Gartner Symposium 2019 : comprendre l’agenda blockchain
5 principes et 4 phases. Gartner livre une analyse globale du phénomène blockchain afin de voir comment ce paradigme, aujourd’hui embryonnaire, pourrait devenir incontournable aux échanges numériques du futur. Pour finir par créer un « Internet de valeurs ».
Si le temps est toujours à la découverte et aux utilisations de niche, le potentiel de la blockchain ne semble pas devoir faiblir. Respectivement Distinguished Research VP et Research VP chez Gartner, David Furlonger et Christophe Uzureau, publient un livre qui pose bien l’état de l’art et dresse des perspectives. Dans « The real business of blockchain : how leaders can create value in a new digital age[1] » (édité en anglais chez Harvard Business Review Press) ils proposent une définition enfin exhaustive de ce que devrait être un modèle blockchain abouti et mettent en perspective les différentes phases qui doivent accompagner son accomplissement.
De manière formelle une blockchain est un mécanisme numérique permettant la création d’un registre distribué dans lequel deux, ou plus, participants d’un réseau pair-à-pair peuvent s’échanger des informations ou des actifs directement, sans avoir recours à un intermédiaire tiers de confiance.
La blockchain authentifie les participants et certifie qu’ils sont bien propriétaires des actifs qu’ils souhaitent s’échanger et que la transaction peut bien avoir lieu. Les informations sont contenues dans un registre chiffré réputé inviolable et détenu par l’ensemble des participants au sein de blocks en cluster regroupant jusqu’à 2 000 transactions. Le registre grossit au fur et à mesure des transactions.
Pour David Furlonger et Christophe Uzureau, de manière informelle, cette définition d’une blockchain signifie « qu’il est désormais possible de réaliser des échanges d’actifs n’importe où avec n’importe quel inconnu et quelle que soit la taille ou la nature de la transaction, sans avoir besoin de tiers de confiance de type avocat, assurance, banque etc… Ce type de solutions accroît fortement le type de transactions qu’une entreprise pourrait potentiellement réaliser. »
Les cinq éléments au cœur de la blockchain
David Furlonger et Christophe Uzureau estiment que la blockchain s ‘appuie sur des technologies et des techniques existantes mais intégrées au sein d’une architecture qui elle est nouvelle. Ils déterminent cinq éléments constitutifs d’une blockchain aboutie en insistant sur le fait qu’aujourd’hui peu de cas d’usage à l’œuvre ou en cours de déploiement remplissent l’ensemble des critères. Selon eux l’aboutissement de cet idéal type est indispensable à l’utilisation massive et diversifiée de la blockchain.
La distribution
Les participants d’une chaine de blocs sont reliés les uns aux autres au travers d’un réseau. Chaque participant constitue un nœud complet qui maintient en permanence une copie complète du registre, qui se met à jour systématiquement à l’occasion de chaque transaction. Les nœuds sont les terminaux utilisés par les participants qui sont équipés pour faire tourner l’algorithme de consensus. Ce dernier permet de décrire les données et les échanges entre nœuds. Le consensus est atteint dès lors qu’une majorité (le taux est à déterminer) de nœuds agréent tel ou tel échange de tel ou tel actif. Dès qu’un échange est validé il vient augmenter le registre. Tous les participants ont une vue de ce dernier mais aucun ne peut le modifier.
Le chiffrement
La blockchain utilise des technologies de chiffrement fondées sur des clés publiques ou privées pour enregistrer les données au sein de blocs en toute sécurité et semi-confidentialité (les participants sont dotés de pseudonymes). Les participants conservent le contrôle sur leurs informations personnelles et ne partagent que les informations utiles aux transactions.
L’immutabilité
La blockchain permet de réaliser des transactions chiffrées, signées, datées et d’ajouter ces informations régulièrement au registre détenu par chaque participant. Les enregistrements ne peuvent être modifiés par personne sans l’accord de l’ensemble des participants. Ce type d’accord est reconnu comme un fork.
La tokenisation
L’ensemble des interactions – dont les transactions – d’une blockchain nécessite un échange sécurisé. La valeur se présente sous la forme de tokens (des jetons valorisés à l’unité par convention entre co-contractants).
Les marchés dématérialisés fonctionnent plus efficacement en utilisant des jetons et peuvent donc être créatifs à ce niveau (phénomène de tokenisation). Les tokens pourraient se comprendre comme une représentation numérique d’actifs physiques, un mécanisme de récompense pour inciter les participants au réseau ou encore une nouvelle forme de valeurs à échanger. Ils permettent également aux participants de contrôler leurs données.
