Comment Renault suit à la trace ses moteurs et ses boîtes de vitesse
Le groupe Renault connecte désormais 5 000 emballages pour localiser des organes coûteux des véhicules que sont les moteurs et les boîtes de vitesse. Pour cela, le constructeur a fait appel à Objenious, filiale de Bouygues Telecom, et son réseau LoRa.
Quel meilleur secteur que celui de l’automobile pour prendre le pouls de la transformation numérique ? Ébranlés par le Dieselgate, pressés par la modernité de la proposition de Tesla (malgré la qualité discutable des finitions des véhicules), les géants du domaine appuient le plus fort qu’ils peuvent sur l’accélérateur chromé, sur lequel brille en lettres lumineuses le mot « innovation ». Optimiser les moteurs thermiques, développer leurs équivalents électriques et l’approche hybride, rafraîchir les habitacles, et les numériser sont les avancées visibles de ces efforts.
Mais derrière le rideau, dans les usines et les ateliers, il a fallu et il faut transformer les méthodes, les outils ainsi que les équipements pour suivre le rythme, produire mieux, quitte à refréner le grain de folie de certains ingénieurs. Il est loin le temps où, rien que pour voir, l’on adossait un V10 de 780 chevaux, un engin de formule 1 qui plus est, à la carrosserie d’un Espace.
Justement, le constructeur qui a cautionné et co-développé ce prototype, Renault, a depuis lors renforcé son influence internationale, grâce à son alliance avec les Japonais Nissan et Mitsubishi. Le groupe français compte 40 sites de production et 13 autres dédiés à la logistique dans 16 pays. Depuis 2016, il pousse son passage à l’industrie 4.0 sur plusieurs axes. Gestion des données IIoT, connexion de ses usines ou encore modification en profondeur de sa supply chain, sont quelques-unes de ses priorités.
L’exemple le plus parlant de cette volonté s’observe dans le contrat de co-innovation avec Google Cloud. Les services du géant américain remplacent petit à petit les composants du lac de données Hadoop existant afin de développer les cas d’usage d’intelligence artificielle. Le groupe s’intéresse également de très près à la blockchain avec IBM.
Mais quoi de mieux que l’IoT pour relier les trois axes que nous avons cités, quelques lignes ci-dessus ? À ce titre, Renault et Objenious, filiale de Bouygues Telecom, ont lancé un partenariat entre 2017 et 2018 pour tester les capacités du réseau LoRaWAN, et finalement l’adopter en production.
Le suivi des emballages, une nécessité pour Renault
Le constructeur a choisi d’exploiter les capacités de cette connectivité pour répondre à plusieurs problématiques, dont celle de la logistique
Un ballet complexe se met en place pour faire transiter les pièces et les instruments entre les manufactures, celle du constructeur et de ses partenaires équipementiers. Pratiquement tous les éléments qui constituent des véhicules circulent dans des camions, protégés par des emballages. Plus de 12 millions de ces bacs et cartons voyagent d’usine en usine au niveau mondial. Or, une fois remplis, ces emballages prennent automatiquement de la valeur pour l’entreprise. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’est pas si difficile d’égarer des pièces aussi grosses qu’un moteur dans le secteur automobile. À titre d’exemple, l’une des usines les plus connues de Renault en France, celle installée à Flins-Sur-Seine dans les Yvelines, s’étale sur 237 hectares et comporte 67 hectares de bâtiments couverts.
« On m’a demandé d’intégrer de la technologie dans les packagings afin d’améliorer et optimiser leur gestion », explique Emmanuel Fraisse, chef de projet Tracking Emballage chez Renault. « Nous avons travaillé en priorité sur les emballages d’organes, ceux qui permettent de sécuriser le transport de grosses pièces comme les moteurs et les boîtes de vitesse entre nos usines », ajoute-t-il.
Les responsables de production avaient du mal à connaître la localisation de ces pièces, et donc d’y accéder au bon moment. « Il nous arrive d’en égarer : cela peut vouloir dire que les emballages ont été envoyés sur un site où ils n’ont pas lieu d’être, qu’ils ont été laissés de côté et retrouvés quelques mois plus tard ou bien qu’on nous aide à les faire disparaître », liste Emmanuel Fraisse. Évidemment, cela génère des coûts de dysfonctionnement important.
À ce cahier des charges, le chef de projet devait répondre à des impératifs de facilité de déploiement pour « un coût abordable ». Il y avait également une exigence de durée de vie des capteurs associés aux boîtes qui sont généralement employés pendant une dizaine d’années. « Je ne sais pas si nous arriverons à bénéficier de tags qui tiennent aussi longuement sur leur batterie, mais les réseaux type 2G/3G/4G ne permettent pas aujourd’hui d’obtenir une durabilité de cet ordre-là », considère Emmanuel Fraisse.
Le chef de projet et son équipe ont testé « beaucoup de technologies LPWAN », mais une problématique connexe justifie le choix de LoRa. Les cartons se retrouvent dans certains cas empilés les uns sur les autres. « Nous stockons des centaines d’emballages au même endroit avec une dizaine ou une quinzaine de tags au mètre carré. Nous avons dès lors besoin d’un réseau avec lequel nous pouvons ajouter des zones de couverture dans ces espaces d’entreposage », explique le responsable.
