Gestion de crise : les enseignements du passé pour mieux gérer le présent
De l’ancien PDG de Cisco, qui a vécu cinq krachs, aux cabinets de conseils spécialisés en passant par les vétérans de la gestion de crises, voici quelques recommandations éprouvées par l’expérience pour naviguer au milieu des tempêtes.
Comment une équipe dirigeante peut-elle faire face à une crise majeure ou gérer une chose aussi inédite dans l’histoire moderne qu’une pandémie ? Les entreprises qui ont investi dans la reprise après désastre (disaster recovery) et la continuité des activités (business continuity) sont certes mieux préparées. Mais peu d’entre elles – voire aucune – peuvent vraiment se préparer à des crises de très grande ampleur, par définition inattendues. Car comme l’a si bien résumé l’ancien poids lourd Mike Tyson, « tout le monde a un plan… jusqu’au moment où tu te prends un poing en pleine face ».
Pour naviguer en ces temps d’incertitudes, il existe néanmoins plusieurs enseignements que le passé nous a donnés.
Remettre les choses en perspectives
Le premier est – justement – de regarder le passé et de remettre les choses en perspective. Le coronavirus, par exemple, est « seulement » la dernière crise que nous ayons dû affronter. Il y en a eu beaucoup d’autres avant et toutes ont apporté des leçons qui peuvent aujourd’hui aider à passer le cap.
John Chambers le sait mieux que quiconque. L’ancien PDG de Cisco estime qu’il a vécu cinq grands krachs au cours de sa carrière, dont celui des années 90, l’éclatement de la bulle internet en 2001 ou l’effondrement du marché immobilier (crise des subprimes) en 2008.
Le rappeler est important, car de nombreux dirigeants d’aujourd’hui manquent d’après lui cruellement de cette expérience. « Les crises financières précédentes étaient plus rapprochées les unes des autres. Les cadres avaient donc plus ou moins appris à y survivre », estime John Chambers. « Mais là, nous avons passé douze ans sans devoir relever un tel défi. Les gens se souviennent moins de ce qui s’est passé, ils ont donc moins de points de comparaisons ».
John Chambers est pessimiste sur l’avenir proche de l’économie. « La récession va être brutale. Au cours du prochain trimestre, nous allons assister à la chute du PIB la plus rapide de notre vie », prévoit-il, avant d’ajouter, « j’espère avoir tort ». Mais il considère aussi que c’est justement dans ces moments que les dirigeants ont un rôle décisif.
Agissez en temps et en heure, mais agissez en une fois
Même si la situation est très mauvaise, John Chambers donne un précieux conseil : attendez d’avoir un peu plus de visibilité, puis agissez vite (et massivement).
L’ancien PDG de Cisco estime que nous en saurons plus d’ici 45 jours sur l’efficacité des mesures pour aplatir la courbe de propagation du coronavirus et donc sur la direction que prend l’économie.
Une fois que vous verrez plus clairement cette direction, quelle qu’elle soit, et que vous serez prêt pour le grand saut, n’y allez pas à reculons. Pour John Chambers, il est fondamental d’appliquer votre plan en une fois plutôt que de faire traîner en longueur des licenciements par vagues successives ou des coupes budgétaires à répétition, ce qui ne pourra que créer une ambiance encore plus mauvaise en interne sur le moyen terme.
Deuxième conseil du PDG historique, pour faire ce plan, « regardez bien le monde tel qu’il est ; analysez les choses comme le fait un médecin : sans vous concentrer sur les symptômes, mais en cherchant comment soigner le patient en vous attaquant aux problèmes sous-jacents ».
Ceux qui pourront investir seront les grands vainqueurs
En période de crise, les grands projets de transformation numérique risquent d’être mis en pause – même si John Chambers rappelle que les organisations qui pourront se permettre de poursuivre ces transformations seront les plus fortes lorsque l’économie repartira.
« Beaucoup de choses vont être mises en suspens pendant un certain temps », acquiesce l’analyste Maribel Lopez. « À commencer par les campagnes marketing qui vont être stoppées net » d’un autre côté, elle considère comme John Chambers que la crise fera remonter chez certains grands groupes des projets dans la liste des priorités stratégiques – comme moderniser son ERP ou revoir les technologies pour optimiser la chaîne d’approvisionnement – et que ces groupes en cueilleront les bénéfices.
