Digital Workforce : la RPA va au-delà de l’automatisation des tâches
Les offres RPA ne se contentent plus d’automatiser des bouts de workflows. Elles peuvent à présent automatiser une grande partie de certaines fonctions métiers. Signe de cette évolution, l’émergence des expressions « travailleurs et main-d’œuvre numériques » ou en anglais « Digital Workers & Digital Workforce. »
La prochaine vague d’automatisation des workflows dépasse la simple Robotic Process Automation (RPA) – où les bots exécutent des tâches spécifiques – pour aller vers une véritable main-d’œuvre numérique, en anglais Digital Workforce, – où les bots assument presque toute la gamme de responsabilités de certains métiers.
Déjà, les fournisseurs de solutions RPA proposent des digital personas ou des « travailleurs numériques » (« Digital Workers ») : des bots RPA de nouvelle génération conçus pour gérer plusieurs tâches qui, jusqu’à présent, étaient effectuées par différents humains.
« Le terme “main-d’œuvre numérique” est bien choisi parce que c’est plus que de la RPA », commente Scott Likens, spécialiste des technologies émergentes chez PwC. « La RPA est en train de se transformer en bots composites qui – même s’ils ne sont pas équivalents à un poste à temps plein – savent exécuter une grande partie du travail d’un employé ».
Un bon exemple se trouve chez Automation Anywhere qui s’est installé en France en 2019 et qui a lancé ses escadrons de Digital Workers (accessibles dans le Bot Store que l’éditeur a ouvert en mai 2018 pour les développeurs spécialistes de l’IA et du Machine Learning, et qu’il présente comme « le premier magasin de bots au monde »).
Place aux Digital Workers et à la Digital Workforce
Chaque « travailleur numérique » sait accomplir des tâches habituellement assignées à un poste spécifique au sein d’une entreprise. Par exemple, le Digital AWS IT Admin peut lire les tickets de support, réinitialiser les mots de passe des utilisateurs, créer une instance Elastic Compute Cloud et générer des rapports d’utilisation.
Parmi ses autres Digital Workers, on trouve un Digital Azure IT Admin, un Digital Google Cloud IT Admin et un Digital SAP Accounts Payable Clerk. « C’était une demande très claire de notre écosystème » explique Mukund Srigopal, directeur du marketing produit pour le Digital Worker Ecosystem chez Automation Anywhere.
Mais Automation Anywhere n’est pas le seul. D’autres acteurs mélangent aussi automatisation robotique, apprentissage statistique et Intelligence Artificielle pour automatiser des fonctions – et plus seulement des tâches individuelles. Arago, Blue Prism, IPsoft et Kryon sont de ceux-là.
Les analystes s’attendent d’ailleurs à ce que les éditeurs évoluent tous de plus en plus dans cette direction à mesure que les dirigeants, les métiers et l’IT se familiarisent et utilisent la RPA. Stephanie Stoudt-Hansen, directrice de recherche chez Gartner, constate déjà que l’adoption progresse à un rythme effréné et que certains éditeurs affichent une croissance à trois chiffres de leurs revenus.
« Le marché se développe. Les éditeurs de solutions RPA se tournent déjà vers l’avenir et pensent à des offres plus sophistiquées », déclare l’analyste.
Pour Gartner, en 2019, les feuilles de route produits des éditeurs « promettaient l’arrivée de fonctions plus sophistiquées via la reconnaissance visuelle, l’automatisation préintégrée et des systèmes auto-scalables ». Gartner s’attendait également à ce que le marché du RPA passe d’offres centrées sur les tâches à une « automatisation plus poussée, centrée sur les processus, qui finira par se transformer en orchestration de processus ». Les offres ont bien été commercialisées sur le marché entre 2019 et 2022, mais cette transformation est loin d’être achevée.
Les défis de l’automatisation et de la RPA as a Service
Toutefois, l’utilisation de la RPA en entreprise n’ira pas sans défis.
