Comment le BIM influence la construction du Grand Paris Express
Lors d’une session virtuelle organisée par Plan Radar, deux responsables de la Société du Grand Paris ont présenté les ambitions et les enjeux de l’adoption du BIM dans le cadre du chantier du Grand Paris Express.
Les Franciliens connaissent bien les enjeux du Grand Paris Express (GPE). Cette réalisation d’envergure lancée en 2011, dont le coût estimé atteint 26 milliards d’euros, a pour objectif d’ajouter 200 kilomètres de réseau automatisé, quatre lignes de métro (lignes 15,16, 17 et 18) et deux extensions pour les lignes 11 et 14. Au total, le GPE doit entraîner la construction et l’ouverture de 71 nouvelles stations. La fin des travaux est prévue pour l’année 2030.
Pour respecter au mieux les délais, la Société du Grand Paris (SGP), en charge de la maîtrise d’ouvrage de ce projet depuis sa création en 2010, doit relever plusieurs défis. Elle conçoit le réseau de transport du Grand Paris Express, elle assure la réalisation du projet et « accompagne la transformation de la métropole ». Dans ce cadre, la SGP doit établir les plans des nouvelles lignes, faire en sorte de prendre des décisions de conception, d’assurer la bonne implémentation des nouvelles installations au sein des infrastructures existantes, ou encore d’articuler les échanges entre les donneurs d’ordre, la collectivité, les entreprises et artisans du BTP engagés dans les différents chantiers.
Dans ce contexte, la Société du Grand Paris a décidé d’adopter la méthodologie BIM. « Cette démarche a été initiée en 2015. Elle avait pour objectif de permettre à la maîtrise d’ouvrage d’obtenir plus de visibilité et de transparence sur l’atteinte des objectifs, qu’ils soient techniques, calendaires ou financiers », déclare Nicolas Delrieu, animateur de la démarche BIM pour la Société du Grand Paris.
« Elle constitue aussi pour nous une opportunité pour appréhender et gérer la complexité technique et nous permettre de faire collaborer les différents intervenants et les nombreuses parties prenantes sur la conception des futurs métros », ajoute-t-il.
Une technologie qui concerne tous les acteurs du bâtiment
BIM vaut pour Building Information Modeling, Management ou Model. En français, cet acronyme signifie « bâti immobilier modélisé », comme l’a statué la commission d’enrichissement de la langue française au journal officiel le 29 janvier 2019. Pour la SGP, il s’agit de « la modélisation, la gestion du modèle de données d’un ouvrage ».
Un BIM vise à produire une maquette numérique, généralement en trois dimensions, afin de mettre en perspective les structures d’un bâtiment ou d’une infrastructure et de ses équipements, comme les canalisations ou les éléments d’un réseau électrique.
Jocelin BirlingResponsable gestion configuration et usages BIM, SGP
En résumé, il s’agit de retranscrire ce qui est habituellement affiché sur plusieurs plans d’architecte en deux dimensions dans un seul ensemble. De la sorte, il est normalement plus aisé de constater les interactions entre les éléments d’un bâtiment lors de la phase de conception, puis de construction. Par exemple, dans une vidéo de présentation, la SGP présente une modélisation en 3D de la gare Saint Denis-Pleyel, où les portiques de validation sont représentés.
« Superposer l’ensemble des plans édités par toutes les parties prenantes est compliqué. Le BIM et la modélisation 3D nous permettent d’anticiper certaines des problématiques et de comprendre rapidement les projets menés en parallèle en phase de conception et d’exécution », déclare Jocelin Birling, responsable gestion de configuration et usages BIM chez la Société du Grand Paris.
La pratique du BIM s’avère particulièrement codifiée. Elle répond à des normes ISO, des standards, mais est aussi encouragée dans la construction des biens immobiliers publics depuis la publication d’une directive européenne en 2014. En France, le ministère de la Cohésion des territoires a lancé le plan BIM 2022, visant ni plus ni moins à « généraliser la commande en BIM dans l’ensemble de la construction » et favoriser la transformation numérique du secteur du bâtiment.
