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Pourquoi il devient critique d’évaluer l'usage de l'eau dans le datacenter
Un datacenter de taille moyenne utilise autant d'eau que trois hôpitaux. Ainsi, tout plan de développement durable doit-il désormais prendre en compte l'usage de l'eau.
Si les institutions qui œuvrent pour le développement durable demandent globalement aux responsables informatiques de surveiller et diminuer l’empreinte écologique globale de leurs installations, certaines autorités enjoignent désormais les opérateurs de fermes de serveurs à surveiller plus étroitement la quantité d’eau qu’ils consomment.
L’usage de l’eau compte parmi les principaux facteurs de fonctionnement des datacenters. La ressource est utilisée à la fois pour stabiliser l’environnement d’exploitation (la température des installations), voire pour faire fonctionner les équipements qu’elles renferment.
Pénuries d’eau
Les Nations unies prévoient que, sur la prochaine décennie, la croissance démographique, combinée au réchauffement climatique, entraînera une demande en eau douce 40 % supérieure à l’offre. Dans le même temps, le Massachusetts Institute of Technology prévoit que, d’ici à 2050, 52 % des 9,7 milliards d’êtres humains estimés vivront dans des zones soumises à un stress hydrique.
Et ces prévisions sont portées à l’attention des opérateurs de datacenters, car la régulation thermique de leurs sites – particulièrement les fermes de serveurs installées dans des zones déjà sujettes à sécheresse – fait appel à des systèmes de refroidissement adiabatique (aspersion de gouttelettes d’eau pour qu’elles s’évaporent, ce qui refroidit l’air ambiant).
Récemment, l’État de Californie subissait une période de sécheresse historique, aussi longue que néfaste. Au cours de celle-ci, en juin 2021, le comté de Santa Clara, qui est connu pour abriter plus de 40 data centers, était frappé par des restrictions d’eau obligatoires.
Le caractère inquiétant d’une telle situation tient à ce que la majorité de l’eau qu’utilisent les datacenters provient généralement de sources d’eau potable qui alimentent foyers et entreprises, ce qui peut avoir des conséquences désastreuses pour la communauté locale.
« Dans l’accès aux ressources locales, les datacenters rivalisent avec les autres usagers », écrit David Mytton, adjoint de recherche sur l’informatique durable auprès de l’Uptime Institute, dans un article destiné au magazine Nature. « Un data center de taille moyenne (15 mégawatts/heure) utilise autant d’eau que trois hôpitaux de moyenne envergure, ou plus que deux terrains de golf de 18 trous. Malgré certains progrès dans le recyclage de l’eau ou le recours à une eau non potable, selon les chiffres disponibles, une partie du fonctionnement des data centers absorbe encore plus de la moitié de l’eau des sources potables que ces installations utilisent. »
De l’importance du site
Le problème sera plus ou moins important selon que le datacenter est installé ou non dans une zone déjà soumise à un stress hydrique, comme l’explique David Mytton au MagIT. « Si le data center est installé à proximité d’une source d’eau abondante, l’usage qu’il fait de celle-ci n’est pas vraiment un problème. En revanche, s’il est installé dans une région soumise à un fort stress hydrique, il pose question », prévient-t-il.
Ingénieur-conseil en datacenters, Ian Bitterlin explique que l’emplacement des installations a tendance à imposer le procédé de refroidissement à l’opérateur ; procédé qui peut en outre avoir des répercussions sur la consommation d’eau du site. « En Amérique du Nord, la consommation d’eau est très élevée, comme partout où sont utilisées des tours de refroidissement par voie humide », explique-t-il. « L’Europe recourt rarement à cette technologie ; la consommation d’eau reste donc très faible. En outre, l’adoption de systèmes de refroidissement adiabatiques et par évaporation [à l’échelle du continent] a été lente et semble en passe de le rester. »
Cette situation s’explique par les penchants et les préférences historiques des opérateurs à travers l’Europe pour des data centers qui reposent sur des conceptions qui privilégient le refroidissement à air, plutôt qu’à eau, explique Ian Bitterlin. Et le même d’ajouter que, cas spécifique, au Royaume-Uni, les opérateurs ne sont pas enclins à recourir à des tours de refroidissement par voie humide pour des raisons de santé et de sécurité.
« Historiquement, le Royaume-Uni perçoit un lien entre tours de refroidissement à eau et épidémie de légionellose ; et la menace de devoir fermer un site de données en cas de contamination par cette bactérie est généralement considérée comme un risque inacceptable », explique Ian Bitterlin.
Par exemple, il fait référence à la maladie du légionnaire qui a frappé Edimbourg en 2012, avec ses 92 morts, et qui a entraîné la fermeture de certains datacenters « stratégiques » de plusieurs établissements de services financiers écossais, dont la Royal Bank of Scotland, Standard Life et Scottish Equitable.
