Big Data : McDonald’s France sait comment vous venez
En analysant deux années de tickets de caisse, la filiale française du géant de la restauration rapide a réussi à faire des liens entre six milliards de lignes de transactions et des typologies clients. Pour le plus grand bonheur de son marketing qui prévoit déjà des actions.
« Venez comme vous êtes ». Malgré son slogan, et aussi curieux que cela puisse paraitre, McDonald’s n'analysait pas jusqu'ici ses tickets de caisse assez finement pour en tirer une typologie précise de ses clients.
Certes, l'enseigne était capable de dire combien de hamburgers elle avait écoulés - et donc ce qu'il fallait en réapprovisionnement - mais sa connaissance client n'entrait pas dans le détail. Et pour cause, elle n'en avait pas vraiment besoin. Pas encore.
Mais depuis quelques mois, les choses ont changé.
La concurrence dans la restauration rapide grandit vite
Lorsqu'il arrive chez « MacDo », il y a 5 ans, Romain Girard intègre la division Business Insight d'une entreprise qui se pose déjà des questions sur la manière de concevoir son activité. Elle voit les exigences alimentaires changer et le marché se redessiner presque aussi vite que la cuisson d'un hamburger.
Burger King revient en France tandis que Five Guys, en pleine internationalisation, y ouvre des points de vente.
A côté des acteurs centrés sur le burger, d'autres marques se disputent le marché avec d'autres produits étendards : KFC pour la volaille, O'Tacos (« 200 points de vente, en étant créé en 2007 » souligne Romain Girard), les enseignes de Pizza à emporter, sans oublier les sandwicheries (Pomme de Pain, l'américain Prêt à Manger ou Marie Blachère « avec plusieurs centaines de points de vente et une accélération incroyable »).
Pour rajouter à la compétition, de nouveaux entrants proposent des coins restauration (Carrefour, Casino, Monoprix, Franprix) - et d'autres encore la livraison comme Uber Eats ou Deliveroo.
C'est cette explosion de la livraison à domicile - accentuée par une plateforme anglaise comme Just Eat, ayant racheté et absorbé le Français Allo Resto - qui pousse, en creux, McDonald's à mieux comprendre les types de visites dans ses restaurants et à anticiper les limites d'une stratégie qui se centrerait trop sur les produits.
« Il y a un vrai changement consommateurs, avec de plus en plus de variété », diagnostique Romain Girard.
Or « la réussite de Mc Donald's, ce n'est pas seulement les hamburgers, c'est aussi une compréhension et une connaissance des consommateurs », explique sur la scène de Big Data Paris celui dont le rôle est d'améliorer la mesure des initiatives autour des ventes.
« Comme beaucoup de sociétés, historiquement, nous regardions les ventes de manière assez simple : par point de vente, par produit, par heure, par protéine. Nous arrivions à mixer ces éléments. Mais pas assez pour déterminer si vous êtes venus seul, en groupe ou en famille ».
L'idée émerge alors de trouver un moyen d'affiner cette connaissance client avec des typologies. Mais comment faire ?
Des téras de tickets de caisses sous-exploités
« Quand on a commencé le projet, nous avons fait des workshops métiers avec le département des études, l'IT et le marketing pour mapper et auditer toutes les données qui étaient à notre disposition », répond Thibault Labarre de Ekimetrics, un spécialiste français de la mesure de performance marketing, qui collabore avec Romain Girard. « Le but était aussi de comprendre comment elles étaient utilisées ». Et celles qui ne l'étaient pas.
C'est avec cette méthode qu'apparait d'ailleurs au grand jour que les tickets de caisse sont encore largement inexplorés.
Pourtant cette source représente beaucoup de données. Énormément, même. Car bien que McDonald's France soit composé de franchises, la maison mère a accès aux tickets de caisses détaillés de tous les restaurants.
« Deux millions de Français viennent tous les jours dans nos restaurants », resitue Romain Girard. Rien qu'en France, McDonald’s réalise 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires par an dans ses 1.450 points de vente.
« Nous avons plusieurs centaines de millions de transactions. Que ce soit de une, deux, trois personnes ou plus. Que ce soit au Drive, en restaurant ou à emporter. Que ce soit avec des clients identifiés (NDR : via la carte de fidélité) ou pas. C'est une richesse incroyable [...]. Ces tickets étaient sous exploités pour des problèmes de capacité de calcul ».
Romain Girard et Thibaut Labarre décident alors de prendre le problème de la manière la plus ambitieuse qui soit : en partant de la totalité des deux téraoctets et des six milliards de lignes que représente la base des deux dernières années de tickets.
Extraction d'une typologie de clients
Mais arriver à extraire une connaissance client - et non plus produits - à partir de cette quantité de données n'est pas simple.
« On a des tickets, on veut en tirer des segments de comportement. Dis comme cela, c'est facile. Mais le risque était d'être complètement déconnecté de la réalité et des études [faites par McDonald's] », se souvient Thibaut Labarre.
Romain Girard confirme et explicite : « chez McDonald's, vous pouvez venir seul, et prendre un Big Mac. Puis le weekend, vous venez avec vos enfants, et vous prenez un Big Mac. Et à la sortie d'une soirée ou d'un match de foot, vous vous retrouvez avec vos amis, et vous prenez un Big Mac ».
