Qubit
Un qubit (ou bit quantique ou q-bit) est un bit qui exploite les caractéristiques physiques de la matière à l'échelle subatomique. Son atout majeur est de pouvoir stocker plusieurs informations simultanément, là où les bits classiques n'en stockent qu'une seule. Son défaut est d'être peu persistant.
Un bit « classique » est déterminé - on sait s'il stocke un 1 ou un 0. Un bit quantique, lui, exploite le principe de la superposition d'états pour stocker à la fois un 1 et un 0.
Pour bien comprendre ce point, David Louapre (animateur de Sciences Étonnantes et auteur de Mais qui a attrapé le Bison de Higgs ?) rappelle qu'un registre de 4 bits - l'équivalent de 4 boites dans lesquelles on met un 1 ou un 0 - génère 16 états possibles (0000, 0001, 0010, 0011 .... jusqu'à 1111), « ce qui permet de représenter des nombres entre 0 et 15 ».
Par comparaison, « un registre quantique de 4 quibts peut être dans une superposition de ces 16 états à la fois [...] De manière schématique, cela permet de faire 16 calculs en parallèle », explique-t-il.
Puissance exponentielle naturelle
L'intérêt d'une telle superposition est que l'ajout d'un qubit augmente de manière exponentielle la capacité de calcul, là où l'ajout de bits classiques l'augmente de manière linéaire.
« Mettre des qubits en relation donne des capacités de calcul exponentielles - au vrai sens du terme : si l'on a n q-bits, on a 2n capacités de calculs potentiels - avec un système massivement parallèle... et naturellement massivement parallèle », insiste pour sa part Thierry Breton, PDG d'Atos. « "Naturellement", parce que l'on utilise les lois de la physique ».
Ainsi, un ordinateur quantique de 20 q-bits aurait la puissance d'un ordinateur de bureau. A 40 q-bits, cette machine serait aussi puissante que les plus gros HPC actuels.
Au-delà, on parle de « suprématie quantique », c'est à dire que la puissance de calcul potentielle n'aurait pas d'équivalent dans le monde des ordinateurs classiques.
« Cela ouvre des perspectives absolument considérables... si jamais tout ceci fonctionne », nuance Thierry Breton.
Limites liées à la mesure et à la décohérence quantique
La nuance est importante car si un qubit tire parti des lois quantiques, il est aussi limité par ces mêmes lois (décohérence et détermination au moment de la mesure).
La théorie de la décohérence est le phénomène qui fait que la superposition quantique prend fin lors d'interactions avec l'environnement. Une particule voit son état se fixer (« se projeter » ou « se réduire ») exactement comme lors d'une mesure. Pour un qubit, cela signifie qu'il se transforme en un simple bit classique.
En d'autres termes, un qubit a une persistance qui est égale à la durée de la superposition de la particule qui le compose (« la cohérence quantique ») avant que la superposition ne s'écroule. Or la décohérence peut arriver très vite.
C'est pour la retarder le plus longtemps possible que les q-bits sont refroidis à des températures très basses pour diminuer le « bruit quantique ».
« Pour éviter les problèmes d'interactions de ces q-bits avec le monde extérieur, il faut travailler quasiment au zéro absolu, -273 degrés ou quelques millièmes de degrés au dessus », resitue Thierry Breton (qui rappelle également que les qubits photoniques forment une exception sur ce point). « C'est très compliqué à réaliser. Même si on commence à le faire en laboratoire ».
Autre limite, ajouter des qubits augmente le risque d'interférence et de bruit quantique, et donc de décohérence.
Enfin, l'état de superposition, par définition, disparait à la mesure (« la réduction du paquet d'ondes »). Pour un qubit, cela signifie que la lecture de son contenu - le résultat d'une opération par exemple - fige ce contenu. « Donc même si un ordinateur quantique peut faire beaucoup de calculs en parallèle [...] à la fin vous ne pouvez avoir qu'un seul résultat », résume David Louapre.
Nécessité physique de nouvelles portes logiques et de nouveaux algorithmes
« C'est un peu comme avoir une grande base de données (NDR : stockée dans un ou des qubits) dont vous ne pouvez extraire qu'une quantité limitée d'informations, par exemple la somme de tous les soldes de tous les comptes bancaires ou combien de comptes bancaires sont vides. Mais vous ne pouvez pas télécharger le tout », confirme le National Institute of Standards and Technology.
Cette limitation « naturelle » des qubits explique également la nécessité de créer des portes logiques et une librairie d'algorithmes spécifiques (elles aussi qualifiées de « quantiques ») pour les exploiter correctement avec « des calculs intermédiaires parallèles mais un résultat unique à la fin », dixit David Louapre.
Différentes technologies de qubits
Il existe aujourd'hui plusieurs options de recherche pour produire des qubits persistants.
Parmi ces options, trois semblent prometteuses : celle à base d'atomes de diamants (piste suivie par Daniel Estève du CEA), l'option photonique (piste suivie par le Prix Nobel français Serge Haroche) et celle à base d'ions piégés (piste suivie par le professeur autrichien Rainer Blatt).
Quelque soit la technologie, aujourd'hui, la durée de vie quantique des qubits se compte en minutes voire en heure(s) pour certains.
« On a encore très loin du fonctionnement 24h sur 24 », constate Thierry Breton. « [La faible persistance des qubits] fait que je pense que l'on ne verra pas dans un premier temps un ordinateur quantique généraliste - purement quantique - mais plutôt des accélérateurs de traitement de calculs spécifiques » en complément des calculs faits grâce à des bits classiques.