Une pression grandissante de la part des autorités
Si important soit l’emplacement, cela ne signifie en rien que l’opérateur d’un data center installé sur un site où l’eau potable est abondante puisse aujourd’hui ignorer la préservation de ce bien commun. Les opérateurs européens qui adhèrent au Climate Neutral Data Centre Pact (CNDCP) sont ainsi exhortés à porter davantage d’attention à l’usage routinier de l’eau de leurs installations
« Dans un futur où l’eau se fait rare, il ne suffit pas de déplacer ou d’installer des datacenters dans des zones où l’eau est en quantité suffisante », explique un rapport du CNDCP. « Dans les prochaines décennies, le changement climatique et la hausse démographique peuvent mettre ces zones sous stress hydrique ; et très certainement sur la durée de vie d’une telle installation. »
« La Californie, Singapour, l’Espagne, les Émirats arabes unis, l’Australie, et périodiquement de nombreuses autres régions du globe, sont autant d’exemples d’endroits où les carences en eau constituent une préoccupation majeure des plateformes de data centers », dit encore le rapport. « En Europe, les autorités de planification d’Espagne s’inquiètent du recours à un refroidissement à eau intensif, et sont susceptibles de restreindre l’usage de systèmes qui consommeraient trop d’eau. Aussi la construction de nouvelles installations peut-elle se heurter à la réglementation lorsqu’il s’agit de négocier des approvisionnements garantis en eau. »
Lancé en janvier 2021, le CNDCP a pour objet de contraindre les opérateurs de fermes de serveurs européens à la neutralité climatique d’ici à 2030. Il exige des adhérents la prise de mesures visant à diminuer la quantité d’eau que consomment leurs sites.
Les adhérents au pacte, parmi lesquels on compte Amazon Web Services, Google, Equinix et CyrusOne, pour ne nommer que ceux-là, se verront fixer des objectifs annuels d’économie de l’eau à compter de 2022. Ces objectifs devront être tenus par tout nouveau datacenter à compter de 2025, et par tout datacenter existant à compter de 2030.
Dans un document soumis à la Commission européenne en juin 2021, le CNDCP déclare qu’il envisage de rendre sa documentation publique d’ici à 2022, ainsi que les métriques qu’il emploiera pour évaluer l’économie de l’eau ; métriques qui incluront un « examen attentif » de tous les « facteurs interagissant » qui influencent la consommation d’eau des datacenters à des fins de refroidissement.
« À chaque conception de data center, sa technique de refroidissement. Et cette dernière doit tenir compte de la région, du climat, des ressources et du procédé de refroidissement le plus durable », explique le document.
Les data centers utilisent plus d’eau qu’ils ne le disent
Comme le détaille le document de recherche intitulé A circular economy for the data centre industry, publié en juin 2021, on estime que le secteur des datacenters consomme annuellement, à des fins de refroidissement, autant d’eau que 120 000 piscines olympiques. Mais il y a pire : hormis le refroidissement, une quantité d’eau non négligeable est également utilisée dans les groupes électrogènes pour stabiliser un carburant fossile qui pose problème, explique David Mytton de l’Uptime Institute.
David MyttonAdjoint de recherche sur l’informatique durable auprès de l’Uptime Institute
« La majorité des opérateurs de datacenters envisage la consommation d’eau provenant de la génération d’électricité comme un paramètre extérieur à leur stratégie et leur impact environnementaux ; il s’agit pourtant d’une mauvaise approche », explique David Mytton. « Les opérateurs de datacenters doivent réfléchir à l’impact environnemental de leurs installations, non seulement à travers les effets directs de la consommation [d’eau] dédiée au refroidissement, mais aussi à travers ceux, plus indirects, de la consommation liée à la génération d’énergie. »
Aussi est-il important que ces acteurs développent l’usage des énergies renouvelables – particulièrement le solaire et l’éolien – car cette mesure leur permettra de diminuer indirectement leur consommation d’eau, ainsi que leurs émissions de CO2, explique David Mytton.
De fait, il reste assez difficile de mesurer les effets des engagements écologiques que prennent les grands acteurs du cloud car ils ne divulguent jamais publiquement la quantité d’eau qu’utilisent leurs installations. En outre, sur l’ensemble du secteur d’activité, l’homogénéité laisse à désirer lorsqu’il s’agit d’enregistrer et de rapporter une consommation d’eau chiffrée ; il devient ainsi difficile d’obtenir une vision claire de l’activité, explique David Mytton.