S’il est toujours possible de déployer des réseaux privés LoRaWAN, Renault a été séduit par l’accompagnement et les options de couverture fournis par Objenious. En effet, l’opérateur principal de ce réseau en France propose depuis décembre 2017 une offre de géolocalisation. Il l’a doublé d’un partenariat avec des fabricants de gateways 4G, dont Multitech, émettant un réseau privé LoRa pouvant être relié au réseau public d’Objenious.
« Nous positionnons des microcellules dans les différentes usines via des gateways cellulaires qui vont transmettre des informations sur notre cœur de réseau pour ensuite l’envoyer vers le SI de Renault », précise Stéphane Deruette, Directeur Commercial - Business Unit IoT chez Objenious.
Ces passerelles sont installées dans les usines et 5 à 10 antennes par site suffisent, selon Emmanuel Fraisse. Elles communiquent avec les balises placées sur les cartons et les bacs.
L’interprétation de la géolocalisation se joue entre l’objet connecté et l’antenne. « Les données brutes de chaque capteur sont remontées côté SI pour cartographier et positionner correctement les emballages dans les usines », déclare Stéphane Deruette. « L’ingénierie radio est importante pour couvrir les sites tout comme l’emplacement des gateways afin d’éviter les zones d’ombre ».
Outre des données de position, ces capteurs peuvent collecter des informations de température et des accélérations. Elles permettent de mieux renseigner sur les conditions de stockage des cartons et des bacs. Est-ce que les moteurs et les boîtes de vitesse qu’ils contiennent ont pris un choc ou sont-ils exposés à des températures extrêmes ? Voilà le type d’indicateur précieux pour les équipes de Renault. « Demain, nous envisageons d’ajouter des capteurs de mesure d’hygrométrie pour identifier les causes de la rouille qui parfois entament la qualité des pièces. Nous prévoyons aussi d’exploiter des technologies de géolocalisation plus fine complémentaire à LoRa, probablement du WiFi, pour des cas spécifiques ».
Ces informations sont envoyées vers une plateforme de traitement de données composée de l’existant de Renault et des offres cloud de GCP, dont le fameux service orienté événements Cloud Pub/Sub « Nous obtenons des indicateurs métiers et de suivi de fonctionnement de boucle d’emballage », précise Emmanuel Fraisse.
Ils sont figurés sous forme de « boîtes », des tableaux de bord qui spécifient simplement la position des objets et leur statut.
« Les cartes sont jolies pour démontrer l’usage à un responsable, mais un opérationnel a besoin de savoir si l’emballage se trouve dans un endroit autorisé ou non, si la quantité affichée sur l’écran correspond à la réalité, etc. », considère le chef de projet Tracking Emballage.
La solution actuelle permet de réduire ces coûts de dysfonctionnement générés par la production, l’utilisation des cartons et des bacs ainsi que leur transport.
Les bienfaits de l’IoT se font déjà ressentir
Emmanuel FraisseChef de projet Tracking Emballage, Renault.
« Nous avons très fortement augmenté notre taux de service, et dans un deuxième temps, il s’agit de diminuer les achats et les investissements » prévoit le chef de projet. Selon un communiqué commun aux deux sociétés, Renault aurait abaissé de 80 % les pertes des paquets connectés.
Le fabricant automobile gère actuellement 5 000 emballages IoT dans douze usines et d’autres sites éligibles sont en cours de construction.
À cet effet, le déploiement du réseau LoRa a débuté en 2019. La préparation dure trois à cinq mois, tandis que l’installation en elle-même nécessite quelques jours, selon Stéphane Deruette.
« Même si le calcul est complexe et découle du nombre d’antennes, du nombre de messages qui transitent sur le réseau, nous estimons que nous pouvons accueillir 50 000 tags par usine », affirme Emmanuel Fraisse. « Indépendamment du coût des balises, on pourrait connecter 150 000 emballages par an », ajoute-t-il.
La convergence des projets sur le réseau LoRa
À terme, Renault souhaite développer la visibilité de ces emballages en dehors de ces usines. Pour cela, le constructeur compte utiliser le réseau public d’Objenious pour visualiser les livraisons des pièces. « Il y a encore un peu de travail de ce côté-là », estime le chef de projet.
La convergence des projets sur le réseau LoRa
Il s’agit là d’un projet important, mais qui à lui seul ne justifiait pas l’investissement dans le réseau LoRa. Le groupe a déjà largement déployé le WiFi pour faciliter les opérations menées par ses collaborateurs. Ce cas d’usage de tracking est né de la « convergence » avec un projet de mesure de la consommation énergétique sur les sites de production.
« Un troisième programme de smart building commence à prendre forme dans les centres techniques et nous développons petit à petit d’autres cas d’usage, tels que la maintenance préventive, le suivi des travailleurs isolés, etc. L’objectif à terme est que l’ensemble des sites Renault Monde soient couverts par le réseau LoRaWAN », relate Emmanuel Fraisse.
« Nous nous entourons d’un écosystème de concepteurs. Quand nous détectons des cas d’usage intéressants pour Renault, nous les leur proposons en fonction de leurs ambitions », ajoute Stéphane Deruette.
« Les cas d’usage vont se multiplier avec l’installation du réseau, même s’ils ne sont pas forcément identifiés aujourd’hui », conclut le chef de projet Tracking Emballage
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