Blockchain à l'aéroport : les registres distribués presque prêts pour le décollage
Même si aucun projet blockchain n'est entré en phase de production dans un aéroport, de nombreux PoC montrent que les registres distribués ont un potentiel réel pour ce secteur. Plusieurs cas d'usages types, très prometteurs mais encore à concrétiser, semblent se détacher.
Des aéroports un peu partout sur la planète sont en train de regarder de près comment les blockchains, et leurs registres distribués (ou DLT pour Digital Ledger Technology) entre plusieurs acteurs a priori indépendants, peuvent améliorer le parcours du passager et la gestion interne des hub aériens.
Des environnements propices à la blockchain
Les aéroports sont un exemple par excellence de coopérations entre des entreprises sans lien les unes avec les autres mais qui ont tout intérêt à collaborer de manière fluide : société gérante de l'aéroport, société de nettoyage, autorité douanière, police, compagnies aériennes, restaurations, exploitant de commerces, etc.
Dans ce secteur, et celui des voyages d'affaires, la blockchain est donc riche de promesses. Elle annonce « une gestion plus fluide du parcours voyageur, un gain de temps non négligeable, une meilleure traçabilité des bagages, des réservations facilitées, des paiements plus rapides, mieux sécurisés et moins coûteux et même des programmes de fidélité plus liquides et interopérables », prédit Julie Troussicot, Directrice Générale d’AirPlus France.
Dans cette liste, les cartes de fidélité croisées sont particulièrement adaptées à la blockchain. Non pas entre compagnies aériennes (qui n'ont aucun intérêt à ce que les Miles acquis sur leurs lignes profitent à un concurrent), mais entre une compagnie et d'autres acteurs de la chaîne du voyage, comme des loueurs de voitures, des sociétés de taxi, des conciergeries ou des hôteliers.
Il s'agit encore de promesses qui restent à concrétiser. « Le travail sera complexe et nécessitera de trouver un langage commun pour que cette technologie puisse se développer et apporter, in fine, plus de souplesse et de transparence au secteur », avertit la dirigeante. Mais le potentiel semble réel et les PoCs se multiplient.
Un catalyseur pour une meilleure collaboration entre acteurs de l'aéroport
Dans une étude sur la transformation numérique des aéroports, le cabinet de conseils Frost & Sullivan prévoyait que l'augmentation du trafic aérien mondial déboucherait sur un investissement et des dépenses IT de 4,63 milliards de dollars d'ici 2023.
Le rapport soulignait quelques technologies clefs qui devraient en profiter, à commencer par la biométrie (et sa généralisation au-delà des points de sécurité), l'analytique (« les données générées par les différents systèmes aéroportuaires sont rassemblées et analysées pour fournir des données historiques, en temps réel et prévisionnelles qui permettront à l'exploitant de prendre des mesures proactives pour faire face aux périodes de pointe et aux perturbations opérationnelles ») ou l'Intelligence Artificielle (pour par exemple optimiser les modèles de prédiction des flux de passagers).
Dans cette liste figurait également la blockchain.
La première application citée des DLT portera peut-être à débat puisqu'elle concerne le stockage de données personnelles et sensibles, alors que certains analystes (dont le Département du Commerce américain) déconseillent d'utiliser un registre distribué pour des données critiques.
« La technologie Blockchain, en tant que réseau de confiance pour le stockage de données biométriques et autres données personnelles, peut être utilisée pour créer des trajets sécurisés et plus rapides pour les passagers », avance au contraire Frost & Sullivan. « Les passagers peuvent être prêts à partager encore plus de données les concernant, en échange de services et de produits personnalisés, tandis que la blockchain élimine tout problème de sécurité ou de confidentialité ».
Le cabinet confirme de manière plus consensuelle que la collaboration est un autre gros bénéfice de cette technologie. « La blockchain pourrait s'avérer être le catalyseur pour un environnement aéroportuaire véritablement collaboratif, entre des acteurs qui travaillent aujourd'hui en silos ».
Beaucoup de PoCs
Dans un échange avec LeMagIT, Renjit Benjamin, Industry Analyst spécialiste du secteur aéronautique de Frost & Sullivan, liste plusieurs PoCs intéressants en cours.