Selon Stephanie Stoudt-Hansen, les éditeurs vont par exemple de plus en plus proposer des tarifications à l’usage. Si la notion de RPA as a Service apparaît, chaque modèle sera différent. Résultat, il sera difficile de faire des comparaisons entre les offres des différents fournisseurs.
En outre, des entreprises vont certainement être confrontées à la réalité de projets RPA d’envergure. Beaucoup d'entre elles risquent de mésestimer l'importance de l'analyse préparatoire, de déterminer des gardes fous et / ou de la gouvernance - du simple fait que les produits RPA se présentent comme plug-and-play ou entièrement prêts à être déployés. Or même s’ils sont tout cela sur le papier, cela n’exempte pas d’un travail identique à celui de tout projet transformationnel.
« Les organisations vont devoir développer des centres d’excellence et des processus pour monter en puissance avec leur RPA », prévient l’analyste de Gartner.
Quant aux responsables qui cherchent à aller au-delà de la RPA et à automatiser des fonctions entières – et donc adopter l’approche Digital Workforce – , ils constateront qu’il y a peu d’options à ce stade, avertit Scott Likens de PwC. Pour lui, le nombre de postes suffisamment standardisés pour faire de bons candidats à une automatisation totale est très limité.
« Le recrutement, la gestion des dettes fournisseurs et celle des créances clients sont des processus très standardisés, donc ce sont de bons candidats. Mais il y en a beaucoup moins qu’on ne pourrait le penser », résume-t-il. « Nous voyons encore beaucoup d’implémentations d’automatisation d’un seul processus (NDR : d’une tâche). Ce sont les projets dont les bénéfices sont les plus simples à concrétiser rapidement avec une technologie de RPA qui est mature ».
Gains d’efficacité vs Transformation
En fait, pour Scott Likens, la plupart des entreprises déploient des bots RPA pour automatiser les tâches et non pas pour remplacer des fonctions avec des Digital Workers. Pour une raison simple, les déploiements actuels de ce type de RPA classique sont les plus susceptibles d’apporter des gains d’efficacité. Mais ils ne transformeront pas grand-chose dans la mesure où la plupart des organisations automatisent des processus existants sans réellement les revoir dans le cadre de leur projet RPA.
Stéphanie Stoudt-HansenDirectrice de recherche, Gartner
Stephanie Stoudt-Hansen de Gartner est du même avis. Pour elles, les organisations qui veulent maximiser le ROI de leur projet RPA devraient se concentrer non seulement sur la valeur immédiate que l’automatisation d’une seule tâche peut apporter, mais aussi (voire surtout) se pencher sur la façon de restructurer leurs processus pour qu’ils soient automatisés, penser à la manière de déployer les outils d’automatisation à grande échelle, et réfléchir à la manière d’intégrer l’automatisation aux autres systèmes et processus.
« Intelligent Automation », l’étape suivante du RPA
Remettre à plat les processus est en tout cas, semble-t-il, le sens de l’histoire. Avec ou sans l’intervention humaine d’ailleurs.
Pour Scott Likens à mesure que la RPA intègre de l’IA – avec des algorithmes qui examinent les processus pour déterminer la façon la plus efficace de les traiter de bout en bout – l’impact de l’automatisation par les bots ne peut aller qu’en augmentant.
« Automatiser les processus et numériser ce que font les humains, c’est très utile », concède Scott Likens en parlant des projets actuels d’automatisation de l’existant. « Mais nous avons créé beaucoup de processus qui ne sont pas très bons. Ils ne sont pas la façon la plus efficace de faire les choses. “L’automatisation intelligente” – c’est-à-dire laisser les machines regarder ce qu’il y a au début et à la fin d’un process pour qu’elles trouvent ce qui serait le mieux au milieu – c’est la prochaine étape ».
Les déploiements RPA sont, aujourd’hui, déjà en train de jeter les bases de cette automatisation intelligente en collectant de gros volumes de données sur les processus, ajoute-t-il.
Déconstruction des rôles et des fonctions
Mukund Srigopal, de Automation Anywhere, explique pour sa part que son entreprise a développé les Digital Workers avec l’idée que ce seront les responsables métiers – et pas nécessairement l’IT – qui dirigeront les projets d’automatisation.