Consortium international sur la rentabilité énergétique des datacenters, The Green Grid a introduit, il y a dix ans de cela, un indicateur de l’efficacité de la consommation d’eau, le WUE (Water Usage Effectiveness). Il permet aux opérateurs de surveiller la consommation d’eau de leurs installations tout en facilitant l’identification de secteurs où des améliorations sont possibles. The Green Grid était déjà à l’origine de l’indicateur d’efficacité énergétique, le PUE (Power Usage Effectiveness) ; un moyen pour les opérateurs de mesurer le rendement énergétique de leurs installations qui a été, depuis, largement adopté sur l’ensemble du secteur industriel des datacenters.
Si la documentation marketing des opérateurs vante régulièrement des améliorations des scores PUE d’une année sur l’autre, les scores WUE sont beaucoup moins mis en avant, explique David Mytton. Et le même de faire remarquer : « Facebook utilise cet indicateur et publie ses chiffres WUE, mais il est seul acteur de cette taille à le faire. »
ComputerWeekly, le média partenaire du MagIT au Royaume-Uni, a contacté les géants du cloud sur cette question.
AWS n’a pas répondu directement à la question. LeMagIT comprend que le prestataire utilise ses propres éléments de mesure internes pour surveiller le rendement de la consommation d’eau de ses datacenters.
Selon une publication disponible sur son site Web et consacrée au développement durable, Amazon Web Services (AWS) revendique « plusieurs initiatives » en cours visant à optimiser l’usage de l’eau pour le refroidissement de ses datacenters, ainsi qu’une stratégie sur ce même thème dictée par les schémas climatiques et la disponibilité de l’eau dans les régions où sont implantées ses installations.
Microsoft, pour sa part, déclare utiliser l’indicateur WUE pour surveiller la quantité d’eau que consomment ses datacenters, sans pour autant divulguer publiquement ses résultats.
« Dans nos datacenters, nous mesurons le paramètre WUE (Water Usage Effectiveness) que nous combinons au procédé de refroidissement et au climat local, afin de mesurer et de projeter la consommation d’eau de nos installations telle que nécessaire », explique le porte-parole de Microsoft.
Microsoft a par ailleurs rendu public, en septembre 2020, un engagement de l’ensemble de l’entreprise visant à garantir qu’elle rendrait plus d’eau qu’elle n’en consomme d’ici à 2 030, dont la mise en place de changements visant à réduire la quantité d’eau consommée par son nouveau datacenter d’Arizona.
« Nous n’utiliserons pas d’eau de refroidissement sur plus de la moitié de l’année en tirant parti d’un procédé nommé refroidissement adiabatique. Celui-ci utilise l’air extérieur, au lieu de l’eau, pour refroidir les installations lorsque les températures sont supérieures à 30 degrés », explique Brad Smith, Président de Microsoft, dans une publication de blog.
« Ce système est extrêmement efficace, car il utilise moins d’électricité et jusqu’à 90 % d’énergie en moins comparé aux systèmes à refroidissement à eau, tels que les tours de refroidissement », ajoute-t-il.
Selon son expérience et ses propres recherches, David Mytton explique que Microsoft occupe la première place du « Top 3 » lorsqu’il s’agit de fournir à des acheteurs informatiques un certain niveau de transparence concernant les habitudes de consommation d’eau de ses datacenters, même si l’entreprise pourrait faire bien plus.
« Microsoft fournit bien une ventilation par source et par région [de sa consommation d’eau] ce qui permet, par exemple, à un utilisateur d’appréhender facilement l’impact environnemental de l’entreprise s’il opte pour Microsoft Azure », explique David Mytton. « Toutefois, si aucun autre fournisseur ne publie ces données, il n’y a rien à comparer. »
Google, enfin, s’est refusé à fournir à nos journalistes des chiffres concernant l’eau consommée par ses datacenters, évoquant l’impossibilité de le faire site par site.
Dans son rapport environnemental de 2020, qui planifie le travail que Google effectue à l’échelle de l’entreprise pour réduire l’impact environnemental, le géant de la recherche fait maintes fois référence à ses efforts pour diminuer la consommation d’eau sur l’ensemble de ses bureaux et datacenters.
« Le recours dès que possible à des options de refroidissement innovantes, notamment l’eau de mer en Finlande, l’eau des canaux industriels en Belgique et l’eau de recyclage des déchets aux États-Unis sur notre site du Comté de Douglas, en Géorgie, sont autant d’exemples de pratiques durables de gestion de l’eau dans nos datacenters », explique le rapport de Google.
« En Irlande, nous optimisons l’usage de l’eau en recourant à un refroidissement par air extérieur. Nous recyclons également l’eau plusieurs fois au sein de nos systèmes pour en rentabiliser chaque goutte au maximum. »
Mesurer la consommation d’eau serait « difficile »
Les résultats de l’enquête de 2 020 de l’Uptime Institute sur l’industrie internationale des datacenters montrent en outre à quel point les rapports sur l’usage de l’eau à l’échelle du secteur sont généralement disparates.
