L’avènement de la RPA et au-delà
En s’efforçant d’émuler l’humain dans des tâches telles que la saisie de données, l’automatisation robotisée des processus a trouvé sa place dans de nombreuses opérations administratives de l’entreprise.
Selon Gartner, les dépenses mondiales consacrées aux logiciels d’automatisation robotisée des processus (ou Robotic Process Automation) devraient atteindre 2,9 milliards de dollars cette année ; une tendance qui confirme l’idée que les machines sont bien en train de ravir des emplois, en se focalisant, heureusement, sur des tâches fastidieuses et répétitives, mais nécessaires. Tout cela pourrait-il changer ? La RPA est-elle en phase d’être écartée ? Ou a-t-elle encore un avenir ?
Selon Varsha Mehta, spécialiste des études de marché chez Gartner, les éditeurs de logiciels RPA vont désormais « au-delà de l’offre classique focalisée sur une technologie unique, pour tendre vers une boîte à outils plus sophistiquée ». Ces outils incluent les plateformes applicatives low-code, l’exploration des processus et des tâches (process/task mining), la modélisation des décisions et le recours à des plateformes d’intégration à la demande (iPaaS). Selon Varsha Mehta, l’objectif consiste à créer des « plateformes prévues pour atteindre l’hyperautomatisation ».
Évidemment, les clients en veulent plus pour leur argent. Si le big data donne des migraines analytiques aux organisations, le mal est atténué, dans une certaine mesure, par le recours à l’intelligence artificielle (IA) et au machine learning (ML). Mais si ces outils fournissent, par exemple, des éclairages sur la mécanique opérationnelle et commerciale, les habitudes d’une clientèle ou encore la modélisation financière, la RPA, quant à elle, répond à la question « comment ».
Nelson Petracek, Directeur technique chez TIBCO Software, surveille étroitement les tendances liées à l’entreprise et l’intelligence des données. Il constate qu’une RPA fonctionnelle et pilotée par les processus est essentielle au mix technologique global nécessaire aux attentes d’une organisation en termes de rentabilité et de productivité.
« Cette convergence technologique doit être mise en œuvre pour atteindre un objectif d’automatisation élargi », explique le CTO. « Cet espace affiche à présent un peu plus de maturité. Aussi, il ne s’agit plus d’avoir un robot qui va de pair avec un humain ou qui le remplace, mais bien d’intégrer un robot dans le contexte d’un ensemble de capacités plus étendu. »
À titre d’exemple, Nelson Petracek explique comment, dans le cadre d’un projet de process mining ou de task mining, un robot procède à une introspection non intrusive en exploitant les journaux des applications et les charges du système, pour ensuite brosser un tableau du mode opératoire des employés et déterminer s’ils prennent certains raccourcis ou s’ils répètent les mêmes tâches. L’idée ici consiste à élaborer une vue d’ensemble, à contribuer à l’amélioration des processus, à accroître la rentabilité, voire à doper la productivité.
L’augmentation de la productivité, la réduction des coûts et la libération du temps précieux des employés sont les trois principaux moteurs de l’automatisation des processus, rendue possible par la RPA. Une récente enquête de Deloitte sur l’automatisation intelligente a révélé que de nombreuses organisations en sont conscientes, puisque 74 % des personnes interrogées affirment avoir déjà mis en œuvre la RPA.
« Les organisations qui sont allées au-delà du pilotage de l’automatisation intelligente nous disent qu’elles ont obtenu une réduction moyenne des coûts de 32 % dans les domaines qu’elles ont ciblés, contre 24 % en 2020 », explique David Wright, associé de l’équipe d’automatisation intelligente de Deloitte.
Rentabilité et au-delà
Le rôle de la RPA évolue pourtant aujourd’hui vers un ensemble plus large de capacités d’automatisation intelligente. Alors, quelles implications en termes d’attentes ? L’automatisation robotisée des processus peut-elle ou non être considérée comme une pure technologie de rendement ?
