Le « Dynamic Data Storytelling » au cœur de la nouvelle génération de BI (Gartner)
Analytique « augmentée », « avancée », et « automatisée » sont les nouvelles tendances clefs de la Business Intelligence. Mais l’analytique « dynamique » – dont on dit qu’elle remplacera les traditionnels tableaux de bord – sera certainement la prochaine grande disruption du marché.
Une nouvelle génération de Business Intelligence est (presque) déjà là. Et elle risque de redistribuer quelques cartes. Rita Sallam, analyste chez Gartner, a profité de la sortie du Magic Quadrant pour échanger sur cette évolution.
Dans la première partie de cet entretien, elle a détaillé les points communs qui différencient les leaders des autres acteurs du marché. Dans cette deuxième partie, elle aborde les tendances clefs – l’analytique augmentée (très orientée utilisateur), l’analytique avancée (qui chasse sur les terres du Machine Learning), l’analytique automatisée (qui pré-prépare les données) et l’analytique dynamique (qui détermine les éléments clefs et les explique à la place des tableaux de bord).
Elle y analyse également la nouvelle consolidation du marché qui a actuellement lieu, dix ans après celle qui a vu les BO, Cognos et autres Hyperion se faire racheter par SAP, IBM et Oracle, ouvrant l’arrivée de Qlik et de Tableau.
Un des éléments clefs de l’année 2019 a été le retour à une consolidation du marché. Pour vous, que disent ces rachats sur le secteur ?
Rita Sallam : Globalement, la consolidation dit trois choses.
La première, c’est que la BI s’est démocratisée. Elle devient « mainstream ». Les innovations que Tableau, Qlik et même Tibco Spotfire ont introduites au début des années 2000 – autour de l’exploration visuelle des données – sont devenues des choses très courantes.
La deuxième, qui est une conséquence de la première, c’est que nous devrions voir une accélération vers la prochaine rupture technologique du marché.
Rita SallamGartner
Cette évolution se fera autour d’une nouveauté comme l’analytique augmentée – où le Machine Learning et l’Intelligence Artificielle sont infusés directement dans les plateformes BI pour en automatiser de nombreux aspects : la préparation des données (Data Prep), la génération d’enseignements (Insights), en passant par le partage des informations (via un Data Storytelling automatisé) ou la narration qui accompagne et explicite une représentation de Data Viz.
La troisième chose que traduit la consolidation du marché, c’est l’avènement des écosystèmes cloud. Microsoft Azure est devenu un écosystème complet de gestion de données, d’analytique et de BI, de Data Sciences et d’apprentissage automatique. Même chose chez Google. Le rachat de Looker commence à bien compléter son portefeuille de gestion de données. Et Salesforce, bien sûr, veut s’appuyer sur Tableau pour compléter son portefeuille de solutions cloud [dans le domaine].
L’accord entre Salesforce et Tableau n’a été finalisé qu’en novembre. Il est peut-être trop tôt pour dire ce qui va se passer concrètement, mais comment envisagez-vous les conséquences de ce rachat pour Tableau ?
Rita Sallam : C’est difficile à dire. Mais il peut y avoir des points très positifs.
Salesforce a été l’un des précurseurs de l’analytique augmentée (avec le rachat d’une startup très innovante, BeyondCore, et l’intégration de ses fonctionnalités dans Einstein Analytics). De son côté, Tableau a fait l’acquisition d’une société appelée Empirical – il y a 18 mois – et il en a fait un produit d’analytique augmentée qu’il a sorti en novembre : Explain Data. Il y a une synergie possible pour Tableau en lui ajoutant certaines des innovations d’Einstein.
On peut aussi imaginer que le produit de Tableau va devenir encore plus ergonomique et encore plus axé sur l’utilisateur (encore plus user-friendly).
Il faut bien voir qu’il est extrêmement difficile d’être deux fois un « disrupteur » sur un marché. Les entreprises qui étaient à la pointe des pains de glace et de la glace sèche ne sont pas devenues les leaders du marché des réfrigérateurs. C’est ce qu’on appelle le « dilemme de l’innovateur ». Et c’est vrai pour toutes les technologies et tous les marchés.
Or Tableau a été un des précurseurs de l’exploration visuelle des données. Son rachat par Salesforce pourrait l’aider à franchir, à nouveau, un cap d’innovation.
D’un autre côté… il y a des doublons entre Einstein Analytics et Tableau. Il va donc falloir trouver un moyen de rationaliser ces redondances. Souvent, après un rachat, les entreprises se concentrent sur l’intégration et sur cette rationalisation, ce qui consomme des ressources qui, autrement, iraient à l’innovation.
En fait, nous ne savons pas trop comment tout cela va se passer.
À part la consolidation, quelles tendances actuelles voyez-vous façonner la BI ?
Rita Sallam : Je pense que ce que nous voyions depuis l’année dernière, c’est une certaine forme de convergence – sur plusieurs fronts. Par le passé, les entreprises étaient peut-être satisfaites d’avoir leurs reportings à l’ancienne d’un côté et une plateforme de Modern BI de l’autre. Mais en 2019, nous avons vu des entreprises qui souhaitaient disposer de fonctions de reporting traditionnelles – comme la mise en page au pixel près (pixel-perfect) ou la possibilité de diffuser les documents à grande échelle – mais qui veulent ces fonctions directement dans leur plateforme analytique et de BI.
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De même, nous constatons une convergence entre les plateformes de Data Sciences et de Machine Learning d’un côté, et les plateformes analytiques et de BI de l’autre.
Avec une plateforme BI, un utilisateur métier – aidé par l’analytique augmentée – peut faire de la Data Science pour construire des modèles de Machine Learning (il devient un « Citizen Data Scientist »). Dans les produits BI, nous commençons à voir de plus en plus de fonctionnalités d’analytique avancées disponibles en glisser-déposer ou dans des workflows, pour permettre à un utilisateur non expert de profiter plus facilement des avantages du Machine Learning.
Quelles sont les autres évolutions technologiques qui, selon vous, seront les plus importantes au cours cinq prochaines années et qui pourraient structurer le marché de la BI d’ici 2025 ?
Rita Sallam : Ce que nous verrons probablement à moyen terme, c’est une évolution vers une narration des données plus dynamiques, un « dynamic data storytelling ».
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L’interface dominante pour consommer un contenu analytique ne sera plus nécessairement le tableau de bord tel que nous le connaissons – avec des indicateurs clefs (KPI) prédéfinis. Ce sera plutôt des insights dynamiques ou des données qui seront « racontées », qui s’adapteront à un utilisateur spécifique, en tenant compte de son contexte. L’utilisateur n’aura plus à passer par un dashboard, puis à faire des analyses – à demander « pourquoi cet évènement-là s’est-il produit ? » – et puis à partager ces conclusions avec quelqu’un d’autre.
Je pense que nous allons voir un déclin des tableaux de bord dans l’expérience utilisateur de la BI. À la place, vous verrez probablement, grâce à l’analytique augmentée – les interfaces conversationnelles, le monitoring d’activités, etc. – des expériences qui s’appuient sur des narrations plus dynamiques. Du Data Storytelling raconté directement aux gens, quand ils en ont besoin, et sans qu’ils aient à faire beaucoup de manipulations pour obtenir des insights.