Intelligence Artificielle : cinq conseils pour bien choisir ses premiers cas d’usage
Sept experts partagent leurs expériences pour bien choisir ses projets d’exploration des algorithmes et bien démarrer dans l’IA.
Aujourd’hui, de nombreuses entreprises veulent profiter de la révolution de l’IA. Mais les premiers cas d’usage doivent être choisis avec précaution et les esprits bien préparés.
Car comme l’explique Arijit Sengupta, PDG et fondateur d’un outil d’automatisation du Machine Learning (Aible) et l’un des architectes de Salesforce Einstein) : « il peut être très difficile de fournir des estimations chiffrées pour prouver l’efficacité de l’IA, ne serait-ce que parce que la grande majorité des projets échouent. En 2018, Gartner a estimé que 85 % des projets ne donneraient pas les résultats escomptés. L’IA a un potentiel énorme, mais la façon dont la plupart des IA sont entraînées aujourd’hui est un échec ».
Ci-après, nous discutons des bonnes pratiques pour avoir des cas d’usages permettant de réussir. Nous avons interviewé des experts en intelligence artificielle qui ont accepté de partager leurs expériences pratiques.
I – Tout est histoire de données
Il est bien connu que l’IA se nourrit de données, mais l’importance des données reste malgré tout souvent sous-estimée.
« L’ampleur du problème des données dans l’IA est beaucoup plus grande que ce que pensent la plupart des gens », affirme Jen Snell de Verint – une société de développement de chatbot. « De nombreuses organisations se heurtent à des problèmes liés aux données – de leurs qualités à leur gestion et à la querelle des données pour obtenir des informations utiles à l’étiquetage et à l’élaboration de modèles. […] Au début, cela semble facile, mais quand on cherche à passer à l’échelle, à changer de modèle, à gérer et à assurer le contrôle du système, ça devient difficile ».
Jen Snell souligne une statistique difficile. Alors que 59 % des cadres pensent que l’intelligence artificielle pourrait améliorer leur utilisation du Big Data, 85 % de ces projets échouent. « Il m’a fallu quelques années avec les clients et les données dans la vraie vie pour réaliser à quel point le problème est systémique ».
Il est impératif d’avoir des données fiables et propres – c’est peut-être même encore plus important que le choix de l’algorithme. « J’ai appris que le fait d’ajuster les algorithmes et de jouer avec les mathématiques d’un modèle donné n’apporte que très peu d’amélioration. La plus grande amélioration de la précision que vous pouvez obtenir vient de la qualité des données pour l’entraînement », prévient Aaron Edell, directeur de l’intelligence artificielle appliquée chez Veritone, un fournisseur de technologies et de solutions dans le domaine. « Avoir une stratégie “data” très en amont est la clé du succès du Machine Learning… et une chose que j’aurais aimé savoir quand j’ai commencé ».
La façon dont vous vous procurerez vos données est également essentielle. Bien que l’achat de sources externes puisse vous aider à démarrer, elles pourraient ne pas beaucoup vous aider dans votre contexte précis. La qualité de l’IA dépend de la qualité exacte des données qu’elle reçoit. Aaron Edell l’a découvert à ses dépens en travaillant sur des modèles génériques. « Un modèle de reconnaissance de célébrités, entraîné avec 1 million de photos de célébrités, aura de mauvais résultats dans la vie réelle parce qu’il n’a pas été formé sur les données à partir desquelles il est censé fonctionner », avertit-il.
« Si j’essaie de savoir combien de fois et à chaque fois combien de temps Jennifer Aniston apparaît dans chaque épisode de Friends, un modèle qui a été entraîné avec des photos d’elle sur le tapis rouge des Oscars ne sera pas aussi efficace qu’un modèle formé directement sur des captures d’écran d’épisodes réels de Friends ».
II – Choisir le bon point de départ
La réussite d’un projet d’IA est une problématique globale. Il ne s’agit pas seulement de technologie, mais aussi de changement culturel et donc de résistance au changement.
D’un point de vue méthodologie, au moment de choisir les cas d’utilisation IA, il est préférable « d’aller d’abord vers les objectifs les plus simples à atteindre », conseille Lyle Ball, PDG de la société d’automatisation de workspace Avii. « Trouvez ces tâches hautement répétitives qui pèsent sur les gens, et demandez à un système d’accomplir ces fonctions à la place ».
