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Datacenters : la question écologique que posent les onduleurs
La décarbonation est un sujet brûlant, y compris pour les datacenters. Cet article explique quel rôle ont à y jouer les alimentations sans interruption (UPS) doublées de batteries et pourquoi leur technologie n’apporte pas encore les bonnes réponses.
Dans les datacenters, les nouvelles alimentations sans interruption, alias onduleurs ou UPS (Uninterruptible Power Supplies), s’accompagnent de plus en plus souvent de batteries lithium-ion (Li+), à savoir une technologie aujourd’hui excessivement répandue puisque c’est celle que l’on trouve aussi dans les voitures, les smartphones et les ordinateurs portables.
Pour autant, les raisons qui expliquent la généralisation du Lithium dans les batteries pour onduleurs font débat : le lithium-ion a-t-il été choisi parce qu’il est réellement plus écologique ou parce que les fabricants le trouvent plus facilement sur le marché ? La question se pose d’autant plus que ces batteries, en stockant de l’énergie pour permettre à l’onduleur de parer à un défaut d’alimentation, consomment une énergie rarement utile. Pire, du fait des déperditions, elles doivent régulièrement refaire le plein d’électricité alors que les onduleurs ne les ont même pas utilisées.
Deux positions s’affrontent. D’un côté, Schneider Electric, qui vend des batteries pour datacenters à base de lithium-ion, avance qu’elles perdent bien moins d’énergie que les générations précédentes, à base de plomb et appelées VRLA. De l’autre, Eaton, un spécialiste des onduleurs prétend que ces batteries au lithium-ion apportent un bénéficie très discutable, d’autant qu’elles sont 1,2 à 2 fois plus chères que les batteries historiques au plomb. Selon Eaton, si une entreprise veut pouvoir dire qu’elle économise l’énergie, elle a plutôt intérêt à investir dans des onduleurs intelligents capables de gérer les déperditions.
Contre le lithium...
« Les exploitants doivent chercher à avoir une vision complète de la gestion de l'énergie et examiner de près le rôle des UPS plutôt que se précipiter à racheter de nouvelles batteries pour onduleurs vendues comme étant encore plus économiques en énergie », lance ainsi Janne Paananen, directeur technique, technologie des grands systèmes chez Eaton pour la région EMEA (Europe, Moyen-Orient et Afrique).
Son crédo ? Pour qu’il soit écologique, un UPS doit surveiller les besoins et anticiper la demande. Chez Eaton, les onduleurs font baisser la consommation électrique du datacenter au juste niveau nécessaire et sont capables de réinjecter dans le réseau du fournisseur d’électricité l’énergie en trop stockée dans les batteries.
« Lorsque vous produisez vous-mêmes sur votre datacenter de l’énergie renouvelable, par exemple via des panneaux solaires, et que vous réinjectez cette énergie sur le réseau de votre fournisseur d’électricité, vous favorisez l'adoption d'énergie renouvelable par l'opérateur réseau et vous contribuez bien plus largement à l’écologie qu'en procédant par petites touches ici et là dans le datacenter », argumente son collègue Ciaran Forde, responsable marché, IT et datacenters chez Eaton EMEA.
« Demandez-vous comment telle ou telle solution faire réellement bouger les lignes en matière d’écologie », insiste-t-il.
Janne Paananen ajoute que les batteries au plomb elles-mêmes ne sont pas forcément moins écologiques que celles au lithium-ion. Parce que leur fabrication a bénéficé de l'émergence de nouvelles techniques métallurgiques et hydro-métallurgiques. Parce que leur recyclage est mieux géré depuis l’apparition récente d'usines de reclassement spécialement adaptées et, aussi, depuis le développement de la traçabilité des composants selon les directives de la Global Battery Alliance.
« 99 % du plomb des batteries peut être recyclé, par exemple. Quant aux batteries au lithium-ion, elles ont une durée d'exploitation de 10 à 15 ans. On n'attend donc pas de gros volumes de matériaux à recycler avant 2030 », calcule Janne Paananen ; il suggère que les batteries au lithium-ion actuellement commercialisées relèvent toutes directement de l’exploitation controversée de terres rares.
...ou pour le lithium
Marc Garner, vice-président GB et Irlande, division Secure Power de Schneider Electric, concède qu'à certaines étapes du cycle de vie, les impacts environnementaux du lithium peuvent être plus importants que ses alternatives.
Mais il reste l’un des plus fervents défenseurs du Lithium-ion, pour ses vertus économiques. Et pour cause : le fabricant a collaboré avec le bureau d’études Wartsila pour fournir un nouvel UPS écologique qui réduirait en moyenne de 27 % les dépenses énergétiques, avec des batteries à base de lithium-ion qui perdraient 20 % d’énergie en moins que les batteries au plomb.
« Les défauts du lithium peuvent être compensés. Par exemple, des études révèlent qu'en 10 ans, le lithium-ion a généré un coût total de possession (TCO) inférieur de 10 à 40 % à celui de systèmes de puissance équivalente utilisant la technologie VRLA, soit une batterie plomb-acide régulée par soupape », affirme Marc Garner.
Selon Schneider Electric, les opérateurs de datacenters optent majoritairement pour des UPS compatibles avec des batteries Li+ dès qu’ils entrent dans une stratégie de modernisation et de gestion de l'énergie. « le cycle de vie de ces batteries est deux à trois fois plus long que celui des batteries VRLA, leur cycle de charge est deux à trois fois plus rapide, leur encombrement est moindre et elles sont plus légères. Et certains modèles de batteries Li+ triphasées proposent aussi des options de stockage d'énergie intelligentes », argumente Marc Garner.
