Jumeaux numériques : comment préparer l'industrialisation

Introduction

Le concept de jumeau numérique ne date pas d’hier. De mémoire d’ingénieurs, il a été théorisé par la NASA, dans le cadre de la mission Apollo 13. L’agence spatiale américaine avait mis au point une réplique de la navette à partir de laquelle elle réalisait des simulations basées sur des modèles physiques (ou mathématiques).
Depuis, l’IT s’est imposé aussi bien dans le secteur aérospatial que dans les entreprises, qu’elles soient apparentées au secteur industriel ou non. Et avec l’IT sont venus les concepts de gestion de cycle de vie des actifs (PLM), de simulation numérique, de GMAO (gestion de maintenance assistée par ordinateur), d’internet des objets et d’intelligence artificielle. Ce sont autant d’éléments constitutifs d’un jumeau numérique, à l’heure où les acteurs des écosystèmes IT et OT l’entendent aujourd’hui, c’est-à-dire un artefact de l’industrie 4.0.

L’idée est de reproduire un double numérique d’un actif physique pour en étudier le fonctionnement et en maximiser le rendement à l’aide d’analyses prédictives, de prévisions et de simulations. Selon les propos de Karen Willcox, directrice de l’institut Oden, un jumeau numérique se distingue d’un modèle mathématique par l’apport d’une valeur : un « digital twin » doit offrir un succès opérationnel et/ou financier. Il y à peine cinq ans, les éditeurs et les grands groupes s’imaginaient pouvoir reproduire à un seul jumeau numérique le fonctionnement d’un système complexe, par exemple une usine.

Depuis 2018, le cabinet d’analyse Gartner évoque des jumeaux numériques. L’emploi du pluriel a son importance, car les analystes, les acteurs du marché et les organisations intéressés par ce concept se sont rendu compte de la difficulté d’unifier l’ensemble des systèmes IT et OT sur une même couche « virtuelle ». Collecter les données, les stocker dans un espace commun ou des espaces à requêter par une seule plateforme, les traiter, y appliquer des algorithmes, y ajouter une couche de visualisation… chaque étape pose son lot de problèmes.

En outre, les technologies et les services qui composent un jumeau numérique ne sont pas standard : il y a plusieurs manières de bâtir ce miroir numérique. Certains choisissent le prisme de la CAO et du PLM couplé à l’analytique, d’autres s’inspirent des modèles de relation basés sur les graphes et l’analyse des réactions en chaîne (que l’on pourrait vulgairement résumer à l’effet papillon), entre autres. Il faut également prendre en compte la variété de cas d’usage des jumeaux numériques : si l’on espère former un « digital twin » d’un système complexe, il s’agit souvent d’imbriquer plusieurs jumeaux numériques par sous-systèmes.

Si Gartner entrevoit une généralisation du concept en 2022, force est de constater que nous sommes au début de la courbe d’adoption.

Les plus avancés en la matière sont les producteurs d’énergie (compagnies pétrolières, gazières et électriques) et les fabricants aéronautiques. De fait, ces secteurs peuvent déjà s’appuyer sur des données extraites en temps réel de systèmes connectés et de bases de données historiens, les ancêtres des SGBD de séries chronologiques. Mais là encore, les manières de les traiter et d’y appliquer des modèles de machine learning diffèrent suivant si l’on exploite ces informations à la conception ou lors du maintien en opération.

Les éditeurs emploient encore des briques propriétaires, des solutions personnalisées, faites sur mesure à l’aide de formats eux aussi propriétaires. Une initiative open source a bien vu le jour au sein de la Fondation Eclipse, le projet Ditto. Peu d’entreprises l’utilisent (Bosch, pour n’en citer qu’une) et Ditto ne couvre qu’une partie de l’intégration de l’IoT avec les jumeaux numériques. Toutefois, les acteurs se regroupent. Des alliances économiques ou technologiques voient le jour.

Ce guide essentiel explore justement les initiatives en cours en la matière et revient sur les premiers cas d’usage d’envergure. C’est également l’occasion d’observer que les technologies nécessaires à la mise en pratique du concept sont là, et que des cas d’usage pertinents existent (même s’ils sont peu nombreux).

In fine, le jumeau numérique pose des difficultés similaires à ceux des projets analytiques : les données sont silotées, dispersées, peu préparées. Et comme le concept s’adresse plus particulièrement aux industriels, il s’agit de transformer des processus lourds, coûteux et dont les actifs sont faits pour durer alors qu’en face, les fournisseurs de cloud prônent l’ère de l’instantanéité, à des entreprises qui doivent encore changer de culture. Bref, l’on retrouve là les ingrédients habituels de la transformation numérique invoquée de tous leurs vœux par la plupart des organisations.

1Cas d’usage-

Les premiers jumeaux numériques

2Comprendre-

Des approches sectorielles et commerciales

3Défis-

Des enjeux de standardisation, de données et de culture

4Glossaire-

Quelques définitions