Apps, IoT, réalité augmentée : Gatwick expérimente à tout va dans le numérique

L'aéroport londonien a entamé sa modernisation depuis deux ans. Applis pour les employés et pour les passagers, capteurs, ouverture des data, APIs, informatique cognitive. Gatwick mène une transformation digitale tout terrain. Et très axée voyageur.

L'aéroport londonien de Gatwick a décidé, il y a deux ans, d'investir 2,5 milliards de livres sterling dans sa transformation numérique. Une des réalisations les plus étonnantes de ce projet a été dévoilée en mai. Il s'agit d'une application mobile de réalité augmentée. Son but ? Aider les passagers à se retrouver dans le dédale des Terminaux Nord et Sud. Mais l'initiative est loin d'être la seule.

Community App : l'information partagée par tous les professionnels

En novembre 2016, Gatwick avait déjà développé une "Community App" pour ses personnels, à savoir 2.000 employés ou 20.000 prestataires (restaurants, commerces, ouvriers, manutentionnaires, agents de sécurité, de propreté, etc.). L'idée était de faciliter la communication d'informations sur et au sein de l'aéroport (vols en retard, densité de la fréquentation, etc.).

Premier avantage de ces données opérationnelles "libérées", elles permettent d'optimiser l'organisation du travail de chacun - en prévoyant par exemple les pauses en fonction des pics d'affluences prévus.

L'autre avantage est de diffuser de l'information client à toute personne susceptible d'être en contact avec les passagers (même celles qui ne sont pas officiellement en charge des voyageurs ou dans Gatwick même). 

« Il y a des passagers qui entrent en mode de panique totale. Ils demandent des informations sur leur vol à la première personne qui passe et qui a un lien plus ou moins fort avec l'aéroport », constate Abhilash Chacko, responsable commercial et innovation de Gatwick. « L'application Community permet à tous les professionnels impliqués de trouver ces infos en rentrant un simple numéro de vol, une destination ou une compagnie ».

A l'heure où les clients en savent souvent plus que beaucoup de personnels via  Facebook ou Twitter, « l'appli nous a aussi permis d'être plus à jour et de fournir un service plus intelligent ».

Encore faut-il que les données pour nourrir l'application existent et qu'elles soient disponibles. C'est le cas aujourd'hui à Gatwick qui a mené ce grand chantier qui est le fondement de sa transformation (lire ci-après). 

La « Community App » a été développée en collaboration avec Airport Labs, qui l'a depuis déployée dans d'autres aéroports comme celui de Dubai.

Une prochaine version à Gatwick devrait inclure des alertes, comme pour signaler des ascenseurs en panne.

 Réalité augmentée pour se guider

L'application de réalité augmentée - qui est pour l'instant intégrée à l'app officielle de Gatwick - utilise la caméra d'un smartphone et indique, en surimpression, le chemin à suivre. De cette manière très visuelle (un point important quand on sait le nombre de langues différentes des passagers), l'app permet de trouver la bonne porte d'embarquement, le bon comptoir de check-in ou encore le tapis bagages de son vol.

Pour localiser les utilisateurs, Gatwick a installé 2.000 beacons dans ses deux terminaux. Il lui aura fallu seulement trois semaines puis deux mois pour tester le dispositif et le paramétrer correctement. L'équipement était nécessaire puisque la localisation par GPS est inopérante en intérieur.

L'aéroport assure qu'aucune information personnelle n'est collectée par ce biais, mais ce pourrait être le cas à l'avenir. Par exemple pour des compagnies aériennes - avec le consentement des clients - qui voudraient exploiter ces flux («pour localiser les retardataires et décider de les attendre ou de débarquer leurs bagages pour décoller à l'heure», imagine déjà les responsables de Gatwick).

IoT et reconnaissance visuelle

Ces bornes (beacons) sont un deuxième pas vers l'IoT pour Gatwick. L'aéroport avait, dès 2015, mis des caméras dans les faux plafonds pour mesurer en temps réel la longueur des files des enregistrements dans les zones de EasyJet et de Norvegian Airlines.

Grâce à un outil cognitif de reconnaissance visuelle, le dispositif est capable de déterminer si ce qu'elle voit est bien une personne sans aucune marge d'erreur.

« Ce système de mesure objective a résolu un gros problème. Il a apporté de la transparence entre les compagnies et le sol », explique Abhilash Chacko. « Les prestataires du sol ont en effet des contrats avec les compagnies qui reposent sur des KPI et qui sont régis par des résultats en terme de performances ». Or sans étalon incontestable, il était difficile d'établir dans quelles conditions les contrats étaient effectivement exécutés.

Autre avantage, à condition que l'information soit reprise, les passagers peuvent avoir une idée précise de leur temps d'attente pour déposer leurs bagages. Lorsque la file est longue (ce qui est souvent le cas), cette estimation calme souvent l'angoisse de personnes qui ont peur de louper leur vol.

