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Quelles compétences réunir pour le numérique responsable ?
Les compétences sur le numérique responsable sont encore rares, témoignent les spécialistes. Et attention au Green Washing, préviennent-ils. Aux profils d’experts s’en ajoutent d’autres à former dans l’entreprise, pour installer une culture et sensibiliser le plus grand nombre.
En parallèle d’un plan d’action numérique responsable, des opérations de sensibilisation et de formation doivent être menées dans les entreprises
Chez Axa, par exemple, la formation constitue une des priorités du programme Digital Sustainability initié en 2020 à l’échelon du groupe. Frédéric Bordage, expert indépendant et membre du Collectif Green IT, le constate au sein d’autres acteurs du CAC40, des PME et des États. Pour lui, la première étape a très souvent été celle de la sensibilisation.
La sensibilisation est un « enabler »… à dépasser
« Nous accompagnons des centaines d’organisations par an. Pour les trois quarts, elles ont déjà fait une Fresque du Climat, et plus souvent du Numérique. C’est cette étape qui les décide à aller plus loin. La sensibilisation est un enabler », expliquait-il lors de la dernière édition du GreenTech Forum.
Frédéric BordageExpert indépendant, membre du Collectif Green IT
C’est le cas chez LVMH. Le groupe de luxe a lancé une initiative Green IT avec pour objectif de réduire les émissions de ses maisons de 20 % à horizon 2028. « Notre programme s’articule autour de divers chantiers. La formation et la sensibilisation font partie des axes prioritaires », déclare Caroline Tremel, Responsable de Domaine au sein de LVMH Beauty Tech, la DSI.
Si ces actions ne réduisent pas directement l’impact environnemental, elles n’en demeurent pas moins « clés », juge-t-elle. « C’est une étape nécessaire pour répandre les bonnes pratiques Green IT ».
Mais le sujet, poursuit-elle, concerne tous les collaborateurs et pas uniquement les équipes IT.
Formation et sensibilisation permettent « de se sentir acteurs dans cette dynamique de réduction de l’empreinte environnementale ».
Chez LVMH, la démarche part d’un sponsoring du Comex IT ainsi que de sa direction Sustainability. « Avec ces deux forts sponsors, on est en mesure après d’attaquer les Comex », déclare Caroline Tremel. À noter que le géant du luxe est accompagné par un des membres du Collectif Green IT (qui en compte des dizaines), Resilio.
Si ce volet humain s’impose, c’est en raison de la complexité de la terminologie associée au Green IT et au Numérique responsable. « Nos clients confondent tous les périmètres », observe Frédéric Bordage. Il est dès lors « crucial de former avant d’entamer la démarche », exhorte-t-il.
Former en amont pour éviter le hors-sujet et les coûts inutiles
À la clé des économies de temps et d’argent, assure l’expert, qui pointe des « hors sujets ». Il cite l’exemple d’entreprises désireuses de se former sur le Green IT… quand leur besoin concerne en réalité l’écoconception de services numériques.
« On ne se comprend plus lorsqu’on se parle. Une des vertus d’une formation, c’est déjà de reposer la sémantique et le vocabulaire afin de gagner du temps. Les périmètres sont ainsi plus clairs ». Et mieux vaut donc disposer d’un socle de prérequis avant de lancer un appel d’offres.
Emilie Zigmann, consultante senior en numérique responsable pour Wavestone, souligne que la formation et la montée en compétences sont également des moyens « d’avancer sur sa feuille de route », mais aussi « un véritable accélérateur ».
Emilie ZigmannWavestone
Les sensibilisations, au travers d’une Fresque du Numérique, sont par exemple l’opportunité d’identifier des « Green Champions » au sein de l’organisation. Ces acteurs clés seront ceux à former en priorité. Ils participeront ensuite à la diffusion d’une culture numérique responsable et à un transfert de compétences auprès des collaborateurs.
Quant au contenu des formations, il est divers. Elles visent à fournir un vocabulaire commun, à poser le contexte de la démarche dans l’entreprise et à favoriser le passage à l’action ou son « adaptabilité ». À ce titre, « il est très important d’avoir des mises en situation concrètes après une formation ». Au risque, dans le cas contraire, que les acquis soient vite oubliés.