Les experts tranchent : la meilleure solution reste à venir
Nuria Tapia Ruiz, maître de conférences à l'Université de Lancaster, mène des recherches sur les matériaux permettant le stockage de l'énergie dans le domaine des batteries. Elle aussi convient que l’aspect écologique est un sujet complexe. « Le lithium-ion n'est en effet pas si écologique que cela. Son avantage est qu’en combinant du lithium avec du nickel, du cobalt et du manganèse, on atteint une densité d'énergie qui permet de stocker une charge plus importante que les batteries au plomb, ce qui suggère que l’on tire moins souvent de l’énergie du réseau électrique. »
Pour autant, l’extraction des matières premières soulève de nombreux problèmes environnementaux. Le nickel extrait des sulfures produit du dioxyde de soufre particulièrement toxique. Les mines de cobalt au Congo sont soupçonnées d’exploiter des enfants et sont à l'origine d'une pollution et d'une contamination de l'eau potable nocives pour la santé. « L'anode de ces batteries pose d’autres problèmes de développement durable, car son composé est obtenu à partir de coke, un résidu de carbone quasiment pur obtenu par chauffage du charbon », explique Nuria Tapia Ruiz.
Elle note qu’il reste très difficile d’obtenir des fabricants une transparence totale sur la production des batteries, sur leur chaîne d'approvisionnement, sur leur gaspillage réel d’énergie.
« Une véritable démarche de développement durable consistera à remplacer progressivement les matériaux des cathodes par du phosphore, de l'oxygène, du fer et du lithium et à supprimer le cobalt et le nickel » détaille la chercheuse. Elle ajoute : « d'autres technologies durables telles que le sodium-ion (Na+) sont aussi à l'étude. »
La technologie Na+, étudiée par Nuria Tapia Ruiz, est une avancée spectaculaire, surtout si l'on considère que le numéro deux des fabricants de batteries, CATL, a dévoilé sa première génération de batteries sodium-ion en juillet 2021, et qu'il prévoit de créer une filière dédiée d'ici à 2023.
Écologie des onduleurs : les meilleures pratiques actuelles
Pour Tony Lock, analyste chez Freeform Dynamics, les opérateurs de datacenter devraient atteindre leurs objectifs de développement durable en misant d'abord sur les fondamentaux : évaluer l'importance métier des applications et services, déterminer les plateformes à utiliser, l'efficacité des serveurs et du stockage, etc.
« Qu'est-ce qui, dans votre datacenter, requiert une disponibilité continue ? Toutes les applications sont différentes. Même si la majorité des utilisateurs affirment que toutes leurs charges de travail sont essentielles, ce n'est jamais vraiment le cas », assure l'analyste.
Selon lui, les datacenters peuvent généralement limiter la taille des UPS et le recours à une alimentation de secours s'ils arrêtent les applications non sollicitées dans le bon ordre. Les datacenters devraient également avoir plusieurs fournisseurs d'électricité, avec des acheminements différents. De cette façon, l'énergie sera toujours assurée par d'autres réseaux.
« Limitez le nombre de systèmes peu écologiques, c’est-à-dire typiquement les UPS qui stockent de la capacité », conseille l'analyste. « Les utilisateurs, de mieux en mieux informés, exigeront des entreprises qu'elles soient les plus vertes possible. Ce facteur social a déjà évolué de façon spectaculaire ces cinq dernières années. »
Chris Brown, directeur technique chez Uptime Institute, ajoute qu'un UPS à rotor peut être plus avantageux dans les datacenters qui produisent eux-mêmes de l’énergie, par exemple via des panneaux solaires.
« Sur la partie statique de l'UPS, vous pouvez remplacer les batteries par un petit volant à inertie. L'inconvénient est que l'autonomie de votre batterie habituelle sera d'environ 18 secondes sur un UPS statique, au lieu de cinq minutes à quelques heures selon le nombre de batteries que vous accolez à un UPS classique », explique Chris Brown. « Vous devrez donc y associer un groupe électrogène à démarrage rapide, par exemple, mais cela présente au moins l'avantage de supprimer les batteries. »
Autre possibilité, l'onduleur à double conversion, qui utilise un convertisseur alternatif/continu pour charger les batteries, puis reconvertit le courant continu pour alimenter l'UPS. La conversion AC/DC élimine toutes les anomalies éventuelles. Sinon, un mode « éco » permet aussi de contourner l'UPS jusqu'à ce que le courant s'arrête, ajoute C. Brown.
Toujours d'après Chris Brown, l'Uptime Institute aurait entendu dire que des compagnies d'assurance se prononçaient contre l'utilisation des batteries Li+ en raison des risques d'incendie, le lithium-ion réagissant bien plus que le plomb à l’air et à l’eau. Bref, il n'existerait pas encore de réponse parfaite à la question de la gestion de l'énergie avec des onduleurs.
« Vous pouvez contrôler l'espace dans lequel se trouvent les batteries et assurer des conditions optimales pour prolonger leur durée de vie, par exemple en optant pour une technologie adaptée à leur usage, explique-t-il. Le support, également, est important. En vérité, c'est autant un art qu'une science ! Dans la mesure du possible, faites-vous accompagner de prestataires spécialistes des batteries qui peuvent, grâce à leurs connaissances, vous aider à prolonger leur durée de vie. Leur expertise est inestimable, mais elle est suffisamment rare pour que les opérateurs de datacenters ne puissent pas tous y avoir accès. »