David Wright explique qu’un mix intelligent incluant la RPA ouvre la voie à une meilleure intégration homme-machine et conduit les organisations à porter un regard différent sur la RPA. Les entreprises qui traitent un grand volume de transactions et sont confrontées à des problèmes d’intégration et de systèmes hérités sont susceptibles de considérer la RPA – et la fonction d’automatisation intelligente au sens plus large – comme un moyen de surmonter les goulets d’étranglement potentiels.
« Si vous ne disposez pas des fonds nécessaires pour [remplacer votre technologie héritée par des applications modernes], l’automatisation intelligente constitue un moyen de placer optimisation et automatisation en surcouche », explique David Wright.
Cette approche contribuera en outre à résoudre certains problèmes de silo déjà quelque peu aplanis par des mises en œuvre RPA existantes. Directeur général pour la zone EMEA chez Laiye – une entreprise qui figure dans le Magic Quadrant RPA 2022 de Gartner –, Neil Parker s’explique sur le mode de déploiement de la RPA dans différents secteurs en vue d’aider les spécialistes de l’information et de « les libérer d’une charge administrative insupportable à laquelle ils sont majoritairement confrontés ».
« Pourtant, même la RPA a été laissée pour compte, explique-t-il, pour devenir une technologie héritée à mesure que la transformation numérique prenait de l’ampleur. Désormais, on parle d’automatisation intelligente, ce qui peut réellement contribuer à porter la RPA à un niveau correspondant aux tâches réelles que l’on exige de l’employé d’aujourd’hui. »
C’est donc une période propice pour la RPA. En réalité, le marché semble quelque peu fragmenté, même si ses principaux acteurs, tels que UiPath qui est entrée en bourse sur le New York Stock Exchange l’an dernier, et des entreprises telles que Salesforce (via sa filiale MuleSoft), Microsoft, Automation Anywhere et Pega, se positionnent en tant que leaders ou visionnaires dans le Magic Quadrant de Gartner. Toutes ces entreprises considèrent l’automatisation intelligente comme une prochaine opportunité de transformation.
« Dans certains secteurs, des processus fastidieux et non créatifs sont néanmoins vitaux. Les nombreuses requêtes que reçoivent les agents d’un service clientèle en sont un exemple. Aussi, ces industries sont-elles favorables à une adoption de l’automatisation intelligente », ajoute Neil Parker. « En effet, un travailleur numérique ou un robot logiciel pourra purement et simplement soulager l’employé d’une charge administrative sans fin, comme trier et classer, ou, dans nombre de cas, clôturer un ticket d’incident. Il libérera ainsi l’agent, qui pourra alors traiter des tâches plus complexes et plus intéressantes. »
Cette évolution de la RPA vers l’automatisation intelligente intrigue. Les secteurs technologiques et industriels sont souvent les pionniers dans ces domaines : une étude de Deloitte indique que leurs acteurs représentent environ 76 % du marché de la RPA. Mais les signes d’une adoption plus large se font sentir. L’attrait constitue le signe le plus important ; celui qui fait de la RPA une partie intégrante d’une solution promettant d’importantes économies financières et une stabilité à long terme.
Un intérêt grandissant pour la RPA
Don Schuerman, directeur technique et vice-président de PegaSystems, explique qu’il constate maintenant un intérêt pour la RPA à l’échelle de tout un spectre de secteurs industriels, particulièrement dans les organisations complexes qui présentent de nombreux processus d’arrière-plan et ont besoin d’induire davantage de simplicité et d’efficacité. Cette tendance s’est accélérée avec la COVID et se poursuit avec l’agitation croissante liée au paysage économique mondial.
« Cette technologie est parfaitement adaptée à toute organisation à grande échelle, avec des avantages considérables pour la vente au détail, la gestion de la chaîne logistique, les services gouvernementaux, les opérateurs en télécommunications et les assureurs. En fait, toute entreprise qui gère directement de grands volumes de clients peut tirer d’énormes bénéfices de la RPA », explique Don Schuerman.
