Intelligence Artificielle et finance : les freins les plus courants (et comment les surmonter)
La gestion financière et la comptabilité ont beaucoup a gagné de l’Intelligence Artificielle. Mais les freins sont nombreux. En voici sept, très courants, et la manière de les lever pour vous assurer du succès de vos projets d’automatisation et de processus augmentés.
Alors que de plus en plus d’organisations déploient l’Intelligence Artificielle dans les domaines de la comptabilité et des finances, elles se heurtent à plusieurs obstacles. Les consultants qui ont aidé leurs clients à mettre en œuvre l’IA dans ces opérations (ou qui l’utilisent eux-mêmes) ont identifié sept défis types.
Voici ces sept points clefs qu’il vous faudra sûrement anticiper si vous vous lancez dans ce type de projet.
1 – Manque de logiciels prêts à l’emploi
Les éditeurs d’ERP (comme SAP, Oracle, Workday ou Sage) ont des offres de gestions financières augmentées à l’IA, prêtes pour la production. Et les acteurs de niche (comme Blackline ou les Français Esker et Itesoft, avec Streamline for Invoices) qui infusent du Machine Learning et des bots dans leurs solutions abondent.
Néanmoins, le manque d’IA entièrement packagées resterait une des raisons principales, si ce n’est la raison principale, pour laquelle le nombre d’entreprises qui ont réellement déployé le Machine Learning et le Deep Learning dans les domaines de la comptabilité et de la finance est encore limité, avance Robert Kugel, vice-président et directeur de recherche chez Ventana Research.
« Nous attendons que les fournisseurs intègrent véritablement ces capacités dans leurs systèmes », invite-t-il.
En d’autres termes, vous aurez probablement besoin de passer par une phase de personnalisation.
Les solutions du marché peuvent traiter 60 à 70 % des cas d’utilisation classiques, mais un certain développement interne est encore nécessaire, confirme Adrian Tay, directeur général des services aux directeurs financiers chez Deloitte Consulting. « Vous avez absolument besoin d’avoir de cette expertise en interne pour obtenir des données et vous assurer que vous comprenez les algorithmes. »
2 – Le manque de données
Pratiquement toutes les entreprises produisent des montagnes de données. Mais cela ne signifie pas que la financière dispose des bonnes informations. « Beaucoup de DAF n’ont toujours pas confiance dans leurs jeux des données », constate Adrian Tay.
Or appliquer l’apprentissage statistique (ML) à des données de mauvaise qualité fait courir le risque d’obtenir, en sortie, des analyses non fiables, avertit-il.
3 – Attentes trop élevées
L’utilisation de l’IA n’est pas la panacée. Il faut le rappeler. Car si les utilisateurs n’attendent pas un résultat parfait, ils seront moins susceptibles d’être déçus, prévient Will Bible, en charge des pratiques d’audit et d’assurance chez Deloitte US.
« Parfois, il se peut que vous ayez un processus [automatisé par l’IA] qui ne fonctionne parfaitement que la moitié du temps. Un tel résultat peut susciter de la méfiance, voire de la défiance envers l’IA. Il faut tout le temps prendre en charge ce type de situation », déclare-t-il.
Une des solutions est de bien repositionner l’IA et de cadrer ce qu’elle peut faire ou ne peut pas faire. Par exemple, Will Bible estime que les employés qui utilisent l’IA comme un outil de préparation ou de « première passe » des tâches comptables seront plus indulgents face aux inexactitudes du système, notamment lors de son entraînement.
4 – Un mauvais accompagnement
Les directeurs financiers doivent souvent régler des problèmes de résistance au changement.
Certaines entreprises hésitent encore à migrer leurs systèmes financiers vers le cloud, qui favorise l’IA, estime John Van Decker, du Gartner. Une fois qu’elles l’ont fait, elles ont besoin d’une gestion efficace du changement pour tirer parti de l’IA, prévient-il.
L’IA peut effectuer des rapprochements entre les bons de commande (livraisons) et les factures (créances), dit-il. Mais des problèmes peuvent surgir si les dirigeants ne comprennent pas ou ne communiquent pas sur la manière dont les nouveaux processus affecteront les postes en charge du recouvrement et de la facturation. Il faudra par exemple fixer les seuils de ce que l’IA pourra gérer seule, en autonomie. Et itérer.
