Le « Data as a Service », nouvel eldorado du marketing numérique
Les données tierces fournies sur abonnement par les éditeurs IT permettent d’enrichir une connaissance client, de dépasser la vision 360° et de trouver de nouveaux prospects. Tout en économisant le difficile traitement des données brutes. Mais elles vont poser des questions de confidentialité.
Si l’on en croit les études, les éditeurs et les analystes, la donnée est en train de devenir la richesse la plus précieuse des entreprises. La dématérialisation, les interactions numériques et les objets connectés (dont les smartphones) ont généré de nouvelles informations potentielles pertinentes (les “insights” disent les britanniques).
Dans le marketing, les nouveaux canaux (SMS, mails, sites web, e-boutiques, réseaux sociaux, cartes de fidélités numériques) ont apporté leurs lots « d’insights ». Avec de nouveaux outils (CRM, MRM, automatisation des campagnes ou outils d’attribution) ces données permettent - théoriquement - de mieux profiler les clients et donc de mieux segmenter un marché pour mieux cibler les consommateurs.
Le marketing a quitté l’âge de la compréhension globale d’un marché (d’où la discipline tire d’ailleurs son nom). Cette compréhension s’appuyait sur des outils statistiques macro-économiques - de la même famille que celle des sondages d’opinions - complétés par des études qualitatives.
Ces outils n’ont pas disparus mais le marketing est désormais entré dans l’âge de la compréhension du client, particulier, unique. Un segment est de moins en moins une sous-partie d’un marché globale et de plus en plus un agrégat de clients individuels avec des caractéristiques proches. En tout cas sur le papier.
Aller plus loin que les données générées en interne
Car dans la « vraie vie », nombre d’entreprises ont encore des services clients désastreux, sont incapables de centraliser leurs données, de les nettoyer, de les enrichir avec de nouvelles interactions, et d’avoir une vision claire et complète d’un parcours client (avant, pendant et après un achat).
Salesforce rappelait récemment que de tous ses clients Telco français (Orange, Bouygues Telecom et SFR), Bouygues Telecom avait déployé une stratégie de vision à 360° de ses clients en quelques mois, là où certains de ses concurrents en étaient encore à déployer des fonctions basiques d’un CRM (la boutade ne visait a priori pas Orange).
Quoiqu’il en soit, la “guerre de la donnée” est déjà passée à la phase suivante. Remettant au passage en cause l'appellation « vision à 360° ». Aujourd’hui, ce terme désigne la capacité à voir et à comprendre la totalité de la relation entre un client et une entreprise : qui a démarché le prospect, quand, en s’appuyant sur quel lead issu de quel site/contenu, quand est-il devenu client, qu’a-t-il acheté, à quelle fréquence, a-t-il appelé le SAV/support, répond-il au SMS/sollicitation post-achat, est-il sensible aux propositions de cross-selling et d’up-selling, etc.
Or cette vision - encore une douce chimère chez beaucoup de sociétés, on ne le répétera jamais assez - n’est en fait, tout au plus, qu’une vision à 180°.
Ces données permettent certes d’extrapoler d’autres « insights » : une adresse détermine avec une marge d’erreur faible un CSP… et même une sensibilité politique par exemple. Mais ces informations sont limitées et surtout elles demandent des traitements et des compétences en analyses statistiques que seuls les très rares « data scientists » peuvent générer, avec des outils coûteux (SPSS, SAP HANA qui embarque également des algorithmes pour les mathématiciens, SAS, etc.).
D’où l’idée de fournir des données supplémentaires, issues de sources tierces n’ayant rien à voir avec l’entreprise utilisatrice, pour atteindre une vrai vision à 360° d’un client.
La pratique pose des questions de confidentialité évidente. Mais elle progresse. En témoigne la montée en puissance du « Data as a Service », qui n’est ni plus ni moins que des listings d’informations clients proposées par des éditeurs contre rémunérations. Des sources régulièrement mises à jour par les fournisseurs et qu’il est possible de connecter aux outils IT (CRM ou autres).
AddThis et Oracle, IBM et la médecine : des combinaisons puissantes (et potentiellement sulfureuses)
Deux gros rachats illustrent cette tendance qui permet aux marqueteurs d’enrichir - à peu de frais - leurs fiches clients.
Le premier concerne Oracle qui a récemment mis la main sur AddThis. AddThis est une société américaine dont le cœur de métier est de fournir à un site des outils - des widgets clef en main - pour permettre le partage de ses contenus sur les réseaux sociaux ou par mail. Ces outils prennent la forme d’une barre regroupant Facebook, Twitter, LinkedIn, etc.
Ce cœur de métier s’est enrichi de modules de propositions de contenus connexes (« A lire aussi ») et d’engagement (une barre qui invite par exemple à s’abonner à une newsletter).
L’intérêt pour les sites clients est que ces « outils sociaux » sont prêts à l’usage. Et pour la plupart, gratuit.
