir ce qui peut fonctionner à plus grande échelle.
Désormais, PACE travaille sur « Mein Wien » (Ma Vienne), un portail citoyen et un service d'assistant numérique lancé en version bêta en novembre 2018, que la ville prévoit d'intégrer à sa page d'accueil. L'objectif est de rassembler des informations localisées sur Vienne couvrant des domaines tels que les arts et les événements, ainsi que d'offrir un accès aux services municipaux. « Nous intégrerons tout ce qui intéresse les citoyens sur une seule et même présentation », explique M. Heilig.
Selon lui, les pouvoirs publics n’ont pas la réputation d’être à la pointe de l'innovation. Du coup les citoyens ne s’attendent pas à trouver les services de la ville à ce niveau. De fait, « ce qu'ils attendent de nous, c'est que nous leur offrions une expérience utilisateur similaire à celle à laquelle ils sont habitués dans leur vie numérique privée » à travers les plateformes les plus populaires.
C’est cette approche plateforme qui est d’ailleurs visée par Robin Heilig qui estime, « qu'à l'avenir, nous devrons réfléchir à la manière d'intégrer, non seulement nos propres services, mais aussi les banques, les compagnies d'assurance et un ensemble de services à la personne privé ou public ». Dans l’esprit des informaticiens de Vienne, les autorités locales sont idéalement placées pour gérer de tels processus, si tant est qu’elles acceptent de collaborer entre-elles et avec les principaux opérateurs concernés.
Helsinki milite pour approche collective de l’IT des grandes villes du monde
De son côté, Helsinki, la capitale finlandaise, met l'accent sur la collaboration avec d'autres villes et des entreprises pour améliorer son approche du numérique. En février de cette année, le premier directeur du numérique de la ville, Mikko Rusama, a signé une « déclaration numérique de ville à ville » avec Theo Blackwell, son homologue à Londres. Les deux villes cherchent à organiser des défis communs fondés sur l'innovation civique mais également à procéder à des échanges de personnel en fonction des projets et des compétences requises.
Theo Blackwell et Mikko Rusama ont récemment rédigé un article conjoint (en anglais) sur l'éthique des villes utilisant l'intelligence artificielle (IA) dans la prestation de services publics. Une publication faisant suite à une conférence tenue en avril à Helsinki sur l'éthique des données et de l'IA, qui a réuni Theo Blackwell mais également des délégués d'Amsterdam, Utrecht, Tallinn, capitale estonienne et d'autres villes de Finlande. Helsinki travaille également dans un contexte similaire avec New York mais cette fois sur des projets ayant trait à la cybersécurité.
Helsinki travaille également avec des entreprises locales. Mikko Rusama préside ainsi le Forum Virium Helsinki, qui travaille au développement de zones « intelligentes » (comprendre numériques et connectées) de la ville, par le biais de projets alliant secteurs public et privé.
La municipalité teste ainsi actuellement des technologies IoT (Internet des objets) conjointement avec trois entreprises dans un contexte d’optimisation des processus de pré-approvisionnement. La ville a également transformé un hôpital du XIXe siècle qu'elle possède - construit à l'origine pour traiter le choléra - en bureaux pour plus de 100 start-ups technologiques.
« Nous devons tous appréhender notre rôle dans l'écosystème », explique Mikko Rusama. « Une ville est une plate-forme. Si nous utilisons nos actifs intelligemment et les ouvrons à l'écosystème, nous pouvons vraiment aider cet écosystème à prospérer. »
Cet objectif peut être notamment atteint en ouvrant l'accès aux données. Helsinki examine ainsi comment utiliser les données personnelles des citoyens pour leur fournir de meilleurs services. Mikko Rusama indique que ce travail devra aller au-delà du simple respect des lois sur la protection des données, en se fondant sur la transparence et en suscitant la confiance. C’est d’ailleurs ce concept clé du développement de l’e-administration qui était l'un des motifs majeurs de l’organisation de la conférence sur les données et l'éthique.
Outre la confiance, le succès des initiatives numériques des villes réside également, selon Mikko Rusama, sur la praticité des services envisagés et sur l’expérience utilisateur. L’idée serait de proposer des options de services prédéfinis en fonction des profils et non plus d’attendre en permanence les retours des usagers. Par exemple, les parents finlandais envoient généralement leurs enfants dans l'école la plus proche de leur domicile et qui parle leur langue (certains Finlandais parlent suédois). De sorte que la ville pourrait proposer une localisation et une pré-inscription automatique en fonction des profils, mais avec bien sûr la possibilité de faire un choix différent si besoin.