Dans le même état d’esprit d’évangélisation par l’exemple, il est possible de commencer d’abord par le côté client. « Les clients attendent un service contextualisé, et personnalisé, sur le canal de leur choix », explique Shridhar Marri, PDG de Senseforth, un fournisseur de chatbot à base d’AI. « L’ensemble du domaine qui va de l’acquisition, à l’engagement en passant par l’accompagnement des clients, est en train d’être transformé par l’intelligence artificielle ».
Les gains de satisfaction – et de revenus – qui peuvent découler de l’amélioration de votre service client vous aideront à démontrer la valeur métier de l’intelligence artificielle, et par ricochet abaisser la résistance au changement. « Cela aide à ouvrir la voie à d’autres usages », résume Lyle Ball.
Après l’expérience client, Shridhar Marri suggère de prendre des cas qui augmentent l’efficacité opérationnelle et la réduction des coûts (des projets d’optimisation plus que de transformation donc).
Il faut par ailleurs bien faire attention à ne pas confondre la « transformation par l’IA » avec la « transformation digitale ». Parfois, une automatisation sans IA est largement suffisante. Avant de se lancer dans l’IA, il faut faire une étude pour voir si elle est la meilleure façon de faire. Jonathan Duarte, qui a conçu des chatbots à base d’IA pour Wells Fargo, partage son expérience. « Dans un projet où je suis arrivé pour diriger le développement, le plan était déjà en place… mais il y avait eu peu d’étude de marché […] Et au moment où le chatbot allait sortir, les utilisateurs avaient déjà trouvé une solution de contournement qui, sans être infiniment adaptée, était tout aussi pertinente que notre solution à base d’IA ».
III – Préparer le changement culturel
Comme nous l’avons dit, il ne suffit pas de se concentrer sur les aspects technologiques de l’IA.
Chris Nicholson, PDG de Skymind, qui fournit une infrastructure d’IA pour le Machine Learning à grande échelle, souligne l’importance de l’adhésion et de la coopération de vos collègues. « Votre équipe utilisera probablement la solution que vous envisagez. Mais si elle ne l’accepte pas, aussi bonne soit votre IA, elle ne servira à rien ».
De plus, cette équipe sera probablement impliquée dans la production ou le contrôle des données dont vous aurez besoin pour entraîner votre IA. Si vos collègues ne soutiennent pas votre projet d’automatisation, vous n’obtiendrez jamais de bonnes données. « C’est déjà difficile de commencer dans l’IA, donc il n’y a aucune raison de s’ajouter des difficultés supplémentaires », conclut-il.
IV – L’IA est un voyage
L’une des erreurs que commettent souvent les DSI lorsqu’ils choisissent des cas d’usages est qu’ils oublient une caractéristique bien particulière de l’IA : elle apprend.
Mais elle ne peut apprendre que ce que vous lui aurez enseigné.
« Mettre en place un [cas d’utilisation] est un voyage, pas une destination à atteindre », explique Shridhar Marri. « Vous devez constamment réentraîner votre IA pour qu’elle reste à jour et pertinente. Un chatbot, par exemple, a besoin d’être nourri avec vos nouvelles offres de produits ou de comprendre les demandes nouvelles et/ou inattendues qu’ont formulées les clients ».
Cette stratégie nécessaire se traduit souvent par une combinaison d’IA et d’humain. Les humains s’occupent des cas où l’IA a des problèmes – non seulement pour améliorer l’UX, mais aussi pour créer de nouvelles données sur lesquelles l’IA pourra ensuite se former par itération.
V – Connaître les limites
Après avoir bien commencé en sélectionnant des cas d’usage pertinents pour l’IA, il faudra aussi éviter quelques pièges pour assurer la pérennité de votre projet. Le plus grand est de ne pas croire que l’IA fait tout.
Tom Austin, fondateur de The Analyst Syndicate, une communauté d’analystes indépendants, cite un exemple extrême. « N’automatisez pas le jugement humain comme l’ont fait les concepteurs du système MCAS (Maneuvering Characteristics Augmentation System) du Boeing 737 Max 8 », lance-t-il. « L’Intelligence artificielle n’est pas intelligente – c’est un robot qui peut faire des choses que les humains ne peuvent pas forcément faire, mais il ne peut pas penser ».
Bien que l’exemple soit extrême, il rappelle une leçon importante : « Ne pensez pas que vous pourrez vous en tirer en blâmant la technologie si elle commet des erreurs. Des humains sont, et resteront, tout en haut de la chaîne des responsabilités ».