Applications métiers, cloud et APIs au cœur de la transformation numérique du transport aérien
Au cœur du cœur des systèmes complexes que sont les aéroports se trouve une famille de logiciels en pleine mutation sous l’influence du cloud et des APIs : l’Airport Management System.
Cette deuxième partie du reportage sur la transformation numérique du transport aérien avec l'historique du secteur, SITA, se concentre sur l’Airport Management System (AMS). L'AMS est une solution gérant tous les flux opérationnels aéroportuaires. Par exemple, les ressources mobiles ou fixes, les carrousels de tapis, les personnels des Ground Handlers qui viennent nettoyer et préparer l’avion, la gestion des pistes de décollage et d’atterrissage. Tous ces éléments sont gérés par ces applications métiers.
« L’AMS est composé de modules opérationnels et, comme dans tout ERP, au-dessus vous avez de la BI et de l’intelligence artificielle pour tout optimiser », explique Sergio Colella. « Un AMS est très modulaire. L’aéroport de Bruxelles a pris uniquement le module de SITA de de-icing (dégel) des avions. D’autres, comme Malt, ont pris la totalité chez nous ».
Bref, tout comme dans le reste de l’économie, certains aéroports ont des stratégies « best of breed » quand d’autres font le choix d’une solution unique et homogène.
Patchwork applicatif
Pour ajouter à la complexité de l’architecture qui résulte de cette modularité, chaque compagnie fait le choix de son propre AMS pour ses activités au sol (enregistrement des PAX, etc.). Et en fonction des aéroports, les solutions choisies sont bien souvent différentes.
« Delta et l’aéroport d’Atlanta (NDR : le Hub historique de Delta Airlines) ont certes des convergences de stratégie informatique beaucoup plus fortes que Delta et Charles de Gaulle. Fiumicino (Rome) travaille plus avec Alitalia. Idem avec CDG (ADP) et Air France. Mais, sur un bureau d’enregistrement Delta à CDG, c’est bien la solution choisie par ADP qui est installée », explique Sergio Colella.
Sauf que tout n’est pas si simple. Il y a des exceptions. « Sur ses quatre ou cinq escales majeures, Air France met ses propres outils, directement sur place. Et donc vous verrez à New York ou à San Francisco la même borne que celle que vous voyez à CDG ou à Orly ».
Rien qu’à Paris, ADP accueille entre 60 et 70 compagnies. Inversement, une compagnie aérienne majeure va atterrir et décoller dans plus de 200 aéroports différents. Le résultat de cette diversité (modularité des briques de l’AMS, pluralité des acteurs et des choix, exceptions, etc.) est un vrai « patchwork » applicatif.
Conséquence, il faut que tous ces systèmes communiquent et interagissent de manière sûre, et efficace.
APIfication de l’AMS
Historiquement, cette intégration s’est faite avec des interfaces standard ou des ETL. Une des deux transformations majeures des AMS a été de simplifier ces échanges avec des APIs – ce qui permet aussi, au passage, de les intégrer dans des applications mobiles pour les métiers et/ou pour les PAX.
« Une fois de plus, l’enjeu clé du secteur aérien, c’est la collaboration. Il faut que chaque partenaire [IT] développe des APIs », avance Sergio Colella.
Ces APIs sont aussi ce qui permet aux compagnies aériennes de choisir aujourd’hui plus simplement des solutions sur certaines briques applicatives qui ne sont pas celles de l’aéroport. Le kiosque Air France à JFK ou San Francisco par exemple va dialoguer avec l’AMS « core » de New York ou San Francisco via des APIs.
Ceci étant, cette APIfication est encore assez récente dans l’aérien. Mais elle est une tendance profonde. « Nous voulons la développer de plus en plus. SITA devient un éditeur d’APIs », confirme même Sergio Colella.
Interopérabilité et CUTE (« Common Use Terminals »)
Cette petite révolution est en fait plus une grande évolution. Car tous les outils de gestion opérationnelle de tous les aéroports reposent sur des bases communes – fruits de l’esprit initial des pionniers de l’aviation commerciale qui voulaient mutualiser les solutions à leurs problèmes.
