La difficile évaluation des plateformes IIoT
Cette analyse comparée des Magic Quadrant et Forrester Wave consacrée aux plateformes IIoT, tente d’éclairer les critères de choix de Gartner et Forrester.
Dans son Forrester Wave consacré aux plateformes logicielles IIoT, le cabinet de recherche considère que C3.AI, Microsoft, PTC et Siemens sont les leaders de ce marché. IBM et Software AG sont en tête de la catégorie « Strong Performers ». Toutefois, ce sont Microsoft, AWS (un « strong performer ») et ABB (un « contender ») qui profitent de la présence la plus forte sur le marché devant IBM.
Au contraire, en juin 2019, Gartner ne voyait ni de challengers ni de leaders, mais des visionnaires et des acteurs de niche. Dans l’ordre d’importance, Software AG, PTC et Hitachi sont les trois visionnaires de ce carré magique. Accenture est à la tête des challengers, à la frontière entre l’acteur de niche et le visionnaire.
GE Digital, Oracle, IBM, Hitachi, PTC et Software AG apparaissent comme les acteurs communs aux deux tableaux. Toutefois, ils n’occupent pas du tout la même place. Forrester mentionne dans classement Bosch, Siemens et Samsung SDS. Gartner retient les plateformes IIoT dites de niche d’Eurotech, Atos, RootCLOUD, Altizon, Exosite, QiO, Davra, Flutura, et de Litmus Automation. Dans ses mentions spéciales, il fait figurer les solutions d’ABB, Alibaba, AWS, Huawei, IoT.nxt, Microsoft, Schneider Electric et Siemens. Gartner exclut SAP Leonardo de son Magic Quadrant.
Forrester perçoit un marché établi, Gartner souligne un manque de compétitivité
Ainsi Gartner n’identifie pas de leaders et considère que le marché des plateformes IIoT, bien qu’il ne manque pas de participants, n’est pas encore suffisamment compétitif. La plupart des éditeurs cités sont considérés comme des acteurs de niche. Si les produits évoluent rapidement, les industriels commencent à peine leur aventure connectée.
Pour expliquer cette différence de traitement, il faut comprendre que Gartner et Forrester ne s’appuient pas exactement sur les mêmes critères. Les deux cabinets analysent les retours de leurs clients, deux audiences légèrement différentes. De son côté, Gartner prend uniquement en compte les solutions logicielles standalone, indépendantes de composants proposés par plusieurs fournisseurs, équipementiers ou éditeurs. Par exemple, Siemens a été exclu du Magic Quadrant 2019 parce qu’il s’appuie la couche de device management de Software AG.
Gartner estime qu’un éditeur d’une plateforme IIoT doit proposer en une seule offre des capacités d’analytique, de gestion d’appareils, des outils d’intégration, de gestion de données IoT, des moyens de créer et d’orchestrer des applications, ainsi qu’une couche de sécurité. Le tout doit être disponible sur site et dans le cloud.
Forrester ne précise pas dans sa méthodologie le choix de retenir les solutions tout-en-un, bien qu’il mentionne peu ou prou les mêmes critères techniques d’évaluation. De plus, le cabinet effectue son analyse au quatrième trimestre 2019 et la publie en novembre 2019 alors que Gartner la propose en juin de la même année.
Des écarts importants entre les « leaders »
Outre ces différences, il est intéressant de se pencher sur les remarques et les commentaires justifiant les choix des analystes concernant les acteurs en haut des deux classements. De manière générale, Forrester tente avant tout de présenter les atouts et les fonctionnalités de chacun des produits. Gartner apporte un regard plus critique avec ses fameux points positifs et négatifs.
Prenons d’abord l’exemple de PTC, un éditeur mis en avant par les deux cabinets. Forrester évoque l’ensemble des capacités offertes par l’expert du PLM dans sa plateforme Thingworx. Cette solution disponible sur le cloud ou sur site bénéficie d’une combinaison de capacités IoT et de réalité augmentée tout en bénéficiant d’une compatibilité avec un grand nombre d’équipements industriels grâce à Kepware. PTC mise sur un écosystème de partenaires établis. L’alliance stratégique avec Rockwell Automation est un bon exemple.
En substance, Gartner reprend les mêmes arguments et considère même que Thingworx est « l’une des plateformes les plus connues » du marché. Elle soutiendrait près de 40 000 développeurs. Le cabinet pointe les limites des outils analytiques intégrés à Thingworx, rappelle que la fonctionnalité de jumeau numérique n’est pas totalement compatible avec les machines industrielles et que ses tarifs sont « 20 à 50 % plus élevés » que ceux de ses concurrents.
Software AG, l’éditeur allemand de la plateforme Cumulocity IoT proposerait l’ensemble des fonctionnalités nécessaires à la conduite de projets IIoT, selon Gartner. La suite comprend Cumulocity IoT Core et Cumulocity IoT Edge. Forrester souligne également les capacités d’edge computing, de data management et d’analytique en temps réel, ou encore de machine learning.
Les deux cabinets d’analyse notent la création d’une division dédiée aux activités IoT, le partenariat avec Siemens autour de la suite Mindsphere et la création de la joint-venture ADAMOS. Gartner évoque le fait que Software AG génère 50 % des revenus issus de Cumulocity IoT à travers 55 partenaires revendeurs. L’éditeur a également mis en place un centre d’excellence.
La solution a pour avantage de prendre en charge 150 équipements préintégrés, 350 protocoles. Enfin, elle bénéficie de mises à jour régulières (toutes les deux semaines avec un ajout majeur tous les mois). Toutefois, Gartner soulignait le fait que Cumulocity IoT ne supportait pas complètement le protocole OPC UA (ce qui est maintenant le cas depuis décembre 2019) et les fonctionnalités Edge, tandis que les techniques de revue de code devaient être améliorées.
