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Comment bien faire fonctionner le travail hybride ?
Le travail hybride devient une nouvelle normalité. La problématique pour les entreprises est de garantir une expérience employé positive, mais aussi d’identifier et de gérer les risques de perte d’engagement et de culture commune.
La généralisation du « travail hybride » – mélange pour un employé de jours de travail au bureau et de travail à distance, au sein d’équipes elles-mêmes divisées entre personnes présentes et à distance – aura une incidence considérable sur l’expérience des collaborateurs. À tous les niveaux.
Si la situation n’est pas gérée correctement, elle risque de se traduire par un détachement émotionnel et un désengagement, en période de pénurie de talents.
Dans ce contexte, Alexia Cambon, directrice de recherche sur les pratiques de RH pour Gartner, estime que la première difficulté vient du manque d’uniformité engendré par le passage à des modèles de travail plus souples.
Les périls de la fin d’une culture commune
Lorsque les employés venaient au bureau tous les jours aux mêmes horaires, ils vivaient plus ou moins les mêmes expériences et les mêmes rituels. Ce n’est plus le cas lorsqu’ils travaillent chacun de leur côté, et à des horaires différents.
Ces expériences désormais distinctes peuvent faire naître des sentiments d’injustice et d’inégalité, qui sont culturellement toxiques. Pour illustrer les conséquences de cette situation, Brian Kropp, EVP de la recherche en RH chez Gartner, prend l’exemple du soutien proposé au personnel pendant la pandémie. Dans son discours de septembre 2021 (lors de la conférence ReimagineHR du Gartner), il dévoilait que 64 % des entreprises estimaient avoir été suffisamment présentes pour aider les parents et les soignants… alors que moins d’un tiers de ces personnes se sont senties soutenues. Ce chiffre tombait à 27 % chez les employés des autres catégories.
D’après les psychologues, le principal problème vient du fait que ce sentiment d’injustice ne repose pas tant sur le niveau de soutien réellement fourni, que sur les écarts de traitement entre les différentes catégories, explique Brian Kropp. « Ainsi, affirme-t-il, les avantages particuliers accordés aux parents en matière de flexibilité et de soutien financier ont été perçus différemment par les autres collaborateurs, en partie parce qu’ils ne comprenaient pas pourquoi ils devaient mettre les bouchées doubles pendant que d’autres profitaient de ces largesses. C’est une question de comparaison, et il faut en tenir compte. »
Cela ne signifie pas pour autant que tous les employés doivent être logés à la même enseigne, mais plutôt qu’ils doivent être mieux informés afin de comprendre les raisonnements à l’origine de ces décisions. Cela implique également que les notions de justice et d’équité soient ancrées dans la culture de l’entreprise, afin d’imprégner en continu « l’expérience globale des collaborateurs », et pas seulement dans « les moments qui comptent » (voir l’encadré ci-dessous).
Des bureaux qui changent avec le travail à distance
Un autre paramètre déterminant à prendre en compte est le fait que les locaux d’entreprise, traditionnellement fondés sur des interactions en face à face, évoluent puisque les collaborateurs passent moins de temps ensemble physiquement et plus de temps virtuellement. L’institut d’études de marché CCS Insight prévoit même que d’ici 2025, les entreprises auront réduit la surface de leurs bureaux de 25 % en moyenne du fait du travail hybride.
« Même avant la pandémie de COVID-19, seuls 50 à 60 % des bureaux étaient occupés en même temps, ce qui est très peu si l’on considère que tout le monde était censé travailler dans les locaux à plein temps », souligne Angela Ashenden, analyste chez CCS Insight. « Ces chiffres continueront de baisser, ce qui poussera les entreprises à rationaliser leur fonctionnement afin de réduire les coûts. »
Cette tendance suscite déjà un mouvement de rénovation des bureaux, notamment en raison de l’évolution croissante vers un mode de travail dépendant de l’activité.
D’après Angela Ashenden, ce concept de « flex office », qui existe depuis une quinzaine d’années, devrait devenir la norme d’ici 2024. Il s’agit aujourd’hui de proposer aux employés plusieurs espaces de travail en fonction du type d’activité qu’ils souhaitent réaliser. Ils choisiront, par exemple, un espace ouvert et informel pour une séance de brainstorming, mais opteront plutôt pour un bureau isolé s’ils ont besoin de concentration.
Dans ce contexte, plusieurs innovations technologiques ont aussi vu le jour, comme des systèmes de réservation et de gestion des salles destinés à déterminer quels espaces sont plus utilisés à quels moments et pour quels types d’activité, afin d’optimiser leur occupation.
Ces systèmes sont particulièrement adaptés aux environnements de bureaux partagés, ou « hot-desking ». Dans un souci d’hygiène, des systèmes à commande vocale font également leur apparition pour accéder aux bâtiments, aux ascenseurs ou aux bureaux sans avoir à toucher quoi que ce soit.
Alexia CambonGartner
Cependant, cette mutation affecte inévitablement la culture globale de l’entreprise. Ainsi, dans un environnement de travail hybride, le fait de passer moins de temps physiquement avec ses collègues peut nuire au sentiment de cohésion d’équipe et d’appartenance à l’entreprise.
Cet éclatement culturel risque en outre d’être aggravé par les travailleurs hybrides qui passent moins de temps dans des bureaux « contrôlés par l’employeur » et sont donc « bien moins exposés à la notion d’identité culturelle de l’entreprise », admet Alexia Cambon, de chez Gartner.
Autrement dit, il est dans l’intérêt des employeurs de déterminer s’il vaut mieux regrouper physiquement les collaborateurs de manière plus délibérée afin de créer du lien social, ou s’il est préférable de trouver de nouvelles façons d’établir une cohésion virtuelle.
