5G privée : l’industriel Acome a testé (et c’est une réussite)
Le fabricant français de câbles pour l’automobile et les télécoms a couvert son site normand de 50 hectares en 5G privée, sans trop y croire. Il s’est retrouvé au cœur de l’innovation française et se félicite du succès de sa transformation.
Acome, l’industriel français spécialiste de la fabrication de câbles pour l’automobile et les télécoms, vient de déployer avec succès une couverture 5G privée sur son site normand de Romagny. Celui-ci regroupe six usines sur 50 hectares. Quoique encore considéré comme expérimental, ce type d’installation mobile s’est finalement avéré beaucoup plus simple à mettre en œuvre que ne le suggéraient les prédictions faites lors des deux derniers salons Mobile World Congress.
« Les choses ont énormément bougé au niveau de l’Arcep et nous pouvons nous féliciter que la France ait désormais rattrapé son retard sur ses voisins européens. Depuis cette année, l’obligation d’acheter une licence hors de prix pour utiliser la bande 38 (40 MHz autour de 2,6 GHz) sur une zone de 100 km2 n’existe plus. Il est à présent possible de réserver une couverture de quelques centaines de mètres carrés à peine, soit quelques centaines d’euros seulement par an », se réjouit Antoine Brossault, chef de projet stratégique chez Acome.
Avantage supplémentaire, la France est particulièrement bien fournie en équipementiers à taille humaine et à la technologie d’avant-garde pour amener sur un plateau tous les composants nécessaires.
Le cœur de réseau mobile, qui route les communications, est mis au point par le Breton b<>com. Le Francilien Amarisoft est l’un des seuls éditeurs au monde capable d’écrire un système RAN – pour décoder ou encoder les signaux mobiles au pied des antennes – qui soit aussi efficace que ceux de Nokia, Ericsson et consort, mais qui fonctionne sur une électronique x86 peu chère. Enfin, le Girondin AW2S fabrique les antennes et émetteurs adaptés à la taille du terrain à couvrir. Quant au câble nécessaire pour relier tous ces éléments, Acome n’a eu qu’à puiser dans ses propres ressources.
L’enjeu d’un Wifi bien meilleur et d’un réseau moins filaire
À la base, Acome souhaitait résoudre un problème de connectivité Wifi pour ses caristes qui déplacent des marchandises et des matériaux sur tout le site à longueur de journée. À chaque fois que l’inventaire ne s’affichait plus sur leurs tablettes, ou que les douchettes n’avaient plus assez de réseau pour scanner les étiquettes, les équipes devaient rebrousser chemin jusqu’aux bureaux pour remplir des fiches. Une perte de temps et d’énergie particulièrement pénalisante pour les personnels comme pour l’activité.
« Au-delà de ce problème, et sachant que nous fabriquons tout de même des câblages pour relier des antennes radio, il nous paraissait pertinent de qualifier la 5G privée pour remplacer le filaire, notamment au sein de nos bâtiments, dont l’un atteint 11 000 m2 », précise Antoine Brossault.
Pour qualifier la 5G privée en guise de réseau alternatif, Acome a imaginé plusieurs cas d’usage inédits. Parmi ceux-ci, la « vision industrielle » consiste à poser une caméra en différents points de la production, à faire analyser les images à distance – notamment la reconnaissance de codes couleur – et à renvoyer aux robots des chaînes de production des ordres différents selon le code couleur lu.
« D’ordinaire, c’est l’automate qui fait localement cette tâche. Mais sa reconnaissance des codes qui lui passent sous le nez devient obsolète au fur et à mesure que nous joutons de nouveaux codes pour enrichir notre production. En reconnaissant des codes couleurs depuis une simple application distante – ce qui serait compliqué à faire depuis un réseau filaire – nous nous donnons l’opportunité d’étendre à volonté les possibilités », assure notre interlocuteur.
Les autres cas d’usage comprennent des AMR, soit des véhicules motorisés autonomes qui assistent les caristes, des lunettes connectées pour faciliter les opérations de maintenance, ou encore des drones dont la caméra sert aussi bien aux inventaires qu’à la surveillance. Tous ces projets sont imaginés, dessinés puis implémentés dans le cadre d’une cellule de travail LAB5G qu’Antoine Brossault crée pour l’occasion.
Au cœur de l’innovation française
Au moment où Acome s’est posé toutes ces questions, nous étions alors fin 2021, alors que le sujet de la 5G privée était aussi médiatisé que balbutiant. À cette époque, le gouvernement français multiplie les initiatives pour favoriser la modernisation de ses industries. Son plan France Relance comprend notamment un programme de financement pour promouvoir la 5G au travers d’expérimentations innovantes. Seule condition pour candidater : que tous les prestataires soient français.
« Nous avons donc cherché des contacts pour monter le dossier. Et nous nous sommes tout naturellement tournés vers b<>com qui, en plus de répondre totalement au cahier des charges concernant la 5G souveraine, était de toute façon l’un des principaux acteurs mondiaux sur le sujet des cœurs de réseau mobile privé », se souvient Antoine Brossault.
Initialement institut de recherche et d’innovation technologique privé, b<>com a muté en spécialiste du développement de systèmes pour les télécoms dès la seconde moitié des années 2010. Il se dit que cette transformation est allée de pair avec le recrutement des chercheurs que Nokia, alors en pleine crise économique, licenciait de son centre de R&D mondial à Paris-Saclay.