« Ce n’est pas comme si vous alliez mettre en place une solution et l’oublier pendant 10 ans », souligne l’analyste du Gartner. « L’IA a besoin d’attention et d’être nourrie en continu. »
5 – Méfiance envers les boîtes noires
Un autre problème est celui de la « boîte noire ». Pour Adrian Tay, les DAF pensent que l’IA fonctionne avec des algorithmes très compliqués qui génèrent des « black box ». Résultat, ils se demandent s’ils peuvent lui faire confiance ou pas.
L’expert de Deloitte Consulting voit deux solutions : comparer l’IA à ce que ferait un humain, et embaucher des personnes qui ont le talent nécessaire pour guider, surveiller et superviser la technologie.
Il n’en reste pas moins que certaines entreprises choisissent des outils prédictifs à base d’IA qui sont moins performants que ceux qui utilisent des algorithmes plus complexes, juste parce qu’elles comprennent mieux leurs fonctionnements, constate-t-il.
Dans ses pratiques d’audit, Deloitte utilise une approche mixte – « humain in the loop » – ajoute Will Bible. Le logiciel d’IA maison, appelé Argus, traite certaines tâches automatiquement, mais ce sont les auditeurs qui ont le jugement final.
« Nous avons conservé le même cadre de contrôle de la qualité que celui que nous avons mis en place pour tous les autres processus d’audit, ce qui signifie plusieurs niveaux de vérifications. »
6 – Méfiance envers les faux positifs et négatifs
Autre frein, l’utilisation de l’IA dans la comptabilité et la finance n’est pas (encore) populaire parce que les DAFs se méfieraient de ses recommandations. Leurs inquiétudes concernent le fait que l’analyse des risques assistée par l’IA puisse produire des faux positifs ou des faux négatifs, continue Bob Woods, associé chez PwC.
Aujourd’hui, un être humain peut être assis et lire un rapport, examiner un ensemble de données et porter un jugement. « Il dira : ceci est un risque – par exemple, un risque de corruption » illustre-t-il. « L’AI retire une part de jugement humain de ce processus. »
C’est pourquoi, continue-t-il, il est indispensable de mener des projets pilotes qui mettent en parallèle les processus traditionnels et ceux augmentés à l’IA et de les comparer.
7 – La peur de la perte d’emploi
La montée en puissance de l’IA a engendré une crainte chez les employés : celle de la destruction de postes et de perdre son emploi. Les fonctions comptables ne font pas exception.
De fait, selon un rapport de Deloitte, les effectifs seront plus réduits, en particulier dans le domaine de la finance opérationnelle – dont les fonctions en rapport avec le order-to-cash et la comptabilité « transactionnelle ». D’un autre côté, il y aura plus d’emplois dans l’analytique et des spécialités comme la fiscalité et la gestion de trésorerie.
Les employés dont le poste est modifié « négativement » par l’IA auront besoin de se former à ces nouveaux emplois, prédit John Van Decker.
Mais « vous ne pouvez pas prendre un employé en charge des créances et le transformer en analyste financier du jour au lendemain », prévient-il. « Il faut investir dans la formation continue, [d’ailleurs] nous en voyons déjà beaucoup. »
Ceci dit, la tâche n’est pas impossible. Avant les smartphones et les ordinateurs portables, les employés de Deloitte passaient beaucoup de temps à imprimer des rapports et à les ranger dans des classeurs, se souvient Will Bible. « Aujourd’hui, les employés font tous des choses comme de l’analyse dès leur première année en poste. »
Conclusion
Malgré ces obstacles, les DAF ont tout à gagner à être des « suiveurs rapides » (« fast followers ») et à mettre en place des compétences pour être prêts à agir, conseille Robert Kugel.
Ils n’ont pas besoin de trouver des « grosses têtes », mais au contraire d’apporter une bonne compréhension de l’IA à leurs experts financiers et à leurs comptables déjà en place.
« Beaucoup de ceux qui ont une formation de comptable, et même dans la planification et l’analyse financière, ne comprennent pas forcément comment fonctionne la technologie », constate-t-il. « Pour eux, c’est de la magie. Et parce que c’est [trop] magique, cela devient un frein ». Expliquer et former permet, comme dans beaucoup de domaines, de dissiper le mystère.