« L’espace physique ne sera bientôt plus le principal moteur de transmission de la culture d’entreprise, ce qui aura un impact considérable sur l’expérience collaborateur. Les employeurs doivent par conséquent réévaluer l’avenir des espaces de bureaux et comprendre les différences de cultures d’une entreprise à l’autre », ajoute Alexia Cambon.
En attendant, il convient d’analyser la façon dont les environnements en ligne changent les comportements humains pour créer des liens virtuels plus efficaces. Les managers auront également besoin de lignes directrices pour aider leurs équipes à faire face à ces changements. En particulier en ce qui concerne le bien-être émotionnel et la surcharge virtuelle alors que, chez eux, la séparation entre les environnements personnel et professionnel des employés continue de s’estomper.
Le pouvoir de l’écoute des employés
Pour rendre la situation encore plus complexe, il devient aussi évident que les employés attendent de leur employeur un comportement de plus en plus « humain », ajoute Alexia Cambon.
Pour elle, l’expérience collaborateurs est désormais moins tributaire des avantages « matériels » que peuvent leur donner leurs employeurs (comme une meilleure rémunération), que des « sentiments » qu’ils suscitent, par exemple des opportunités de carrière dans lesquelles ils se sentent investis.
C’est là qu’interviennent les technologies « d’écoute des employés », qu’il s’agisse de plateformes d’engagement collaborateur ou d’applications d’enquêtes auprès du personnel. Leur objectif est d’aider à comprendre ce que pensent et ressentent les employés, afin d’identifier les lacunes de l’entreprise et façonner plus efficacement l’expérience des collaborateurs.
Prendre le pouls des collaborateurs est également motivé par le désir d’améliorer l’expérience client. Car comme l’explique Angela Ashenden, de CCS Insight, « pour améliorer l’expérience des clients, il faut améliorer celle des employés. Il est désormais acquis que ces deux aspects sont étroitement liés et ne peuvent être considérés séparément. Ainsi, si l’expérience des employés est satisfaisante, cela aura une incidence positive sur le client et stimulera la productivité ».
C’est pourquoi, au cours de l’année à venir, elle s’attend à une forte hausse des investissements dans des projets et des technologies comme Microsoft Viva, une plateforme d’expérience collaborateur qui propose un large éventail d’outils au service de la formation continue, du développement personnel, du bien-être et de la communication.
De la fourmi au taureau : aller plus loin qu’un nouvel outillage RH
Mai-Britt Poulsen, directrice associée pour le groupe Boston Consulting au Royaume-Uni, en Irlande, aux Pays-Bas et en Belgique, prédit pour sa part une croissance pour les outils destinés à « lisser l’écart entre le travail en présentiel et en distanciel ».
Angela AshendenCCS Insight
Il peut s’agir de plateformes de partage de projets, de systèmes de suivi des travaux et du temps de travail, ou encore d’applications de planification indiquant quels employés sont présents ou non dans les bureaux.
Mais comme le souligne Angela Ashenden, la technologie à elle seule ne peut suffire à créer une expérience collaborateur exemplaire. « Il faut de la technologie pour soutenir les processus et recueillir des informations, mais il faut aller plus loin », avertit-elle. « Il faut réformer la culture d’entreprise, ainsi que la façon de collaborer et d’organiser les équipes, afin que chacun travaille de manière transversale plutôt qu’isolément dans un service. Cela implique donc de changer non seulement les outils, mais également les états d’esprit. »
Alors que de nombreuses entreprises tentent d’évaluer la meilleure façon de procéder, elles sont encore peu nombreuses à véritablement prendre le taureau par les cornes, car une transformation de cette ampleur s’avère être une tâche considérable. En conséquence, la plupart avancent à pas de fourmi en se contentant le plus souvent de la mise en place de formations continues ou de l’amélioration des communications, regrette Angela Ashenden.
Une phase d’expérimentation de deux ans, au moins
Le manque de clarté sur les répercussions du travail hybride et ce qu’il apporte exactement à l’expérience collaborateur constitue un autre frein. Comme l’explique Alexia Cambon du Gartner, on devrait donc assister à une « phase d’expérimentation pendant au moins les deux prochaines années ». En revanche, ce qui est certain, ajoute-t-elle, c’est que « nous entrons dans une ère où la flexibilité devient un enjeu majeur ».
« Cela signifie que les collaborateurs contrôleront de plus en plus étroitement leur activité et leur journée de travail, tandis que les disparités et les inégalités inhérentes au travail hybride se traduiront par un risque de décrochement et de manque d’engagement. C’est pourquoi, pour garantir une expérience positive pour les collaborateurs, il sera crucial d’apprendre à identifier et à gérer ces risques. »
Qu’est-ce que l’expérience collaborateur ?
Gartner décrit l’expérience collaborateur comme « la façon dont les employés internalisent et interprètent leurs interactions avec leur entreprise, ainsi que le contexte qui sous-tend ces transactions ».
Autrement dit, la notion fait référence à la manière dont le comportement, la culture et les valeurs de l’entreprise se reflètent dans l’expérience professionnelle individuelle de chaque employé et dans ses sentiments.
Ce concept inclut la notion de « moments qui comptent », à savoir les expériences significatives dans la vie d’un collaborateur, comme son premier jour de travail, une augmentation de salaire ou une promotion. Bien que ces instants varient d’une entreprise à l’autre en fonction de ses priorités et de ses propositions de valeur pour les employés, ils jouent un rôle prépondérant dans le sentiment d’appartenance et d’engagement de ces derniers vis-à-vis de leur employeur.