Pour passer du logiciel Dome, le cœur de réseau développé par b<>com, à un système prêt à l’emploi installé sur des serveurs x86, Acome fait appel au prestataire informatique et réseau Alsatis. C’est lui qui implémente la solution avec l’ajout des technologies d’Amarisoft et d’AW2S.
« Nous avons passé du temps pour dessiner la technique de nos cas d’usage. Nous avons également travaillé avec un bureau d’études pour plancher sur le dimensionnement des ondes radio. Ces travaux se sont étalés sur tout le second semestre de l’année 2022. Puis, nous avons progressivement déployé les équipements et les logiciels dans la première moitié de l’année 2023 », raconte Antoine Brossault.
Deux bandes de fréquences : 2,6 et 3,8 GHz
Au fil des mises au point, une opportunité se présente à Acome : celle d’utiliser à titre expérimental une seconde bande de fréquences, aux alentours de 3,8 GHz. Nouvelle bande de fréquence sur le point d’être standardisée pour la 5G privée en Europe, cette « bande 77 » vient également d’être exploitée en Italie, à l’occasion de la compétition de golf Ryder Cup. La bande 77, aux alentours de 3,8 GHz, permet d’atteindre un débit légèrement meilleur que la bande 38, aux alentours de 2,6 GHz, moyennant une zone de couverture plus réduite.
« Le bénéfice est surtout de pouvoir utiliser deux bandes de fréquences pour deux usages différents sans que leur trafic se gêne. Ainsi, nous avons décidé de couvrir l’intégralité de notre site, essentiellement fait de zones extérieures, en 2,6 GHz et de couvrir l’intérieur de notre bâtiment principal en 3,8 GHz », dit Antoine Brossault.
A posteriori, se rendant compte que la bande 77 étant aussi efficace que la bande 38, Antoine Brossault croise les doigts pour que l’Arcep officialise son usage.
Techniquement, les appareils qui peuvent communiquer en 2,6 GHz sont ceux compatibles 4G et ceux pouvant communiquer en 3,8 GHz sont ceux vendus dans le commerce comme étant 5G.
Des routeurs 5G branchés sur les connecteurs RJ45 des équipements
« Nos équipements industriels – robots, caméras, véhicules autonomes, etc. – sont loin d’être tous capables de communiquer en 4G ou en 5G. La plupart sont des appareils avec des connecteurs RJ45 pour liaison filaire. Pour les connecter à notre réseau mobile, nous branchons donc simplement sur leurs prises Ethernet des routeurs 5G du commerce », explique le chef de projet stratégique d’Acome.
Et ces routeurs sont en l’occurrence équipés d’une carte SIM spéciale, spécifiquement conçue pour communiquer avec le cœur de réseau Dome.
« Dome a la particularité de fonctionner selon le protocole 5G-SA (5G Stand Alone), lequel n’équipe même pas encore officiellement les antennes 5G publiques sur le territoire. Le protocole 5GSA porte une promesse : celle de pouvoir faire évoluer très facilement les types de communication que nous déployons sur notre site », assure Antoine Brossault, qui se félicite des performances du système mis au point par b<>com.
En l’occurrence, la dénomination 5G-SA concerne plus la manière dont le protocole fonctionne que le protocole lui-même. Côté Dome, tous services de communication – gestion des flux des images, gestion des flux audio, gestion des flux de données, etc. – sont exécutés par des containers. Cela signifie qu’il est possible d’ajouter autant de containers que la puissance CPU du serveur le permet et que la mise en production ou le retrait d’un service ne nécessite même pas le redémarrage du cœur de réseau.
Côté appareils connectés, l’utilisation de la 5G-SA permet de régler finement la bande passante accordée à chaque application, voire à chaque équipement. Cela doit permettre de garder les communications optimisées même en cas d’ajout d’autres équipements connectés.
Un effet catalyseur sur les équipes
Finalement, la solution informatique occupe 15U de hauteur dans un rack, dont deux serveurs 4U redondants destinés à Dome et le reste pour exécuter les applicatifs liés aux flux de données (gestion des motifs à reconnaître pour la vision industrielle, gestion des automates, gestion des données logistiques, base de connaissances pour les lunettes connectées, etc.).
Les véhicules autonomes AMR ne sont pas pilotés par un système de cartographie dans ces serveurs. Il est apparu plus simple d’opter pour des équipements qui mémorisent tous seuls les parcours à faire, en s’aidant de points de repère disposés à divers endroits.
Un système d’étiquettes connectées a aussi été mis en place. Son système radio est du LoRa. Le déploiement technique choisi est celui d’installer un récepteur LoRa quelque part et de le relier au cœur de réseau Dome, lequel s’occupe de faire remonter les informations vers les serveurs applicatifs concernés.
« Nous avons encore peu de recul sur notre installation, car nous ne l’avons inaugurée que cet été. À date, tout fonctionne exactement comme nous l’avions prévu dans nos études. Et parmi les bénéfices immédiats, je peux déjà vous dire qu’il y a désormais chez Acome un vrai élan de transformation. »
« Notre couverture 5G privée a eu un effet catalyseur : notamment, elle a permis à notre équipe IT et à nos métiers de collaborer bien plus qu’ils ne l’ont jamais fait. Nous avions imaginé des cas d’usage, sans nécessairement trop croire à notre transformation. Et pourtant : de nouveaux cas d’usage ne cessent de remonter du terrain, nous sommes tous très excités », conclut Antoine Brossault.