Les usages du BIM de la Société du Grand Paris
En 2017, La SGP a publié une charte BIM afin de déterminer les usages de cette méthodologie dans la conception et la construction des gares, des tunnels, des ouvrages de service et les équipements du Grand Paris Express. L’organisation a mis à jour le document en mars 2021, avec un retour d’expérience. Ce document joue à la fois le rôle de cahier des charges de l’implémentation technique du BIM, de répartition des rôles et définit les interactions entre les différents acteurs impliqués dans le GPE.
« La démarche BIM a permis d’adopter une sorte de langage commun autour de la donnée en la structurant et la codifiant au travers des maquettes numériques, qui seront enrichies par chacun des acteurs à chacune des phases de conception », indique Nicolas Delrieu.
« Sur les 26 usages définis par les différents groupes de travail dédié au processus BIM, nous en avons quatre. L’usage principal correspond à cette revue de projet simplifiée par la 3D. Nous produisons également les plans à partir des maquettes et non l’inverse. Ensuite, la synthèse BIM doit permettre la coordination entre les différents acteurs et les différents métiers », liste-t-il.
« C’est un véritable outil d’aide à la décision », se réjouit l’animateur de la démarche BIM. « Elle sert aussi bien pour l’agencement des géométries, l’implémentation des composants ou encore la vérification de la qualité des matériaux. Nous avons pu expérimenter les forces de la 3D permettant de mieux comprendre les solutions qui nous sont proposées et d’éclairer les choix effectués », complète-t-il.
Enfin, l’équipe BIM de la SGP est en train développer le DOE (Dossier des Ouvrages Exécutés) en BIM, « en reproduisant ce qui a été réellement construit, et en le comparant éventuellement à ce qui a été initialement prévu au travers des études d’exécution. Cela permet notamment de lever des réserves et prendre la possession des ouvrages », précise Nicolas Delrieu.
Des freins subsistent
Si cette méthodologie s’appuyant sur des logiciels a fait ses preuves, certains freins à son adoption subsistent. « Le premier rôle de la maîtrise d’ouvrage est de passer des contrats avec des acteurs », explique Jocelin Birling.
Cette définition de contrat dans le processus BIM pose encore problème. « Nous avons encore du mal à définir clairement les besoins, que ce soit pour les assistants à la maîtrise d’ouvrage, les maîtres et dans une certaine mesure les entreprises de réalisation. Nous avons besoin d’une référence plus facilement applicable », déplore le responsable. En clair, s’il est possible de représenter des bâtiments avant, pendant et après leur construction, il est parfois difficile d’associer au BIM des ordres de mission qui permettent d’établir les périmètres d’interventions des acteurs sur les différents chantiers. « Nous allons obtenir des couples de missions qui seront peut-être un peu floues ou encore avoir des rendus incomplets », illustre Jocelin Birling.
Techniquement parlant, la SGP souhaite relever le niveau d’information (level of information need) par objet BIM à un moment T du projet Paris Grand Express.
« Il s’agit du niveau d’information dont nous avons besoin pour chaque acteur et pour chaque phase du projet. C’est-à-dire que nous n’avons pas besoin de la même information en phase d’esquisse ou en phase de réalisation. C’est ce cadre de référence pour chacun des objets et des maquettes de la démarche BIM qu’il faut aujourd’hui mettre en place, afin de faciliter sa gestion et son utilisation au quotidien », précise Jocelin Birling.
In fine, il s’agit de représenter le planning des chantiers et de l’avancement des paiements, des factures ainsi que la génération des coûts à partir du processus BIM.
« Nous sommes conscients aujourd’hui que ce travail est colossal à réaliser si nous devons prendre en compte l’ensemble des acteurs, des phases, des objets et le fait que le juste milieu entre un niveau d’information cohérent et pertinent et trop d’informations s’avère difficile à trouver », déclare Jocelin Birling.
