SmartNICs et FACs, ces cartes réseau qui accéléreront les datacenters
Dotées de capacités de programmation, ces cartes réseau pourront prendre à leur charge des fonctions qui encombrent à l’heure actuelle les serveurs, au bénéfice de meilleures performances.
La programmabilité des infrastructures est devenue presque courante pour automatiser le déploiement des serveurs et des ressources de stockage, dans le datacenter comme en cloud. L’étape suivante consiste à embarquer le réseau dans ces pratiques. L’idée de pouvoir contrôler tous les routages depuis un point central est séduisante : elle offre la perspective d’améliorer plus simplement l’efficacité du trafic, d’alléger plus rapidement la charge des serveurs et, in fine, de réduire durablement les coûts de maintenance.
Dans le concept de Programmable Data Plane – le terme consacré à la programmabilité des réseaux – il n’est plus question d’aller paramétrer à la main chaque équipement de telle ou telle marque. On évoque la possibilité de piloter des protocoles et des processus spécifiques au réseau en programmant les chipsets et les ASICs des équipements au travers d’un langage universel : P4.
Jennifer rexfordExperte réseaux et titulaire chaire informatique, Université Princeton
« P4 est un langage Open source conçu pour donner la possibilité de programmer les couches inférieures du modèle OSI. En clair, il devient possible pour l’utilisateur de mettre les fonctions de filtrage et de routage exactement au niveau où elles devraient être, et pas là où les fournisseurs ont décidé de les placer », explique Jennifer Rexford, titulaire de la chaire d’informatique de l’université de Princeton et experte des réseaux.
Elle prévient toutefois que la complexité de programmation augmente au fur et à mesure que l’on descend dans les couches du modèle OSI. En l’occurrence, les couches supérieures concernent les applications, les couches intermédiaires les protocoles de communication et les couches inférieures, tout ce qui a trait au matériel qui porte le réseau, à commencer par la carte contrôleur ou NIC (Network Interface Card).
Décharger des calculs sur les cartes réseau pour accélérer les serveurs
Les cartes contrôleur ont connu un développement de leurs puces qui leur permet d’assumer davantage de fonctionnalités, en déchargeant les serveurs de certaines fonctions de réseau, de sécurité et de stockage pour libérer leur puissance de calcul.
« Nous voyons de plus en plus de fonctions affectées à la carte NIC, notamment celles de switch qui étaient auparavant exécutées par un pilote logiciel sur le processeur central d’un serveur. Outre résoudre des problèmes de vitesse, cette pratique est de plus en plus répandue, car il est devenu facile de programmer ces cartes », ajoute Jennifer Rexford.
Selon Anushree Verma, analyste experte en semi-conducteurs chez Gartner, le marché des cartes NIC s’est divisé en trois segments : les cartes contrôleur classiques, les SmartNICs qui déchargent les serveurs de certaines fonctions, mais toujours lorsque l’hôte leur demande de le faire, et les cartes accélératrices de fonctions (FAC).
Ces dernières sont des NICs entièrement programmables et capables d’exécuter une très grande variété de fonctions : les tâches liées au réseau, mais aussi à la sécurité, au stockage ou au calcul. Elles sont même capables d’exécuter ces fonctions quand c’est nécessaire, sans même que la machine hôte lui demande de le faire.
En pratique, une NIC traditionnelle laisse la machine hôte exécuter des fonctions réseau comme le chiffrement des paquets ou l’équilibrage de charge. La durée d’exécution de ces fonctions est autant de temps en moins pour les autres traitements et cela n’apporte aucune accélération. Une SmartNIC laisse tout autant la machine hôte exécuter ces fonctions, mais elle lui allège le travail en prenant à sa charge tout un lot d’opérations de bas niveau, comme la virtualisation des entrées-sorties ou la gestion d’un adressage virtuel sur un LAN étendu. Une FAC, en revanche, s’occupe de tout elle-même.
Selon la définition de Gartner, une FAC est un type de NIC qui possède un processeur intégré, une mémoire embarquée et des interfaces pour se connecter à des périphériques. Son processeur peut-être un ASIC, avec des fonctions spécialisées gravées dans ses circuits, un FPGA, avec un circuit reprogrammable par l’utilisateur lui-même, ou un SOC, c’est-à-dire un processeur et ses coprocesseurs regroupés sur la même puce.
Les fournisseurs ne suivent pas de critères standardisés pour construire des FACs ou des SmartNICs. Certains proposent des produits fermés et d’autres des produits programmables en langage P4. Cette seconde catégorie comprend les produits de marques Broadcom, Ethernity Networks, Mellanox et Pensando Systems.
Un segment de produits promis à une forte croissance
Anushree VermaAnalyste experte en semi-conducteurs, Gartner
« Il y a des facteurs qui favorisent actuellement l’adoption des SmartNICs et des FACs : les cybermenaces plus fréquentes et plus sophistiquées, les charges de travail qui se sont diversifiées, et les applications qui sont maintenant conçues spécifiquement pour les environnements en cloud. Tout cela est susceptible d’augmenter la consommation de puissance au niveau du processeur d’un serveur, ce qui n’est pas souhaitable », indique Anushree Verma.
Selon elle, les cartes FACs ont le vent en poupe dans les cas d’usage liés à la cybersécurité, car elles s’occupent de chiffrer/déchiffrer les données à la volée et s’occupent en toute autonomie de faire respecter des règles de firewall. Les SmartNICs sont très populaires dans les déploiements réseau plus classiques, car elles prennent à leur charge tous les traitements des paquets, TCP et contribuent à améliorer le monitoring du LAN sans engendrer de latence dans le trafic.
Dans ces deux cas, programmer les FACs et les smartNICs pour qu’elles exécutent des fonctions améliore la bande passante, fiabilise le transport des données et rend les serveurs plus disponibles, constate l’analyste de Gartner.
Les premiers à avoir adopté les SmartNICs et les FACs sont les fournisseurs de cloud, du fait du très grand nombre d’entrées/sorties qu’ils doivent gérer et qui justifie d’investir dans des techniques de pointe. On trouve aussi des acteurs des télécoms, comme l’opérateur China Telecom, et des équipementiers, comme Ericsson et Nokia, qui voient dans les SmartNICs et les FACs des moyens d’accélérer leurs déploiements 5G. Comme les cas d’utilisation inédits continuent d’apparaître presque chaque mois, Anushree Verma prédit que les FACs et les smartNIC représenteront environ 43 % des ventes de cartes NICs d’ici à 2024.
Anushree VermaAnalyste experte en semi-conducteurs, Gartner
Mais pour l’heure, l’adoption par le commun des entreprises reste faible : ces cartes programmables ne représentent que 0,8 % des NICs qu’elles achètent. Selon Anushree Verma, ces entreprises n’ont que rarement des besoins qui justifieraient l’achat de modèles non ordinaires. « Pour autant, les entreprises doivent acheter des cartes réseau. Et, à un moment donné, il est probable qu’elles se posent la question de mieux amortir ces dépenses en utilisant leurs cartes réseau, pour moins investir dans la puissance de calcul de leurs serveurs », conclut l’analyste.