British Airways a noué un partenariat avec VChain - à ne pas confondre avec la blockchain publique d'origine chinoise VeChain dédiée à la traçabilité et à la supply chain - pour tester l'intégration de la blockchain dans les procédures de check-in (émission de la carte d'embarquement, dépose bagage).
Le Canada collabore avec le Forum économique mondial (WEF) et a élaboré avec Accenture un système d'identification numérique basée sur un registre distribué. Les Pays-Bas seront partenaires pour la phase d'essai. « L'objectif de ce projet est d'accroître la sécurité et la confidentialité des données des passagers pendant le contrôle aux frontières, en particulier entre les aéroports et les autorités gouvernementales », précise Renjit Benjamin.
La société ObjectTech travaille actuellement avec le département en charge de l'immigration et des visas de Dubai pour numériser des passeports et les certifier, grâce à une blockchain. « Le projet pilote devrait être prêt d'ici 2020 », espère l'analyste de Frost & Sullivan.
En 2017, la coopérative internationale SITA (Société internationale de télécommunication aéronautique), qui fournit des services de communications et IT à l'industrie aéronautique, a également lancé une blockchain (FlightChain). « Il s'agit d'une expérimentation menée avec British Airways, et les aéroports d'Heathrow, de Genève et de Miami (MIA) ». Renjit Benjamin insiste bien sur le fait qu'il s'agit d'une expérimentation (« trial »). Ceci étant, d'après lui, les conclusions de cette expérience sont très positives et ouvrent la porte à beaucoup d'autres. « Le projet a démontré que la blockchain est une technologie viable, qui offre une source unique de vérité pour les données des compagnies aériennes et des aéroports, en particulier pour les informations de vol en temps réel ».
Blockchain & biométrie
En plus de FlightChain, le SITA travaille sur un autre projet de ce type, baptisé « Smart Path ». Son but est de fluidifier le parcours passagers dans un aéroport.
Dans cette autre PoC, « la blockchain permet de créer un réseau d’échanges entre tous les acteurs impliqués dans ce parcours [qui] n’est généralement pas fluide [à cause] d’un problème de capacité des aéroports et du nombre de point de contrôles », constate Sébastien Fabre, vice-président de SITA, dans un document diffusé aux Universités d'été de AirPlus International.
« Smart Path » s'appuie la biométrie et l'IA (reconnaissance faciale). A l’embarquement, « une caméra prend une photo du passager et la transmet aux autorités de police qui la comparent en quelques secondes avec leurs données. Si elles correspondent, le passager sera autorisé à embarquer. L’embarquement s’effectue ainsi sans couture et sans autres contrôles ».
Mais le projet s'appuie aussi sur la blockchain pour effectuer cet échange de données interne à l'aéroport, et pour produire un « Single Token Travel » attaché au passager qui pourra l'utiliser pour, par exemple passer par une voie prioritaire - parce que vérifiée - à l'embarquement.
« Pour assurer à la fois sécurité, traçabilité et certification des échanges d’informations relatives aux voyageurs, la blockchain va prendre un rôle important [car] elle permet de créer un réseau d’échanges entre tous les acteurs impliqués (gouvernements, aéroports, compagnies aériennes, etc.) », conclue Sébastien Fabre.
Pas encore de vraies mises en production
Projets, tests, PoCs. Les promesses sont donc nombreuses. Mais il n'y a pas encore de projet blockchain dans les aéroports qui en soit réellement à la phase de mise en production. En tout cas pas à la connaissance de Diogenis Papiomytis, Global Program Director, Commercial Aviation, chez Frost & Sullivan.
« Des essais sont en cours dans les aéroports du monde entier - le plus notable étant peut-être la collaboration entre l'aéroport de LHR (NDR : Heathrow) et British Airways [ou celui de] SITA qui mène une initiative mondiale de blockchain », confirme-t-il. « Mais il n'y a pas encore de déploiement de blockchain connu [dans l'aéronautique et les aéroports]. Les avantages de la blockchain sont encore largement hypothétiques et en tout cas ils ne sont pas fondés sur les retours d'expériences de déploiements réussis », explique-t-il au MagIT.
En résumé, la blockchain dans les aéroports a bien quitté son parking. Elle est phase de roulage. Et la piste de décollage ne devrait plus être très loin.