Derrière ces propositions se cachent évidemment des outils de tracking qui permettent de suivre la navigation d’un internaute sur une page, de le relier à son compte Twitter/Facebook/LinkedIn ou à un mail quand il partage un contenu, et même de suivre son surf sur plusieurs sites (sans qu’il n’ait cliqué depuis le site A pour aller sur le site B).
La puissance d’AddThis tient au fait que la société a pour client la majorité des sites webs les populaires. Là où MSN ou Yahoo peuvent suivre leurs visiteurs propres, AddThis est en position de collecter le surf entier d’un lecteur sur MSN et Yahoo.
Moins avouable, AddThis suit également des lecteurs non enregistrés (c’est à dire qui ne se sont pas connectés à un service identifié via AddThis) avec une technique sulfureuse qu’est le « canvas fingerprinting ». Pour mémoire, cette technique consiste à identifier un visiteur anonyme en analysant ses caractéristiques techniques visibles (type de navigateur, version, extensions installées, affichage, langues, etc.) qui en font une emprunte quasi unique. AddThis peut ainsi repérer cet anonyme sur les sites qu’il visite (si ses modules y sont présents), avant éventuellement de les relier à un profil connu enregistré si le visiteur se connecte à un moment ou à un autre de son surf.
En rachetant cette société, Oracle a mis la main sur les affinités, les goûts, les hobbies, les habitudes, les sensibilités de pas moins de 1.9 milliards de personnes. Ces informations viennent enrichir son offre Data Cloud de sa gamme Marketing Cloud.
Elles permettent officiellement, dixit Oracle, d’aider à identifier un même client qui utilise divers canaux (navigation au bureau, surf à la maison, applications mobiles, etc.) pour visiter un site.
Autre exemple de ces offres émergentes de données complémentaires tierces : IBM s’intéresse de près aux données médicales (des données anonymisées cette fois).
En tout, Big Blue a dépensé plusieurs milliards de dollars depuis 2014 pour acquérir quatre sociétés qui possèdent ce type de données sur les patients américains : Phytel, Explorys, Merge Healthcare et Truven Health Analytics.
Merge Healthcare, une société d’imagerie médicale, a été acquise (avec ses archives) pour un milliard de dollars en 2015. Cette année, Truven Health Analytics lui a coûté 2.6 milliards. La société possède des informations - stockés sur un Cloud - sur près d’un tiers des américains au travers de ses 8.500 clients (hôpitaux, cliniques, agences publiques et fédérales, sociétés privées, etc.).
Le but d’IBM est de nourrir son AI Watson Analytics (marketé Watson Health dans ce domaine) avec des données fraîches et de première main pour qu’elle se perfectionne sur les sujets de santé.
Loin du marketing ? Pas tant que cela. Car au-delà de la compréhension globale des maladies et des remèdes possibles vantés par IBM, ces enseignements de Watson pourront également venir enrichir les stratégies des assureurs, des laboratoires pharmaceutiques ou des vendeurs de produits de santé (voire des hôpitaux privés) avec des données interprétées que ces acteurs n’auraient pas pu avoir autrement.
Simplicité et données enrichies
Interprétées. C’est pour Doug Henschen, analyste chez Constellation Research, le concept clef qui expliquera le succès à venir des « Donnée en mode Cloud ».
« Au regard de la pénurie de talents dans les “data-sciences” et de la pression grandissante à traiter rapidement les données, beaucoup d’entreprises vont vouloir s’épargner ce défi que représentent l’intégration de données éparses et l'analytique fait maison pour, plus simplement, acheter directement des “insights” via un service à la demande ».
Autrement dit, l’intérêt est bien de mieux comprendre ce que les clients font sur d’autres sites (ceux des concurrents par exemple) en s’appuyant sur des données tierces de seconde voire de troisième main (comme dans le cas de Watson Health ou ces données seront ingérées et livrées aux clients d’IBM sous la forme de modèles d’analyses et d’algorithmes « entrainés » par ces jeux de données). Mais il est surtout dans la simplicité.
Autre avantages du Data as a Service : nourrir le CRM avec des fichiers qui « aident à trouver des prospects prometteurs qui reproduisent les profils et les comportements de vos meilleurs clients ».
L’acteur français Data Publica (qui se positionne également sur l’Open Data) propose par exemple un outil baptisé C-Radar. Ce moteur de recherche renvoie des fiches d’entreprises qui correspondent aux critères demandés par les abonnés comme la répartition géographique, le CA, les effectifs, les brevets, les annonces commerciales, etc.
Une manière de se constituer un pipeline « à la demande » qui s’appuie sur différentes sources agrégées d’informations. Dans une logique d’enrichissement de l’information, ce pipeline peut être complété par des propositions de prospects grâce à « un score de similarité ».
Les données « enrichies » (pour reprendre la terminologie des éditeurs) en mode Cloud n’ont, d’après Doug Henschen, aucune raison de ne pas concerner demain d’autres disciplines que le pur Marketing. Pour une raison simple, exposée par un des vice-présidents d’Oracle cité par l’analyste : « au fur et à mesure, les applications se différencieront principalement sur un facteur : la richesse de leurs données ».