Dit autrement, la trace de la vente d'un Big Mac sur un ticket de caisse ne donne pas d'indication sur le contexte. « C'est le même produit, mais dans plusieurs occasions. C'est complexe pour moi dont le métier est d'analyser les ventes ».
Un des points les plus intéressants du projet a donc été de déterminer les critères clefs qui permettront de définir les typologies. Et là encore, les workshops avec les métiers ont apporté la réponse.
« Une des questions par exemple étaient comment je définis "une famille [est venue]" ? Nous avons été obligé d'utiliser un proxy. Une "famille", c'est un ticket avec un Happy Meal. Ce n'est pas parfait, mais cela permet dans un premier temps d'avoir un résultat concret ».
Autre exemple, comment déterminer que des amis viennent ensemble s'ils payent séparément ? Pour trouver un proxy, Romain Girard et ses équipes ont mis en vis à vis les études et les tickets.
« Avec les panels, nous arrivons à savoir exactement quelle est la part des gens qui viennent en groupe et qui payent chacun de leur côté. On arrive à donner des approximations. Ce qui fait que l'on est arrivé à gérer des proxys (des biais) [pour ce cas] ».
Romain Girard a déterminé en amont neufs typologies (seul, groupe, famille, etc.) pour avoir une vision générale, qu'il a décliné en versions plus détaillées. « Pour chacune, nous avons réussi à trouver des liens [avec les tickets] », se réjouit-il.
En tout, l'implémentation du projet a duré trois mois. Douze semaines pendant lesquelles « nous avons fait des allers et retours en continu avec les métiers pour nous assurer que nous allions dans la bonne direction », explique Thibault Labarre.
Infrastructure cloud et agile, méthode Test & Learn
La flexibilité de l'environnement IT a également été un atout pour trouver les bons « liens » pour extraire les couches sémantiques pertinentes.
Sous le capot, Ekimetrics a en effet mis en place avec son client une infrastructure cloud. « Nous ne sommes pas dogmatiques. Mais nous savions que si nous voulions être efficaces et mettre en place une infrastructure agile et scalable en moins de trois mois, nous allions devoir utiliser le cloud », justifie Thibault Labarre.
Le projet s'est ensuite passé en mode Test & Learn.
« Nous n'avons pas sonné les clairons et dit "on va faire un grand projet révolutionnaire" », assure Romain Girard. « Nous sommes partis en nous disant qu'il y avait un potentiel, qu'on allait essayer de construire quelque chose puis de valider ce potentiel dans une approche avec les métiers ».
Thibault Labarre précise la méthodologie : « Nous testons des algorithme et une manière d'utiliser les données, puis on reboucle avec les outils. C'est ce qui nous a permis de passer d'une analyse standard à une analyse multidimensionnelle ».
Le responsable d'Ekimetrics ajoute qu'un autre impératif - qui plaide pour cette méthode et ce choix d'infrastructure scalable - était qu'il fallait concevoir un écosystème flexible de données pour pouvoir « enrichir les insights » en continu. En clair : être capable, à l'avenir, de croiser ces enseignements issus des caisses avec les données des livraisons à domicile, des cartes de fidélité, etc.
ROI à venir
En sortie, pour l'utilisateur métier, Ekimetrics a mis en place des tableaux de bord très simples, sur mesure, avec un framework Python (Dash) « ce qui fait qu'ils [les métiers] ont un outil concret pour explorer cette donnée ».
Selon Romain Girard, en trois mois, McDonald’s France aura donc réussi à changer sa manière de voir les ventes avec un projet Big Data. « Le nombre de Big Mac vendus tous les jours, hier, la veille, ou la semaine dernière je le connaissais déjà. A présent, je sais aussi le poids des transactions des personnes qui viennent seules ».
Quant aux dashboards, « tout le monde les utilise... pas comme un outil de reporting, mais comme des éléments de compréhension », se réjouit le responsable de McDonald's.
Une question demeure néanmoins : que va-t-il faire de cette typologie ?
Concurrence oblige, Romain Girard ne dévoilera pas les usages qu'il imagine. Mais il en laisse entrevoir certains. « Pour le marketing, cette base de données peut servir pour créer des packshots (NDR : produits présentés dans les supports catalogues), c'est fantastique ! », lance-t-il.
Il évoque également des applications pour les publicitaires. Mais il n'en dira pas plus.
Ceci étant, connaitre le comportement des typologies aidera certainement à terme à mieux cibler les clients en fonction des occasions. Par exemple, si l'on sait que les groupes d'amis, après un match de rugby, commandent régulièrement des menus Big Mac plus des bières et y ajoutent des hamburgers, McDonald's aura tout intérêt à faire une réduction sur ces packages lors du Tournoi de VI Nations pour attirer les supporters, plutôt que mettre en avant les Sundays ou le café.
« Ce qui est sûr c'est que sur vos télés, sur vos téléphones, et dans les publicités que vous allez voir dans les mois qui viennent, il y aura des choses qui viendront clairement de cela... Et même la semaine prochaine (NDR : le 18 mars 2019), si vous passez sur les Champs Élysées... vous comprendrez », sourit Romain Girard.