Don SchuermanDirecteur technique et vice-président, PegaSystems
« In fine, nous constatons que l’incidence de la RPA est maximale lorsqu’elle est utilisée dans le cadre d’une initiative de transformation des processus plus globale, combinant automatisation des workflows, la RPA et, de plus en plus, la prise de décision par l’IA. Il ne s’agit donc plus simplement d’automatiser des tâches manuelles, mais bien de rationaliser des processus complets interagissant avec la clientèle. Une plateforme low-code fédérera tous ces éléments et facilitera la collaboration entre services informatiques et métier, garantissant ainsi des résultats rapides, mais aussi une évolutivité et une facilité de maintenance sur le plus long terme. »
Neil Parker est d’accord sur ce point. Il témoigne d’une adoption croissante dans certains nouveaux secteurs, tels que les voyages et la vente au détail, qui ont subi un déclin rapide en termes de services, notamment par manque de personnel.
« Nous constatons tous le chaos administratif et les carences en personnel des aéroports ; autant de problèmes qui pourraient se résoudre facilement par des tâches d’automatisation du processus d’acheminement des bagages », estime Neil Parker. « Il en va de même pour la santé. Le temps des infirmiers et des médecins est bien trop compté pour qu’il soit consacré à gérer des formulaires ou à répondre des centaines de fois aux mêmes questions. Les détaillants verront eux aussi l’avantage de l’automatisation intelligente sous la forme d’une IA conversationnelle permettant de doper les ventes en ligne, par le biais de chatbots incitatifs. »
Et Neil Parker d’ajouter que la RPA peut traiter efficacement les retours et simplifier l’expérience globale des clients. Diminuer les points d’achoppement et donner aux clients la confiance nécessaire pour effectuer des achats en ligne constitue non seulement un défi procédural, mais également un défi culturel et tarifaire.
Une pantoufle de verre
Toutefois, Don Schuerman a tôt fait de remarquer que la RPA n’est en aucun cas la solution à tous les maux liés à la technologie et aux processus. Loin de là.
« Les décideurs informatiques doivent faire montre de prudence et ne pas s’appuyer excessivement sur la RPA lorsque le cas d’usage est inadéquat », explique-t-il. Il ajoute que la RPA s’avère particulièrement précieuse lorsqu’il s’agit d’automatiser des tâches qui correspondent spécifiquement aux conditions suivantes : grand volume, faible complexité et gestion par des règles.
« Par exemple, en corrélation avec les API (Application Programming Interface), la RPA ne doit être considérée que comme une fonction de passerelle là où aucune API existante n’est immédiatement disponible. Sans maîtrise, la RPA peut se révéler fragile et favoriser les ruptures. »
Don Schuerman ajoute qu’élaborer des automatisations durables qui s’intègrent à des processus métier plus larges constitue, par défaut, une tâche complexe, et les clients doivent donc comprendre que la majorité des connexions RPA doivent être temporaires. L’automatisation de plusieurs processus sur le long terme, qui interconnecteront des systèmes tant internes qu’externes, des tâches machine et humaines, des logiciels personnalisés et l’intégration de logiciels tiers, implique un workflow ou une gestion intelligente des processus métier (ou IBPM, Intelligent Business Process Management), et non une RPA. « Reste que combiner IBPM et RPA constituera votre arme secrète », poursuit-il.
À quoi faut-il s’attendre en 2023 ? Avec l’inflation et la crise du coût de la vie qui affectent consommateurs et entreprises, allons-nous au-devant d’un basculement accru vers la RPA et l’automatisation intelligente ?
« Nous constatons de plus en plus que les organisations remplacent les mises en œuvre RPA autonomes par des solutions de workflow low-code, robustes et durables, susceptibles de rentabiliser la RPA comme composant d’une stratégie d’automatisation globale », explique Don Schuerman.
Neil Parker est d’accord sur ce point et explique que la RPA telle que nous la connaissons va sous peu disparaître au profit d’une automatisation intelligente. Il explique que les entreprises ne peuvent plus fonctionner sans une IA intégrée dès le départ. Toute autre approche ne fera que multiplier les maux de tête et, compte tenu de la transformation des modes de travail, des pénuries de compétences, des pressions économiques et de la compétitivité, peu d’entreprises peuvent s’y risquer.