Offre de formation : trier le bon grain de l’ivraie
L’offre de formation est aujourd’hui pléthorique. Mais attention aux pièges, prévient Frédéric Bordage. L’expert recommande d’opter pour des prestataires qui disposent d’au moins 10 ans d’expérience sur ces sujets. « Deux ans d’expérience c’est insuffisant pour commencer à transmettre des compétences », estime-t-il.
« N’hésitez pas à challenger les organismes de formation et à demander l’identité des formateurs et leurs CV », recommande-t-il. Frédéric Bordage encourage à trier le bon grain de l’ivraie et à se méfier du « green washing » pratiqué par certains nouveaux entrants. Autre clé de sélection : les standards.
« Dernière clé : fuyez si apparaît le terme carbone, ou seulement celui-ci », réagit-il encore, soulignant que l’approche recommandée par l’Europe est multicritères. « Fuyez tout ce qui est monocritère. Juste carbone, empreinte carbone ou juste GES… Fuyez. Cela ne peut pas être sérieux. »
Emilie Zigmann encourage par ailleurs à s’appuyer sur les retours d’expérience d’autres entreprises, notamment celles dans le même secteur. Wavestone procède ainsi à des mises en relation entre ses clients. « Les entreprises sont aujourd’hui très ouvertes à des partages sur ces sujets », relève-t-elle.
LVMH, elle, a fait le choix de recourir aux services d’experts du numérique responsable, écartant les organismes généralistes. La première étape a consisté à former une équipe centrale au Green IT, notamment sur la mesure et sa méthodologie.
La seconde phase vise à étendre la formation à d’autres acteurs pour acculturer plus largement.
Former toute la chaîne de valeur, mais par étape
Le groupe élabore actuellement un cursus de formation et de sensibilisation général s’appuyant sur la Fresque du Numérique. LVMH a aussi travaillé à un catalogue de formations qui cible différentes populations et qui poursuit des objectifs divers. Un développeur applicatif est formé différemment d’un collaborateur d’une fonction support.
« Nous avançons de manière itérative et pragmatique », déclare Caroline Tremel. Pour diffuser la culture Green IT, plusieurs canaux de communication internes sont mobilisés. La responsable de domaine insiste aussi sur la répétition des messages.
Frédéric BordageMembre du Collectif Green IT
« Avant la formation, la première étape doit porter sur la sensibilisation », défend-elle. « Tout le programme de formation et de sensibilisation doit s’ancrer dans une stratégie globale de développement durable de la maison pour maximiser l’impact ».
Joséphine Mouton, responsable déploiements enseignement à La Fresque du Numérique, informe par ailleurs de la nécessité de dépasser le stade de la sensibilisation, au risque sinon « de créer beaucoup de frustration ». Et aussi de n’avoir aucun impact sur le bilan environnemental de l’entreprise.
Compte tenu de la nature systémique de ces sujets, Emilie Zigmann souligne l’importance de « former toute la chaîne de valeur », mais avec des priorités. « On ne peut pas faire un big bang et former tout le monde en même temps ».
Elle encourage aussi les entreprises à challenger leurs fournisseurs pour qu’eux aussi se dotent de compétences en numérique responsable.
Capitaliser en interne sur les compétences
Le secteur souffre d’un manque de compétences, souligne Frédéric Bordage. Formateurs et experts font défaut, se désole-t-il, et « le niveau moyen est catastrophique ».
Face à ce déficit, LVMH met d’ailleurs en avant le partage de compétences au sein de la communauté Green IT du groupe, mais aussi la capitalisation afin qu’une réussite bénéficie non à une, mais à plusieurs de ses maisons.
Frédéric Bordage appuie cette méthode. Le collectif forme ainsi les « Green Champions » des organisations afin que ceux-ci puissent, ensuite, former eux-mêmes ou faire office de relais internes, a minima sur la sensibilisation.
Pour renforcer ses équipes IT et gagner en maturité, LVMH cherche également à recruter des référents Green IT. « Ce sont souvent des moutons à cinq pattes », constate Caroline Tremel. Acquérir ces compétences s’avère complexe, mais nécessaire.
De nouveaux postes émergent donc au niveau RH. En outre, les postes d’une DSI évoluent eux aussi. « Ils sont tous amenés à changer pour intégrer une compétence Green IT », qu’il s’agisse des acheteurs IT, des chefs de projets, des architectes ou des développeurs.