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Comment Leicester a gagné le Championnat d'Angleterre grâce a l'analyse statistique
Leicester City a gagné - à la surprise générale - la Premier League. Donné vainqueur à 5000 contre 1 en début de saison, le club s'est appuyé sur l'analyse de données pour optimiser les performances de ses joueurs et adapter ses tactiques en quasi temps réel.
Leicester City est le nouveau champion d’Angleterre de football. Pourtant, début avril, alors que le club dominait le classement, beaucoup de parieurs pensaient encore que l'équipe n'irait pas au bout. Ils avaient torts.
Au mois de mai, lorsque les « Foxes » (les « Renards », macotte de Leicester) ont sellé leur succès - construit tout au long de la saison sur un jeu rapide de contre-attaque - les bookmakers ont du se rendre à l'évidence. Ils allaient devoir passer à la caisse. Il s'agissait bel et bien de la plus grosse cote de l'histoire du sport britannique, mais Leicester « l'avait fait ».
Comment ?
En utilisant les données, la technologie (en premier lieu les wearables) et les outils analytiques comme ceux de Prozone Sports, qui travaille avec pratiquement tous les clubs anglais.
Le taux de blessures le plus bas du championnat
« Le staff de Leicester reçoit des données compilées avec notre outil de suivi Prozone3. Ces informations ont permis d'améliorer la personnalisation des entraînements avec des informations sur l'état physique du moment des joueurs, les distances qu'ils parcourent, des retours sur leurs sprints ou sur leurs courses à haute intensité », explique Chris Mann, marketing executive à Prozone Sports. Avec à la clef, une meilleure condition générale des sportifs. Or les spécialistes s'accordent à dire qu'un des facteurs du succès de Leicester est le nombre anormalement faible de blessures qu'a subies l'équipe pendant la saison.
Une anecdote résume parfaitement la chose. Lorsque que Claudio Ranieri entraînait Chelsea entre 2000 et 2004, il était surnommé le Tinkerman (l'homme qui change son 11 de départ à chaque match). Le coach italien a fait du bon travail avec le richissime club londonien mais il n'a gagné aucun titre. Avec Leicester, un des plus petits budgets en Angleterre, l’entraîneur a quasiment aligné la même équipe type tout au long de la saison.
Pour arriver à ce résultat, le club a donc utilisé l'analytique de Prozone mais aussi les « objets intelligents » OptimEye S5 de Catapult Sports. Une sorte de GPS miniature ultra-précis, jumelé à un ensemble de capteurs (accéléromètre, gyroscope, boussole) et à un processeur pour traiter les données de manière embarquée.
Les joueurs de toutes les équipes de Leicester (l'équipe première mais aussi celles des jeunes) ont porté ce tracker dans le haut de leurs dos pendant les entraînements (les trackers ne sont pas autorisés en match à l'heure qu'il est). Les données ainsi remontées ont permis de modéliser les charges de travail supportées par chaque joueur et d'avertir le staff dès qu'un de ceux-ci dépassait sa limite habituelle. Autrement dit, quand un joueur entrait dans le rouge et risquait une blessure.
« Nous ne disons pas que nous sommes la solution anti-blessure. Mais nous aidons vraiment à les éviter. Et Leicester a fait cela à merveille », explique Paul Boanas, responsable EMEA de Catapult.
Le club a également utilisé cette technologie pour valider les retours de blessures (ou décaler le retour d'un joueur) en comparant les performances des convalescents avec leurs performances « normales ».
Une Data Room dans le Stade pour les jours de match
Bien sûr, l'IT n'est pas la seule discipline concernée par cette culture de la science appliquée. Leicester a par exemple investi dans des appareils de cryothérapie pour accélérer la récupération grâce à de courtes périodes d'exposition à de très basses températures obtenues avec de l'azote liquide. En fait, la science et les données irriguent le club.
Un autre exemple est l'utilisation des solutions d'OptaPro. Même si l'éditeur a visiblement signé une clause de confidentialité avec Leicester, un de ses responsables marketing - Ryan Bahia - confirme que le club – et son analyste en chef Peter Clark - travaille bien avec ses produits.
En octobre 2015, Ryan Bahia a décrit comment le staff de Leicester donnait, avant et après chaque match, une feuille de stats à chacun des joueurs sous la forme d'un rapport numérique interactif consultable sur iPad. Un rapport complété par des annotations et des commentaires ainsi que par des vidéos de phases de jeux de la partie.
Mieux, au sein de son King Power Stadium, Leicester dispose d'une « war room » pour ses data analystes. Cette pièce névralgique est reliée aux vestiaires de telle sorte que les joueurs et le staff disposent à la mi-temps des enseignements statistiques tirés avec le Pro Portal d'Opta lors des 45 premières minutes (ou du temps réglementaire en cas de prolongations).
« Cela nous permet de souligner des points clefs », explique Peter Clark. « Si un joueur perd ses duels en un contre un, ou ses duels aériens par exemple, cela peut aider l’entraîneur. Nous pouvons aussi mettre à jour un type de situation qui a systématiquement apporté le danger dans le camp adverse, cela aussi peut aider le coach ».
Et dès que le coup de sifflet final retentit, les matchs sont traduits en données et en statistiques (toujours avec les solutions d'Opta). Elle sont ensuite archivées avec des données des joueurs et des benchmarks (par exemple comment un joueur – ou l'équipe - a performé dans tel ou tel domaine comparé à la moyenne de la saison). De telle sorte que les enseignements de la partie sont prêts à être exploités dès la causerie du lundi matin.
Leicester Sauce et effet Placebo
« C'est la culture du club. En immergeant les joueurs dans la donnée, ils se familiarisent avec elle et avec les avantages qu'ils peuvent en retirer », conclue Peter Clark.
Cette « Leicester Sauce » riche en données permettra-t-elle à Claudio Ranieri de ré-éditer l'exploit la saison prochaine ? Rien n'est moins sûr. D'une part parce que la majorité des clubs utilisent aujourd'hui des outils similaires. Et d'autre part parce que le sport de haut niveau est une histoire de « détails »… et donc aussi de chance.
Pour s'en convaincre, il suffit d'interroger le sulfureux (et ultra-talentueux) Nigel Pearson, le précédent manager de Leicester. Entre 2011 et 2015, c'est lui qui a mis en place la plupart des méthodes qui ont permis à son successeur italien de remporter le titre. Et d’échapper à la relégation lors de la saison 2014-2015 où les « Foxes » ont fleurté avec le bas de tableau.
« Il est difficile d'évaluer la part qui revient à la technologie dans les résultats de l'équipe. Mais je ne cesse de le répéter. Nous sommes dans un secteur où le succès se décide sur de très petites choses. […] Donc si nous trouvons une méthode qui nous donne ne serait-ce que 1 % de chance de mieux nous préparer, alors nous l'essaierons. Ce sera peut-être un effet placebo, mais honnêtement si ça marche je m'en moque. La seule chose qui m'importe c'est de faire ce qu'il faut, comme il faut, pour avoir le plus de joueurs possibles dans les meilleures conditions possibles sur le terrain », lachait Nigel Pearson en 2015. sa méthode a visiblement porté ses fruits.
Pour la petite histoire, les bookmakers – eux aussi spécialistes de l'analyses statistiques – n'en reviennent toujours pas. L'un des plus gros de la place, William Hill, a laissé entendre qu'il avait perdu 10 millions £. Pour une équipe qui n'en a coûté que 57 et qui a célèbré le 15 mai son tout premier titre.