« C’est la force de ce qui a été conçu il y a 70 ans. Il y a ce que l’on appelle des “CUTEs” (NDR : comme “cute” en anglais), des “Common Use TErminals” », explique le président Europe de SITA. « À partir du même terminal informatique, vous pouvez opérer un vol Delta (enregistrement bagages, check-in, etc.), Lutfthansa, ou EasyJet. L’outil va ensuite communiquer avec les systèmes de Delta, Lutfthansa, ou EasyJet. On arrive à faire en sorte [avec des systèmes différents] de gérer le passager via ces infrastructures communes que sont les “CUTEs” ». Le matériel au final est totalement neutre, de la même manière que les stations d’identifications biométriques sont elles aussi « neutres » (lire ci-après).
L’avantage de ces « common uses » est que si le kiosque dédié à Air France à New York tombe en panne, « on revient aux basiques : on se met devant le bon vieux système terminal – CUTE – qui doit pouvoir gérer tous les cas […] Il doit y avoir du “commun use” partout », tranche Sergio Colella.
Mais alors, à quoi sert un système aéroport si ce n’est à ajouter des GUI aux CUTEs ? « Les compagnies aériennes construisent leurs propres terminaux d’accès avec leurs propres fonctionnalités pour être plus efficaces [dans l’opérationnel]… et surtout pour faire plus facilement du cross-selling (NDR : vendre un plateau-repas spécial) et de l’up-selling (NDR : vendre un surclassement ou un siège spécial) »
Au final, l’AMS est donc une couche d’abstraction et d’orchestration au-dessus des CUTEs. « C’est une bonne façon de le voir, parce que la donnée de base vient de là », confirme le responsable de SITA. Mais une couche d’abstraction qui permet aussi d’ajouter du spécifique, de faire de l’APIfication ; ce qui simplifie grandement les intégrations applicatives, le développement mobile sur le long terme et l’automatisation.
La transformation numérique de l’aérien passe (aussi) par le cloud
L’autre grand mouvement de transformation des AMS est leur cloudification – « avec toutes les réserves de prudence », s’empresse d’ajouter Sergio Colella.
Bien que le choix du cloud ou du « sur site » diffère d’un acteur à l’autre, le mouvement est là et est – là encore comme dans presque tous les secteurs – parti pour durer.
« Il faut bien faire la différence entre les compagnies aériennes et les aéroports. Les compagnies aériennes ont toutes des stratégies qui leur appartiennent. Une compagnie low cost – ou de petite taille – aura effectivement tendance à travailler avec des providers cloud pour héberger nos solutions (N.D.R. : l’AMS de SITA est déployable sur Azure, AWS, etc.) ». Les gros, comme Air France - KLM, préféreront certainement gérer leurs datacenters en propre.
La même distinction peut être faite du côté des aéroports. « Prenez Heathrow et Trapani en Sicile ou Paris Vatry (N.D.R. : à proximité de Châlons-en-Champagne). Ce sont deux animaux qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre », plaisante Sergio Colella.
Et pour cause, le premier accueille 60 millions de passagers par an quand le deuxième en reçoit 500 000. « À Heathrow, tout est automatisé. C’est une entreprise qui pèse 3 milliards de livres sterling. Trapani est quasiment un aéroport de campagne. Et entre les deux, vous avez toutes les tailles intermédiaires » resitue le responsable de SITA qui constate que « les petits aéroports vont de plus en plus vers des solutions partagées ».
Ce mouvement vers le cloud n’est pas limité à l’AMS. Il est symptomatique d’une volonté plus large de rationaliser les coûts, de se recentrer sur le cœur de métier (gérer un aéroport), de délester une partie de la complexité IT, voire de pouvoir bénéficier du même éventail de fonctionnalités et de capacité d’innovation que les gros aéroports.
« À terme – on n’y est pas encore –, même les tours de contrôle de ces petits aéroports pourraient être délocalisées dans le cloud d’ici 10 ans (NDR : les tours ne sont pas gérées par l’AMS). Cela peut faire un peu peur aujourd’hui à certains, mais je pense que l’on va vers cela », prédit Sergio Colella.
A lire, la première partie de ce reportage :
Sous pression, le transport aérien entame sa révolution IT (SITA)