Mikko RusamaDirecteur du numérique de la ville d'Helsinki
Helsinki travaille également sur les moyens de rendre les soins de santé - gérés par les autorités locales en Finlande - proactifs, par exemple en offrant un soutien personnalisé aux personnes dont les données suggèrent qu'elles pourraient développer le diabète ou toute autre affection.
Mikko Rusama convient que des entreprises produisent des recommandations personnalisées depuis un certain temps, mais selon lui les villes peuvent faire des choses que ces entreprises ne peuvent pas faire, ne serait-ce que dans le secteur non marchand ou encore en s’appuyant sur des données trop personnelles pour être ouvertes aux entreprises.
« Nous n'avons pas l'argent dont disposent Amazon, Google ou les entreprises chinoises pour développer l'IA », reconnait-il cependant. Mais « l'innovation peut se produire dans la façon dont nous offrons nos services. »
Smart Belfast promeut l’autonomie numérique monétaire
Tout comme Helsinki, Belfast se veut résolument une smart-city, et comme Vienne, au cours des deux dernières années, elle a mis en place une équipe dédiée à l’innovation au sein de son département IT. Le programme Smart Belfast adresse un quartier intelligent de 20 km2 comprenant le centre-ville, le port, le quartier du Titanic et l'hôpital Royal Victoria. Il doit inclure à terme des services liés aux énergies alternatives, à la recharge des véhicules électriques et l'aide à la vie autonome assistée par la technologie.
« En gros, nous souhaitons faire de Smart Belfast un laboratoire grandeur nature pour nos entreprises et nos universités », explique Deborah Colville, directrice de l'innovation de la ville de Belfast.
Plutôt que de construire sa propre technologie, l'équipe se concentre sur la collaboration avec d'autres organisations, y compris les petites entreprises, par le biais d’une initiative de recherche sur celles-ci, un programme gouvernemental qui permet aux organisations du secteur public de fournir du financement pour tester des idées et développer des prototypes.
Plus généralement, le conseil municipal travaille avec les entreprises locales pour s'attaquer à toute une série de problèmes, tels que l'expérimentation de l'utilisation des tentatives de connexion d'appareils mobiles - afin d’estimer le nombre de visiteurs dans le parc des jardins botaniques, les terrains de sport et le cimetière de la ville.
Selon Mme Colville, l'avantage d'avoir une équipe spécifique réside dans l'importance qu'elle accorde à son travail : « Au sein du conseil, ce n'est généralement pas un travail quotidien pour tout le monde », dit-elle. Le conseil n'a pas pour objectif de gérer des projets, avec un « challenge owner » nommé dans chaque département pour gérer les services.
L'un des programmes de la ville prévoit la création d'une monnaie numérique, la Belfast Coin, pour renforcer l'économie locale. En août dernier, un incendie au Bank Building de Belfast a entrainé la fermeture du magasin Primark de la ville, en provoquant le blocage d’un important carrefour et en réduisant ainsi le nombre de clients.
Grainia Long, commissaire chargée de la résilience à Belfast, déclare : « C'est ainsi que nous avons réalisé qu'en tant que ville, nous devions trouver de bien meilleures façons de construire, de soutenir, d'encourager et de récompenser les dépenses dans le centre-ville ».
La ville a choisi la startup israélo-britannique Colu pour gérer le projet à travers 100 villes résilientes, un réseau financé par la Fondation Rockefeller. Bien que Colu ait mis en place des services dans d'autres villes, y compris Tel Aviv et Liverpool, le conseil municipal a voulu disposer d’un programme spécifique - d'où le Belfast Coin.
« Nous voulions construire un écosystème qui nous permette de participer également », explique Grainia Long. Dans le cadre de cet effort, bien que le conseil municipal soit un utilisateur clé, il présentera le projet comme appartenant à la ville elle-même. « Il est important que les résidents n'aient pas l'impression que cela leur est fait », ajoute-t-elle.
M. Long est d'accord avec d'autres villes pour dire que la collaboration est un élément essentiel de l'innovation. « En tant que ville, Belfast est très ouverte à l'apprentissage des autres », dit-elle, faisant référence à ses liens avec Dublin et Limerick en République d'Irlande ainsi qu'avec les villes d'Europe et d'ailleurs. « Nous serions fâchés de ne pas le faire. »
Texte adapté d’un article de SA Mathieson publié sur Computerweekly.com. SA Mathieson édite également le magazine In Our View pour Socitm, un réseau professionnel de leaders numériques du secteur public britannique.