Conseils pour vraiment devenir « API-First »
Début 2000, il fallait un site web pour être dans l’économie digitale. En 2010, les smartphones ont obligé à revoir l'approche globale pour l’adapter à la mobilité. 2020 marque le début de la décennie des APIs, le nouveau moteur de l’économie as-a-service.
Créée en 2010, Stripe est une entreprise qui propose des solutions de paiement en ligne implémentées par le biais d’une API. Elle est aujourd’hui valorisée à 32,5 milliards de dollars, un montant supérieur de 40 % à un groupe comme Société Générale.
Twilio, créée en 2009, commercialise des solutions de communications unifiées via une plateforme cloud et distribuées via des APIs. Elle vaut aujourd’hui 14,2 milliards de dollars de capitalisation boursière.
Le point commun entre ces deux exemples se trouve dans la nature de leurs produits : ce sont des APIs – des interfaces logicielles programmables – mises à la disposition des développeurs pour qu’ils puissent les intégrer dans leurs solutions technologiques.
Ces deux exemples traduisent bien le fait que nous sommes à l’ère de l’économie « programmable ». Une ère où le modèle économique est exponentiellement lié à la capacité de l’entreprise de rendre ses solutions interopérables avec les produits et les plateformes déjà disponibles sur le marché.
Les APIs – de l’anglais Application Programming Interface – sont des interfaces informatiques qui permettent de communiquer et d’interagir avec un autre système. Ces interfaces peuvent envoyer des requêtes sur des données qui se trouvent dans une autre application (comme une entreprise qui souhaite intégrer Google Maps à son application). Elles peuvent aussi demander l’exécution d’un calcul, d’un paiement, d’un appel ou de toute autre fonction réalisable via un programme informatique.
Dans cette époque de l’économie as-a-service, les APIs deviennent incontournables, car elles permettent d’avoir son logiciel ou ses données distribuées et intégrées dans les systèmes informatiques de ses clients, et ce en « self-service ».
Les économies d’échelle générées par les APIs sont donc importantes. Il n’en reste pas moins qu’il faut que l’API soit bien documentée. C’est ce qui permettra aux développeurs d’intégrer des applications de manière complète et autonome.
Ce prérequis de la documentation peut accélérer la croissance d’une base d’utilisateurs de manière continue, sans nécessiter de formation ni de support auprès des partenaires.
À très grande échelle, Amazon a pu développer ses services cloud (Amazon Web Services) grâce aux APIs. AWS génère aujourd’hui 17 milliards de dollars et contribue à hauteur de 60 % du résultat opérationnel d’Amazon. Jeff Bezos, son PDG, avait même menacé dans un email de licencier tout employé qui ne passerait pas par des APIs pour communiquer des données en interne.
Autre exemple, Salesforce et Ebay génèrent respectivement plus de 50 % et 60 % de leurs revenus via des APIs. Et plus de 90 % des revenus du programme de fidélité Expédia sont réalisés via des APIs.
Quant à Netflix, il explique son succès en grande partie par l’utilisation de milliers d’APIs en interne qui permettent à ses équipes d’être plus agiles et en externe de distribuer du contenu sur des milliers d’appareils mobiles, tablettes, consoles et smart TV et cela avec une expérience dédiée à chaque appareil.
Marshall Van Astlyne, professeur à l’université de Boston et au MIT, et auteur du best seller Platform Révolution, a publié une étude sur l’impact des APIs dans les Entreprises à Taille Intermédiaire et les grands groupes. Il a trouvé qu’en moyenne, les sociétés dotées d’une forte stratégie interne utilisant des APIs, ont en moyenne une valorisation boursière supérieure de 10,3 % par rapport aux concurrents sur le même secteur, ce qui représente plusieurs centaines de millions de dollars sur l’échantillon de sociétés étudiées.
Reste qu’adopter une culture API n’est pas si simple et requiert beaucoup de temps.
De grands groupes français ont entamé leur transformation interne par le biais d’APIs, mais il s’agit d’abord d’une question de culture. Le point de départ de ce changement se nomme l’Open IT, un concept qui stipule que tout système interne peut être potentiellement ouvert à un partenaire ou un client un jour via une API. Or depuis 30 ans, les plus grands cabinets de conseil ont dit le contraire aux dirigeants : qu’il fallait tout cloisonner, car la donnée était leur actif le plus précieux, le pétrole de notre temps. Résultat, aujourd’hui, ces grands groupes se retrouvent avec beaucoup moins de données que les plateformes qui ont investi dans des APIs collectant des données avec et grâce à leur écosystème.
Les enjeux sont donc autant culturels que techniques. Cela prend du temps avant qu’une organisation acquière un état d’esprit API.
Côté IT, il s’agira de penser une architecture « API-first » afin de produire les APIs en amont de la production des sites web ou des applications qui viendront consommer les ressources internes. L’intérêt est ici d’utiliser les APIs comme une stratégie de distribution omnicanal dans les systèmes informatiques.
D’un point de vue économique, il sera nécessaire de penser « API-first business » pour produire l’API avant l’application ou le produit final, afin d’apprendre et de monétiser les ressources internes plus tôt dans le cycle de vie du produit.
Aussi, il est utile d’entamer un apprentissage et d’engranger des enseignements du marché, avant d’investir dans les projets d’application à plus grand risque. Cela concerne plus particulièrement les grands groupes à cause de leur faible capacité à délivrer une Expérience Utilisateur en cohérence et dans le bon timing avec la demande client.
Comme le disait Peter Drucker, si « culture eats strategy for breakfast » ( « la culture se nourrit de stratégie au petit déjeuner »), on peut dire aujourd’hui que la « culture digitale se nourrit de stratégie API au dîner ».
Mais alors les entreprises qui ne l’ont pas fait sont elles définitivement en retard ? Peuvent-elles commencer leur stratégie API ou le train est-il déjà passé ?
La réponse est oui, il est encore temps, mais il est urgent de se lancer.
En revanche, il ne s’agit pas d’acheter tel ou tel logiciel présenté comme solution miracle. Cela sera forcément cher et très peu utilisé faute de savoir pourquoi ce logiciel est là (un logiciel est toujours trop cher quand on ne l’utilise pas).
Il vaut mieux privilégier le moyen de faire passer le sujet en interne à tous les niveaux de l’entreprise, afin d’allier la transformation sur le court et le long terme. Il est conseillé également de démarrer des petits projets APIs, de démontrer leur valeur, puis de passer à l’échelle de l’entreprise en s’assurant que tout le monde s’acculture sur le sujet de manière apaisée. Dans une organisation programmable, tout le monde pense API-first – du développeur à l’architecte en passant par le product manager et les commerciaux.
Alors oui, certaines entreprises ont démarré il y a longtemps leur transformation et le meilleur moment de passer à une culture API-first était il y a 10 ans. Mais le second meilleur moment, c’est maintenant.
Mehdi Medjaoui est entrepreneur, expert à la Commission européenne, auteur, consultant, enseignant à HEC et l’EMlyon, et conférencier international sur les APIs et l’économie programmable
Mehdi Medjaoui a lancé les APIdays. Il est aujourd’hui à la tête d’ALIAS, une société qu’il a fondée pour « aider les utilisateurs à récupérer leurs données, à les visualiser, à les gérer et à les valoriser grâce à un token RGPD compliant ».
Il a précédemment co-fondé d’OAuth.io, une interface d’identification à destination des développeurs acquise en 2017 par un acteur du logiciel Américano/Japonais.
Mehdi Medjaoui a co-écrit « Continuous API management » (O’Reilly, 2018).