Siemens a nommé sa plateforme Mindsphere. Conçue sur un cœur open source (Cloud Foundry), elle permet une interconnexion avec des applications tierces et est elle-même composée d’éléments qui n’appartiennent pas à Siemens (Tableau, Software AG et hébergement sur AWS, Azure ou Alibaba Cloud). C’est ce que lui reproche Gartner, alors que Forrester voit cet acteur comme un leader. Le constructeur allemand élargit ses capacités de gestion d’équipements au-delà de ses propres appareils par le truchement de la solution de Software AG.
Si C3.AI ne fait pas partie des candidats retenus par Gartner, c’est sans doute parce que cet éditeur propose avant tout une plateforme analytique et de data science. Forrester rappelle que cette PaaS compatible avec Microsoft Azure, se nommait autrefois C3 IoT.
Bien que l’entreprise maintienne des partenariats avec les équipementiers, elle n’offre pas un système de device management à proprement parler, mais se connecte avec des systèmes lui permettant d’agréger les données nécessaires aux analyses. Ce n’est donc pas une plateforme IIoT au sens où l’entend Gartner.
Un autre élément peut jouer dans l’évaluation des différentes solutions. Les éditeurs doivent tout simplement se prêter au jeu de l’analyse. Hitachi n’a pas souhaité répondre à la demande de Forrester. Ce dernier le mentionne dans son Forrester Wave en se basant sur ses connaissances de la plateforme Lumada et des informations transmises par ses clients.
Selon Gartner, Hitachi a doté des briques essentielles à la conduite de projets IIoT. Lumada peut s’intégrer avec les offres de fournisseurs OEM dans différents secteurs industriels. Les clients interrogés considèrent les fonctionnalités d’intégration comme un avantage certain. Les alliances, les partenariats technologiques et industriels effectués par Hitachi le placeraient en bonne position pour répondre aux besoins de ses clients. Cependant, les capacités de Lumada en termes de device management et de jumelage numérique n’étaient pas à la hauteur des attentes des clients, d’après Gartner.
Fournisseurs de cloud : briques IoT contre solutions bout en bout
En ce qui concerne les fournisseurs de cloud AWS, Oracle Microsoft et IBM, seulement Oracle et Big blue répondent pleinement aux critères de Gartner. Watson IoT Platform dispose des fonctionnalités clés, de la gestion d’équipements en passant par des capacités d’intégration et de sécurité jusqu’à l’accès à des outils d’analytique et de machine learning (en option, mais ça les deux cabinets ne le précisent pas).
Les clients peuvent s’appuyer sur le langage de programmation Node Red pour créer des applications IIoT, cependant le support de Watson IoT Platform ne serait pas aussi performant que les autres services d’IBM, affirment les analystes de Gartner.
Oracle IoT Cloud a le mérite de proposer pratiquement les mêmes fonctionnalités cette fois-ci en mode SaaS sur son propre cloud ou sur des instances privées. L’outil s’intégrerait avec des applications tierces telles que des ERP, des SCM et des outils CX (Customer experience). De plus, le fournisseur propose Oracle IoT Cloud en pack avec ses offres middleware et applications d’entreprises (MES). Seulement, cette plateforme centrée sur les applications est soumise à l’enfermement propriétaire généralement pratiqué par cet opérateur.
Ces acteurs sont avant tout des partenaires de choix, pour l’ensemble des éditeurs spécialisés dans l’intégration et l’analyse de données issues d’équipements connectés. La plupart des acteurs du marché proposent leur plateforme depuis les couches IaaS de ces géants du cloud.
Si AWS ne pouvait jusqu’alors proposer un déploiement de sa solution sur site, la disponibilité d’Outposts devrait faire changer d’avis à Gartner concernant son exclusion du Magic Quadrant. Toutefois, AWS comme Microsoft ne proposent pas une plateforme en tant que telle, mais des services managés qu’il faut additionner pour déployer des cas d’usage. Les deux acteurs n’ont pas de connecteurs directs aux standards industriels et intègrent leur solution au niveau d’une gateway capable de communiquer les données via un protocole de type MQTT.
Ils misent sur des fonctionnalités Edge et sont capables de les coupler avec des fonctionnalités de machine learning embarqué. Microsoft a une large empreinte sur le marché de la réalité augmentée complémentaire de l’IoT, et des partenariats avec des spécialistes industriels comme ABB ou Schneider Electric. AWS prétend s’occuper du plus grand projet IIoT au monde, celui de Volkswagen, en partenariat avec Siemens.
Une évaluation complexe
Les grilles de lecture offertes par les deux cabinets d’analyse sont pertinentes pour obtenir un premier avis sur les offres disponibles sur le marché. Eux vous conseillent de surveiller leurs publications pour évaluer pleinement ces outils. Dans un contexte industriel, l’adoption d’une PaaS IIoT réclame une évaluation des standards, des machines et des systèmes opérationnels en place.
Consulter la documentation de chacun des éditeurs est la meilleure action à prendre pour comprendre si un outil peut répondre à vos besoins.
Suivant l’ampleur du projet et les infrastructures existantes, certains acteurs seront plus à même de répondre à vos contraintes. Toutefois, connecter entièrement une usine est une initiative particulièrement coûteuse et complexe. La plupart de ces acteurs vous recommanderont de commencer par une ligne de production, puis de déployer étape par étape. Il est également possible de s’appuyer sur des briques d’observabilité pour fournir une couche analytique aux systèmes existants.
Une suite logicielle, aussi performante soit-elle, ne doit pas faire oublier que l’IoT rassemble un bon nombre de problématiques IT (réseau, stockage, compatibilité, ingestion de données, traitement et restitution, etc.) en seul point d’attention.