La décentralisation
Les informations du réseau et les règles d’opération sur ce même réseau sont maintenues par un maillage d’ordinateurs et de nœuds sur un réseau distribué. En pratique la décentralisation signifie qu’aucune entité à elle seule ne peut avoir le contrôle sur les informations ou les règles du réseau. Chaque nœud conserve une copie conforme et chiffrée de l’ensemble du réseau.
Le mécanisme de consensus réalisé à partir de chaque nœud intègre permet de vérifier et de valider les transactions. Cette structure décentralisée et gérée par un mécanisme de consensus, permet de se passer d’une autorité de gouvernance centralisée et protège contre les fraudes ou les erreurs de transaction.
Les 4 phases pour aboutir à une blockchain renforcée
Si le marché de la blockchain est appelé à se développer pour favoriser encore les échanges – jusqu’à participer à la génération d’un CA estimé à 3,1trilliards de dollars d’ici 2030 selon Gartner – la plupart des cas d’usage ne réalisent cependant pas la globalité des mécanismes entendus ci-dessus. Gartner s’appuie donc sur un agenda baptisé « Blockchain Spectrum » afin d’aider les entreprises à évaluer tant l’évolution du concept sur leur marché que pour leur permettre elles-mêmes d’établir un chemin vers la blockchain. Quatre phases sont déterminantes.
Mise en place des technologies permettant la blockchain
Ces technologies fournissent la base sur laquelle les futures solutions de blockchain existantes peuvent être créées et modélisées. Cette fondation peut également être utilisée dans le cadre de solutions autres que la blockchain, par exemple, pour améliorer l'efficacité opérationnelle. Ce socle de base comprend le chiffrement, l'informatique distribuée (type cloud), la mise en réseau pair-à-pair et la messagerie. Largement liée au développement d’Internet dans les années 2000, cette phase est d’ores et déjà à l’œuvre pour tous.
Les modèles d’inspiration blockchain
En 2012, les chefs d'entreprise, principalement dans les services financiers, ont commencé à explorer la blockchain à l'aide de PoCs et de projets pilotes. Cette phase est toujours en cours et durera – en fonction de la maturité des secteurs et des entreprises – jusqu'au début des années 2020. Les solutions inspirées des principes de la blockchain exploitent les technologies de base, mais n'utilisent que trois des cinq éléments constitutifs de la blockchain : la distribution, le chiffrement et l'immuabilité. Certaines de ces solutions font appel à la tokenisation, mais elles ne sont pas suffisamment décentralisées pour utiliser les jetons générés afin de créer de nouveaux systèmes d'échange de valeurs. Par conséquent, ces solutions visent souvent à réorganiser des processus existants spécifiques à une organisation ou à un secteur tout en maintenant des contrôles centralisés.
La blockchain complète
Les solutions complètes de blockchain font appel aux cinq éléments : distribution, chiffrement, immuabilité, création de tokens et décentralisation. Elles devraient se développer en fonction de la maturité des secteurs et des organisations à partir de l’an prochain.
Objectif : créer un « Internet de valeurs » constitué de réseaux d’échanges reposant sur la blockchain. Des solutions comportent d’ores et déjà la tokenisation grâce aux contrats intelligents (smarts contracts) et la décentralisation, deux éléments absents des solutions inspirées de la blockchain aujourd’hui les plus répandues. Ces solutions permettent d’échanger de nouvelles formes de valeur (telles que de nouveaux types d’actifs) et de débloquer des monopoles existants sur des processus de création de valeur (tels que le commerce numérique ou la publicité numérique).
Dans un premier temps (2020-2025) ce type de blockchain sera le fait de pureplayers proposant des solutions natives. Mais à compter de 2025 un décollage est attendu avec une intégration standard dans des solutions historiques et de nouvelles approches – plus décentralisées – des organisations et des échanges.
La blockchain renforcée
Après 2025, l’arrivée à plus de maturité de technologies complémentaires, telles que l’Internet des objets (IoT), l’intelligence artificielle (IA) et les solutions d’identité décentralisée autonome (SSI) vont converger et s'intégrer davantage dans les blockchains. Les solutions qui en résulteront permettront d’étendre les usages à de nouveaux types d’entreprises. Des actifs de toute sorte pouvant être identifiés, certifiés et échangés, ceci devrait permettre de réaliser un grand nombre de transactions – particulièrement sur de faibles valeurs – impossibles avec les mécanismes traditionnels.
[1] David Furlonger, Christophe Uzureau Gartner Inc., The real business of blockchain: how leaders can create value in a new digital age, Boston Massachusetts, Harvard Business Review Press, 2019, 272 pages.