Pour lui, le spectre du remplacement de l’humain n’est pas non plus le scénario le plus plausible. Certes, certains gros clients peuvent utiliser des bots RPA pour automatiser entièrement plusieurs postes, mais Mukund Srigopal constate plutôt qu’ils les utilisent le plus souvent pour « augmenter » leurs équipes humaines.
« Nous le voyons comme un personnage numérique (persona) qui automatise le travail répétitif d’une fonction donnée pour que les employés [humains] puissent être affectés à des tâches à plus grande valeur ajoutée ».
« Les organisations s’éloignent du modèle où une fonction entière est entièrement assurée par des gens. Elles vont vers la déconstruction des fonctions en compétences [N.D.T. : skills] », continue-t-il. « Certaines compétences restent prises en charge par des humains et d’autres le sont par des logiciels. Notre Digital Worker s’inscrit parfaitement dans ce mouvement ». Les entreprises seraient encore loin d’avoir des équipes composites qui combinent de façon transparente des talents humains et des capacités numériques.
Scott Likens, de PwC, nuance le propos. Pour lui, les organisations vont continuer à identifier des tâches simples pour la RPA et à s’orienter vers les Digital Workers pour des processus métiers standardisés. Les entreprises achèteront des solutions prêtes à l’emploi pour les tâches, les processus et même les postes qui reposent sur une exécution standardisée. Et elles personnaliseront les solutions d’automatisation pour les processus qui sont propres à leur entreprise, ajoute-t-il.
Robot as a Service, rôle du DSI
Tout comme il existe des intérimaires et des indépendants, il pourrait assez rapidement exister des « bots à louer », catégorisés par la notion de Robot as a Service. L’entreprise de Cay Gliebe (VP en charge des produits chez OneSource Virtual, un spécialiste des services dédiés à Workday) cherche justement à créer, à héberger et maintenir des personas numériques pour ses clients.
Cay GliebeVP en charge des produits, OneSource Virtual
« L’idée est d’avoir une bibliothèque de travailleurs numériques à laquelle nos clients peuvent s’abonner » explique-t-elle. Ses Digital Workers devraient être effectifs et disponibles dans le courant de l’année. Pour concevoir cette offre, Cay Gliebe a opté pour Automation Anywhere du fait que les outils de l’éditeur permettaient au marketing de prendre la direction des opérations (avec néanmoins le soutien de l’IT). En parallèle, elle a embauché un chef de produit RPA et trois analystes RPA pour mener à bien le projet.
Randy Black, en charge de la R&D chez OneSource Virtual, prévient toutefois que son entreprise n’est pas novice dans le domaine. OneSource Virtual a en effet investi dans les services Web et les technologies d’automatisation tout au long de ses dix années d’existence, ce qui lui permettrait aujourd’hui de tirer parti des nouvelles offres RPA.
Randy Black, qui supervise les opérations et les services IT, rappelle au passage que c’est bien son équipe – et ses compétences en intégration, en sécurité et en Cloud Computing – qui construit et supporte les environnements de développement, de test et de production des solutions d’automatisation de l’équipe de Cay Gliebe. Dit autrement, la RPA et l’automatisation plus poussée sont un travail de coopération entre métiers et DSI.
Scott Likens de PwC rejette également l’idée que l’IT puisse être exclue des déploiements d’automatisation, même si la technologie évolue et gagne en intelligence. Pour lui, l’informatique doit être associée aux métiers, en particulier pour créer l’infrastructure nécessaire à la prise en charge des bots RPA, gérer le passage à l’échelle d’un point de vue technique, prendre en charge la sécurité, et gérer ces bots à mesure qu’ils proliféreront dans les entreprises.
« Les DSI ont encore un rôle très important à jouer, notamment pour poser les bases d’une véritable Digital Workforce », conclut-il. « Et vous aurez toujours besoin de l’IT pour vous assurer que ces bases sont bien saines et solides ».