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IA : conseils pour bien se préparer à la révolution industrielle à venir
Entre le quotidien opérationnel qui assure les marges d’aujourd’hui et les investissements de moyen terme au succès aléatoire, les dirigeants vont devoir faire des choix parfois contre-intuitifs pour se préparer aux changements que promet l’IA – avertit le CEO de La Fabrique by CA.
La première révolution industrielle avait apporté la mécanisation (la machine à vapeur, le métier à tisser mécanique et le chemin de fer), accélérant pour la première fois la productivité d’une main-d’œuvre peu chère et abondante. La seconde révolution industrielle (l’électricité, la chimie et l’automobile) s’est traduite par de nouvelles méthodes de travail et bouleversa encore plus profondément l’ensemble de la société via la production de masse. Ce sont, cette fois, des emplois plus qualifiés qui ont été affectés. La troisième révolution industrielle (l’informatique, l’électronique, les télécommunications) a permis la production automatisée et concerne cette fois des emplois intermédiaires, diminuant la part de la ressource humaine dans la valeur ajoutée.
À chaque fois, l’industrialisation fait disparaître des emplois, amenant à augmenter le niveau d’expertise et de formation de chacun pour s’adapter au monde du travail.
L’amélioration de la productivité est concomitante à la croissance, et donc à la création de nouveaux emplois. La société s’est donc adaptée et la création de ces nouveaux emplois s’est globalement substituée à la destruction d’autres.
Qu’en sera-t-il avec la quatrième révolution industrielle (internet industriel, intelligence artificielle) qui a commencé récemment ? Elle se traduit par une expertise machine qui progresse plus vite que l’expertise humaine, ce qui repousse la capacité de remplacement de l’humain à un niveau qu’on n’imaginait pas il y a encore peu de temps.
Ne pensait-on pas que l’expertise scientifique serait garante des emplois de demain ? Les radiologues vont devoir s’adapter à une machine plus fiable pour identifier une anomalie sur une image. Ne pensait-on pas que la connaissance d’un avocat le protégeait de l’obsolescence ? Ce bastion tombe, car le conseiller juridique virtuel connaît toutes les jurisprudences en temps réel.
Il est certain encore une fois que de nouveaux types d’emplois, plus qualifiés encore, vont disparaître. Plus un emploi est coûteux et commun, plus il sera en danger, car il sera alors rentable d’y développer une technologie onéreuse, mais disruptive.
Dans le monde de l’emploi, la révolution est déjà en marche
En bref, le choc technologique de l’intelligence artificielle est bien devant nous. Il ne faut pas paniquer sur la rapidité de cette révolution, mais l’anticiper dès maintenant.
Laurent DarmonCEO de La Fabrique by CA
Daniel Susskind, professeur d’économie à Oxford, fait l’analogie avec le climat : comme le réchauffement climatique, il s’agit d’une menace progressive qu’il est possible de traiter sereinement si elle est traitée dès son apparition. Mais comme pour toute menace progressive, il n’est pas aisé d’investir dès qu’on y est confronté.
Au niveau individuel, il y a de nombreux emplois disponibles et en devenir dans l’industrie du digital, mais tout le monde ne doit pas devenir codeur pour autant. D’ailleurs, l’essor est plutôt aux logiciels no-code et l’intelligence générative est capable de générer des lignes de programmation à partir d’une instruction (prompt).
Devenir un utilisateur averti sera un enjeu pour demain, mais cela devrait se faire dans les entreprises aussi logiquement que l’utilisation d’Excel. C’est-à-dire que rapidement chacun sera déjà en mesure d’en tirer profit (qui ne sait pas déjà utiliser Bing/OpenAI ?). Pour autant, bien peu sauront en tirer tous les avantages (quelle proportion sait faire une bonne macro sous Excel ?).
À terme, concernant l’impact de l’intelligence artificielle, le choc sur le marché du travail pourrait être important et sans rapport avec le nombre d’emplois directs créés dans la technologie.
Le salut viendrait alors, comme souvent, de la croissance induite et de sa capacité à créer de l’emploi et de la richesse à redistribuer. Une récente étude de PwC évalue à 15,7 billions de dollars la contribution de l’intelligence artificielle à la croissance mondiale d’ici 2030.
La synergie de ces deux dynamiques sur l’emploi (destructive par l’innovation, constructive par la croissance) sera en tout cas, et cette fois encore au centre de l’économie de demain.
Le rôle phare des entreprises dans cette révolution
Au niveau des entreprises, l’Histoire nous a appris que le rythme d’adoption des technologies reste souvent plus lent qu’anticipé.
Le e-commerce a mis du temps à s’imposer et il n’a pas tué le commerce traditionnel. Pour autant, force est de constater qu’après 20 ans, il est devenu la norme dans de nombreux domaines (culturel, agences de voyages) et a transformé bien des entreprises (médias, banques) pour voir apparaître des pure players (DNVB, restaurants virtuels).
Laurent DarmonCEO de La Fabrique by CA
Sans tomber dans une approche court-termiste, on peut anticiper un mouvement d’adoption de l’IA qui s’étalera sur plusieurs années, au rythme de la recherche industrielle au niveau de l’offre et des cycles d’investissement concernant la demande. Les premiers investissements ne sont pas toujours les plus performants, car, souvent, la technologie n’est pas encore optimum, la méthode d’implémentation révèle des marges d’amélioration et l’écosystème de l’entreprise sous-performe ses capacités.
Mais dans une entreprise, une tendance à dix ans s’anticipe dès aujourd’hui. Les projets IT majeurs sont longs et il faut préparer les organisations. Implémenter une nouvelle technologie dans l’entreprise n’est pas qu’un choc technique à maîtriser ; c’est également un choc organisationnel à anticiper vis-à-vis des hommes et des femmes qui la composent.
Cela implique de mener les chantiers d’accompagnement du changement qui permettent d’intégrer les impacts sur le travail individuel, sur le fonctionnement du collectif ainsi que sur le sens et la reconnaissance au sein de l’organisation.
Pour le leader du management et du changement, John P. Kotter, il faut déjà avoir convaincu trois quarts du management pour faire bouger une organisation. Mais avoir des managers convaincus n’est pas suffisant face à un choc disruptif. C’est tout le corps social d’une entreprise qui risque d’être concerné.
Or, par sa richesse procédurale, l’entreprise peut être une effroyable machine à casser l’initiative individuelle et à détériorer la capacité d’apprendre. L’entreprise s’est organisée pour résister au changement de moyen terme pour garantir son efficacité au quotidien. Pour que chacun devienne un acteur bienveillant du changement, il est donc urgent, plus que jamais, que l’entreprise sache développer les soft skills de ses employés et leur curiosité d’apprendre pour préparer chacun à faire face à un avenir incertain.
La seule chose dont on est sûr, c’est que cet avenir sera bien différent d’aujourd’hui.
Sans paniquer, cela mérite d’y réfléchir dès aujourd’hui, au niveau individuel et collectif. À défaut, les réveils peuvent être douloureux.