Sur les 846 répondants de niveau opérateurs de datacenters, seule une moitié d’entre eux déclare que leurs organisations ont surveillé l’eau consommée par leurs installations et, plus largement, par leurs activités informatiques. « Au cours de la décennie passée, nombre d’opérateurs de datacenters de grande envergure ont intensifié leurs efforts pour économiser l’eau, mais, en général, à l’échelle de l’industrie, les progrès se sont avérés lents », explique le rapport. « Ce n’est que récemment que quelques-uns des plus importants propriétaires de datacenters ont commencé à collecter des données exhaustives sur l’utilisation de l’eau à l’échelle de leurs actifs ; les autres y travaillent encore. »
Cette progression lente s’expliquerait par le fait qu’il est plus difficile pour ces opérateurs de s’attaquer à la manière d’exploiter plus durablement leurs sites du point de vue de la consommation d’eau, explique David Mytton.
« Avec l’énergie, l’objectif consiste à transiter vers des sources renouvelables et à tendre vers une émission de CO2 nulle, voire négative », dit-il. « L’objectif est très simple : vous y êtes parvenu, ou pas. Avec l’eau, l’objectif vers lequel tendre est plus compliqué à appréhender. »
Autre facteur à prendre en compte, d’un point de vue historique : nombre de datacenters ont cherché à diminuer leurs scores PUE en renonçant à des systèmes de refroidissements mécaniques, gourmands en énergie, au profit d’autres qui reposent sur l’évaporation et qui, par voie de conséquence, consomment beaucoup d’eau.
Il est donc possible que certains opérateurs renâclent à publier leurs scores WUE sachant que ces derniers sont susceptibles de révéler que leurs scores PUE ont été atteints par le truchement d’une forte consommation d’eau, explique David Mytton. Mais l’ampleur du problème dépend de plusieurs facteurs.
« Vous devez connaître la consommation d’eau de la source pour déterminer s’il est intéressant de l’augmenter sur le site en termes de réduction de consommation d’énergie. En effet, cela peut signifier moins d’eau pour générer de l’électricité, donc moins d’eau globalement. C’est pour cette raison que l’indicateur WUE est important pour mesurer tant le site que la source. Vous pouvez ainsi envisager le contexte dans son ensemble. »
« Dès lors qu’il s’agit de comparer l’eau à l’énergie, les débats deviennent plus nuancés. En effet, si un datacenter qui ne consomme pas d’eau du tout semble l’objectif à atteindre, il n’en dépend pas moins du contexte spécifique de l’emplacement géographique », poursuit-il.
« Vous vous trouvez alors au sein d’un débat dont les multiples thèmes sont l’emplacement du datacenter, le contexte géographique du site et son évolution au fil du temps [avec le changement climatique]. Ajoutons au débat les ressources que puise l’installation sur le réseau électrique et l’incidence sur la consommation d’eau. »
Autre facteur venant complexifier l’ensemble, la durée de vie moyenne d’un datacenter est de 20 à 25 ans. Et il est difficile de déterminer combien de fermes de serveurs actuellement en fonctionnement ont été conçues en tenant compte d’une économie d’eau, comme l’explique Tony Lock, analyste pour le cabinet d’études Freeform Dynamics.
Tony LockAnalyste pour le cabinet d’études, Freeform Dynamics
« L’industrie va mettre du temps à s’adapter. La plupart des fermes de serveurs sont construites pour durer 20 à 25 ans. Alors que faire si vous disposez d’un site vieux de cinq ans qui n’a pas été conçu pour économiser l’eau ? Si les sites existants doivent passer par des mises à niveau considérables, il est hors de question de les mettre hors ligne toute une année ou sur des durées prolongées pour les reconstruire. C’est tout le défi de ces situations. »
Mais si compliquée et ambitieuse que semble la perspective de réduire la consommation d’eau d’un datacenter, il est impératif que ces installations s’attaquent au problème le plus tôt possible, insiste Tony Lock. « Si l’association entre utilisation de l’énergie, émissions de CO2 et écologie est enracinée dans les esprits, le rôle de l’eau n’en fait pas partie. Et pour le moment, cette association n’est réellement évoquée que dans les articles de recherche », lance-t-il.
« Les effets du changement climatique devenant de plus en plus visibles, cette considération va contribuer à une plus grande prise de conscience du public quant à la rareté de l’eau, et aux raisons pour lesquelles il faut faire davantage pour en économiser les réserves, particulièrement dans les régions soumises à un stress hydrique », ajoute Tony Lock. « De la même manière, il y a quatre ou cinq ans, l’empreinte carbone des vols et des compagnies aériennes commençait à attirer l’attention. Ce qui a conduit ensuite à l’attirer davantage sur l’utilisation de l’énergie et les émissions de CO2 des datacenters. Ce n’est pas encore le cas pour l’eau, mais cela viendra. »