Outre le manque de référence ou de standardisation, cette difficulté est liée à la faible adoption du BIM par la plupart des acteurs du BTP. « Il serait intéressant que l’ensemble des acteurs puissent prendre part à ce processus BIM, et non pas seulement cette petite élite qui fait du BIM pour du BIM », note le responsable.
Démocratiser le BIM chez les partenaires de la Société du Grand Paris
En cela, la charte conçue par la Société du Grand Paris doit être « une aide à la montée en maturité » de ses partenaires.
Ainsi, le document explique certains termes du BIM, mais la SGP a préféré établir son propre lexique, plus compréhensible par les néophytes.
Nicolas DelrieuAnimateur de la démarche BIM, SGP
« La première version de la charte BIM demeurait conceptuelle. Nous avons considéré qu’il était nécessaire de la mettre à jour pour la rendre beaucoup plus pragmatique et opérationnelle », ajoute Nicolas Delrieu. « Le BIM n’est pas un projet, il n’est qu’un outil dans le cadre de la réalisation d’un ouvrage », souligne-t-il.
De plus, en sus des échanges avec les entreprises de réalisation, la Société du Grand Paris communique avec les responsables des collectivités et expose ses projets aux citoyens. « Avec la 3D, il est quand même plus évident de faire comprendre pourquoi il est nécessaire de faire un énorme trou et d’y faire descendre un tunnelier dans leur ville pour pouvoir faire une gare », plaisante Nicolas Delrieu.
Puis, il reste à démocratiser les formats de fichiers OpenBIM, « pour faire avancer l’interopérabilité ». « Ce sont principalement les formats IFC [Industry Foundation Classes] et BCF [BIM Collaboration Format] qui sont libres, ouverts et non propriétaires. Ils vont nous permettre le plus simplement et le plus rapidement possible d’accéder à de l’information et à des données », indique Jocelin Birling.
Aussi, les outils à la disposition des maîtrises d’ouvrage doivent lire plus simplement ces fichiers. « Nous n’avons pas le droit légalement d’imposer des logiciels. Cela veut dire que nous devons nous appuyer sur des formats standards, ouverts et internationaux », précise Nicolas Delrieu. « C’est une des solutions qui nous permettent d’approcher l’interopérabilité, qui est loin d’être parfaite aujourd’hui, mais nous observons des progrès depuis ces dernières années ».
Et si les solutions des éditeurs français couvrent bien les besoins de modélisation, elles seraient plus limitées pour effectuer des tâches de maîtrise d’ouvrage. « Il manque encore quelques outils qui soient à la fois simples et ergonomiques, peut-être pas aussi onéreux que d’autres solutions qui font beaucoup de choses », déclare Nicolas Delrieu. « Investir plusieurs milliers d’euros par an et par personne pour un outil dont vous utilisez moins de 5 % des fonctionnalités est tout de même un peu problématique ».
De manière générale, ce coût serait un frein à l’adoption du BIM par les acteurs du BTP. L’abaissement des frais de déploiement liés à cette démarche serait l’une des conditions nécessaires à sa démocratisation. « Au-delà de la facilité des nombreuses promesses et opportunités qu’offrent le BIM, il y a aussi, derrière la réalité des coûts et des délais qu’il ne faut pas ignorer », prévient Nicolas Delrieu.
L’animateur affirme qu’il ne peut pas révéler le logiciel utilisé par la SGP, mais celui-ci est déployé en SaaS. Des informations disponibles publiquement démontrent que les produits Revit et 3D Civil ont été utilisés par le cabinet d’ingénierie Systra dans le cadre du Grand Paris Express, tandis que le groupe d’ingénierie Egis a aussi employé les logiciels d’Autodesk dans la conception de la ligne 16. Enfin, Axima Concept, filiale d’Engie Solutions, est le bénéficiaire du marché d’assistance à la maîtrise d’ouvrage lié au BIM Management pour les ouvrages des lignes du Grand Paris Express. L’intégrateur participe entre autres à la conception des usages DOE au cours de cet accord-cadre d’une durée de quatre