Isoler les zones pour ceux qui doivent venir au bureau
Le Top Management est confronté à toutes sortes de défis, mais les DSI ont une tâche particulièrement ardue, car ils doivent faire face à une accélération des demandes technologiques. « La plupart des entreprises n’étaient pas prêtes à faire travailler tout le monde à distance du jour au lendemain », illustre Maribel Lopez.
« À moins d’être une startup de l’IT, il n’y avait pas de structure en place qui permettait à 98 % de l’entreprise de travailler depuis la maison en toute sécurité. J’ai une vraie pensée pour les DSI et le personnel de l’IT parce qu’ils font partie de ceux qui ne peuvent pas rester chez eux : ils doivent continuer à s’occuper de problèmes d’infrastructure ».
Un article récent de McKinsey soulignait bien que les DSI ont comme responsabilité de s’assurer que l’environnement de travail est sûr, aussi bien pour ceux qui travaillent chez eux que pour ceux qui ont encore besoin d’être physiquement sur site (dont les responsables d’astreinte pour l’infrastructure).
Le cabinet de recherche donnait au passage un autre conseil en temps de pandémie pour ces personnels encore sur site en racontant comment une entreprise avait créé six zones de travail avec une règle : personne n’est autorisé à passer d’une zone à l’autre.
L’idée derrière cette organisation est que si une personne tombe malade dans une zone, on peut isoler rapidement les autres zones. « Dans une organisation financière européenne, les dirigeants ont mis en place des "tours" pour que les principaux dirigeants ne soient jamais dans la même pièce et ont identifié en amont des remplaçants possibles pour tous les cadres clefs », écrit le rapport.
Gardez votre calme (et écoutez ceux qui ont l’expérience des crises)
Tout comme John Chambers, Kim Hirsch est une habituée des crises. Au début de sa carrière, elle a été responsable de ce type de problématiques chez American Express, puis chez Target, avant de devenir, aujourd’hui, une responsable chez Fusion Risk Management, un spécialiste de la continuité d’activités et de la gestion de crise.
Bien que l’épidémie de coronavirus soit plus grave que tout ce à quoi nous avons été confrontés récemment, Kim Hirsch estime qu’il existe des approches éprouvées pour faire face à une telle crise, et qu’elles sont toujours d’actualité. « Tout le monde entend aujourd’hui parler de choses comme la distanciation sociale, mais si vous êtes impliquée dans la gestion de crise depuis 20 ans, vous saviez déjà qu’il fallait faire ce genre de chose », avance-t-elle.
Bref, la crise peut être une surprise, mais beaucoup de manières d’agir – et de réagir – sont connues des experts. Y compris des « petites choses ». Par exemple, « travailler chez soi un jour ou deux par semaine, c’est une chose. Mais travailler tous les jours chez soi en est une autre. Si on commence à voir que les employés ne sont pas aussi productifs sur un petit écran de laptop, alors peut-être que le DSI devra faire en sorte, si c’est possible, que l’on donne des moniteurs externes aux employés ».
Autre conseil de Kim Hirsch, le leadership et l’exemplarité du PDG et de son équipe sont critiques. Chaque dirigeant – dont le DSI – doit rester une présence apaisante, calme, sereine. Seul moyen d’être un soutien efficace aux initiatives pour gérer et passer la crise.
En attendant, serrez les dents (et préparez-vous pour une possible révolution)
Il est également indispensable de penser à l’avenir à plus long terme. Même si c’est difficile, très difficile même. Mais plus la crise est grande, plus c’est indispensable.
Dans un rapport sur le coronavirus, ABI Research ne mâche pas ses mots. Le cabinet d’analyste ne masque pas l’essentiel : un coût important en vies humaines et un impact sociétal énorme. Et une seule solution : attendre que l’orage passe.
En attendant, « faites un pas de côté… les entreprises ne pourront rien faire d’autre que de prendre des décisions audacieuses pour survivre. Nous l’avons vu avec les progrès scientifiques et technologiques qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, ou dans les changements après les nombreux krachs boursiers des années 20, 80 et 2000 », écrit Stuart Carlaw, directeur de recherche chez ABI.
« Peut-être que l’épidémie de coronavirus (COVID-19) et la réaction mondiale à la pandémie seront le départ d’un changement d’une telle ampleur qu’il obligera les entreprises à repenser radicalement leur mode de fonctionnement et à investir dans de nouvelle technologie pour réussir », conclut-il.