Ces informations ont été fournies à des développeurs lors d'un hackathon, en juin à Berlin (lire ci-après). Plusieurs applications ont été imaginées et primées autour de solutions nouvelles pour gérer ce parcours du combattant du passager (cf. ci-après) comme PaxFlux, Unstuck ou Freemium Security.

Ouvrir la donnée

A terme, le but de Abhilash Chacko est bien d'ouvrir le plus possible les informations de tous les capteurs et de tous les systèmes pour que d'autres les intègrent. Il pense évidemment en premier lieu aux compagnies aériennes et aux commerçants présents dans l'aéroport.

« Nous avons ouvert la porte à un large éventail de prestataires de l'aéroport pour qu'ils lancent des services innovants qui pourront aider les passagers à ne plus louper de vol ou à leur proposer des offres commerciales », explique le responsable.

Il y a une certaine tendance dans les aéroports à vouloir diffuser l'information uniquement via les canaux qui leur appartiennent
Abhilash Chacko, Gatwick

Cette diffusion n'est cependant pas une évidence. « Il y a une certaine tendance dans les aéroports à vouloir diffuser l'information uniquement via les canaux qui appartiennent aux aéroports », regrette-t-il en soulignant que les compagnies et les sociétés qui opèrent les aéroports se voient souvent comme des concurrents plus que comme des partenaires. « Mais en faisant cela, vous excluez des passagers (NDR : de votre communication). Or ce qui compte c'est que tous les passagers aient la bonne information - que ce soit sur les panneaux des vols, sur un site web ou via une app, celle de l'aéroport ou celle de la compagnie ».

Commerçant, Abhilash Chacko voit également dans cette diffusion de l'information un moyen d'avoir des passagers plus détendus et qui consomment plus. « Plutôt que d'avoir des gens les yeux rivés sur le panneaux des embarquements pour voir la porte et l'heure du départ, ils peuvent tranquillement boire un verre dans un café de l'aéroport en attendant de recevoir une notification qui leur dira quand ils doivent commencer à se diriger vers quelle porte ».

Vendre l'information pour la valider

Gatwick a choisi le Cloud d'Azure pour intégrer plusieurs de ses opérations et les rendre plus efficaces. Utiliser la plateforme de Microsoft pour rendre les données de l'aéroport disponibles et les diffuser n'a été au final qu'une manière « de capitaliser sur l'investissement que nous avions déjà fait et de l'étendre de l'expérience employés à l'expérience passagers ».

Nous regardons si nos partenaires sont prêts à payer pour une innovation. Si ce n'est pas le cas, on abandonne l'idée
Abhilash Chacko, Gatwick

De fait, le surcoût est faible et a rendu le projet viable financièrement. D'autant plus que Gatwick vend - et ne donne pas - ces informations aux compagnies.

Abhilash Chacko souligne que le fait de faire payer un prix à une donnée et à un service sert à autre chose qu'à couvrir les coûts de production de la data.

« Nous avons une approche très axée commerciale. Je veux dire par là que nous innovons, et nous regardons si nos clients sont prêts à payer pour ces innovations. Si ce n'est pas le cas, on abandonne l'idée. La validation part du principe que si une idée est bonne, elle crée de la valeur et que quelqu'un est alors prêt à payer pour cette valeur », résume-t-il. « Nous voulons éviter de dépenser des budgets dans la technologie pour le plaisir de faire de la technologie ».

Hackathon à 7 aéroports

Plus largement, cette « première mondiale » dans la réalité augmentée et les beacons (en tout cas selon Abhilash Chacko) a pour vocation de montrer la voie à d'autres acteurs. « Nous espérons que cette installation influencera des aéroports et des transporteurs et qu'elle deviendra, un jour, la norme ».

C'est d'ailleurs avec six autres aéroports que Gatwick a participé en juin à son hackathon berlinois, {Re}coding Aviation, sur le thème de « l'amélioration de l'expérience client avant, pendant et après l'aéroport ».

« C'est la première fois que tant d'aéroports internationaux mettent leurs force en commun en ouvrant l'accès à leurs données pour développer des applications innovantes », se réjouit, Christiaan Hen, Innovation Manageur de Schiphol (Amsterdam, Hub de KLM et initiateur du concours).

Les sept aéroports ont partagé les données des vols et des temps d'attente. Avec ces jeux de datas, les participants ont développé 37 applications dont 10 avec les APIs de Gatwick.

Au côté de l'aéroport londonien et de Schiphol, on retrouvait ceux de Frankfort, Genève, Munich et Copenhague. Ni Paris-CDG, ni Orly ne faisaient par parti de cet évènement soutenu par IBM et RedHat. Les français se consoleront avec les hackathons de Air France.

 

En collaboration avec ComputerWeekly

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