Blockchain ou pas blockchain : comment faire le bon choix ?
Avant de savoir quelle blockchain choisir, la première étape consiste à savoir si votre entreprise a réellement besoin d’une blockchain. Pour ce faire, il faudra vérifier qu’un projet correspond bien aux cas d’utilisations pertinents de cette technologie encore en gestation.
« Half baked », disent les Anglo-saxons. Pas encore prêt. C’est certainement un point important à avoir en tête lorsque l’on parle de blockchain en entreprise. Même si certains fournisseurs et tous les « enthousiastes » aiment à répéter que la blockchain est mûre et que les mises en production se multiplient, la réalité est un peu différente.
Les blockchains ne sont pas (encore et toujours pas) matures
Gartner par exemple, estime que la blockchain se positionne sur « le pic des attentes surévaluées » de son Hype Cycle 2017 pour 2018. Ce qui signifie que les blockchains — car la blockchain n’est pas une — vont rentrer dans une phase « de désillusion » et ne réellement s’imposer que dans 5 ans (au plus tôt). Et encore, celles qui seront toujours là.
Or nulle ne sait aujourd’hui quelles blockchains résisteront au temps, même si celles supportées par de grands groupes (IBM, JPMorgan, etc.) ont a priori plus de chances que celles ne bénéficiant pas d’un soutien financier.
Un éditeur comme Oracle — pourtant concerné au premier rang par la manière dont la blockchain pourrait déstabiliser les fournisseurs des bases de données sécurisées — estime pour sa part que la prochaine grosse évolution de l’IT est... l’Intelligence Artificielle.
La blockchain, elle, sera, « la, “prochaine grosse évolution” », affirmait Mark Hurd, en conférence de presse à l’OpenWorld 2017 (en vo « “the next “next big thing” »). Ce qui ne l’a pas empêché de l’ajouter à son catalogue « pour voir ». Et sans revenus réels aujourd’hui.
Par ailleurs, une analyse des « projets réels », tant vantés par les sites entièrement dédiés à la blockchain, révèle qu’il s’agit en fait, dans l’immense majorité des cas, de PoC.
Quant à ceux qui sont en production, les déploiements répondent rarement à la question du « pourquoi avoir résolu le problème avec une blockchain et pas avec une classique base de données ? ».
Sur ce point, nous ne saurions trop recommander de bien avoir en têtes les cinq erreurs et non-sens à ne pas reproduire dans votre projet blockchain.
Dans quels cas la blockchain est-elle pertinente ? Les cinq critères
Il ne s’agit en revanche pas de jeter la blockchain aux orties. Au contraire.
Plusieurs projets comme ceux de Renault (Viséo), de PSA (SQLI) ou de Møller-Mærsk (IBM) ont une réelle pertinence.
Les enseignements des premiers projets et de leurs retours commencent à bien délimiter les champs d’action pertinents d’une blockchain.
En résumé, une bockchain est adaptée si :
- plusieurs entités sont indépendantes
- elles ne se font — a priori — pas confiance,
- mais elles ont un intérêt potentiel commun à collaborer et à échanger des données
- sans s’associer et sans être totalement transparentes les unes pour les autres
Dernier point, le registre d’une blockchain se veut « infalsifiable ». Dit autrement, on ne peut pas le corriger. C’est une tablette de marbre numérique sur laquelle on grave des informations (plutôt qu’on ne les écrit). La blockchain répond donc à une volonté de permanence des données enregistrées.
Les configurations qui répondent à ces cinq critères sont celles que l’on trouve, par exemple, dans les cas de coopétition (carte de fidélité entre entreprises), d’entreprises étendues (en amont dans la supply chain ou en aval lorsque l’entretien d’un produit se fait par des acteurs qui ne sont pas le producteur), de réseaux de franchises et de commerce associé comme décrit par Michel Kahn (auteur de l’ouvrage de référence « Franchise et partenariat ») et en interne — dans certains cas — dans des entreprises qui gèrent leurs unités opérationnelles comme des entités concurrentes.
Pérénité des compétences Blockchain
Les blockchains évoluent encore, donc. Elles n’ont pas atteint une stabilité technologique suffisante.
Et toutes les blockchains ne se valent pas (fonctionnalités (registre anonyme, pseudonyme ou public, process de consensus, etc.), blockchain privée/publique, difficultés de déploiement, pérennité de la technologie et du fournisseur choisi).
En termes de compétences, cela signifie qu’il faudra trouver des développeurs et des chefs de projets capables de se former, de suivre les changements, d’analyser les évolutions pour tenter de séparer les blockchains pérennes des autres et pour suivre les évolutions techniques.
Un projet Blockchain peut n’avoir comme but que de « tremper le pied dans l’eau ». Mais dans ce cas, il faut avoir à l’esprit que les enseignements et les compétences du jour ont une forte probabilité de ne pas être celles de demain.
Les deux premiers intérêts d’un projet blockchain : acculturation...
À présent que vous avez les critères qui permettent de déterminer si un projet est éligible à une solution impliquant une blockchain, à vous de faire le choix de vous lancer. Ou de ne pas le faire — ou de le faire et de vous raviser — et de déployer une base de données classique.
« Les phases d’idéation montrent que la Blockchain n’a d’intérêt que dans 50 % des cas », souligne Frédéric Panchaud, expert Blockchain chez VISEO.
Mais ces projets — même abandonnés — valent tout de même le coup. Ils entrainent un exercice d’acculturation et de réflexion sur la manière de faire les choses différemment. C’est peut-être là, aujourd’hui, le bénéfice numéro 1 de la blockchain.
... et communication
Avant de vous lancer, une remarque en guise de conclusion.
La nouvelle est arrivée dans les rédactions sans susciter le moindre article, mais Star Alliance (l’une des alliances aériennes concurrentes du SkyTeam de Air France, Delta et KLM) a mené un projet très intéressant avec Accenture. Le groupement a créé une plateforme de partage de données entre ses compagnies membres (et concurrentes).
« La Plateforme de Services Numériques (PSN) peut recueillir des données fournies par une compagnie aérienne membre — ou une source tierce — et les mettre à la disposition de tous les membres, ce qui leur permet de les intégrer à leurs propres applications numériques destinées aux passagers », explique le PDG de Star Alliance.
Par exemple, un client de United pourra choisir un siège sur Singapore Airlines. Autre usage, Lufthansa utilise la PSN pour fournir à ses clients des informations de suivi des bagages sur les vols effectués sur d’autres compagnies du réseau.
Si l’alliance n’avait qu’évoqué le mot « blockchain », on peut imaginer qu’elle aurait eu une couverture médiatique décuplée. Oui, mais voilà, aussi incroyable soit-il, Star Alliance n’utilise pas de blockchain pour partager les données entre membres.
À l’inverse, Carrefour et sa « blockchain à poulets » ont suscité beaucoup d’articles qui n’auraient sans doute pas existé si la traçabilité avait été faite — aussi bien ? – avec une base clef/valeur (à la Redis, Riak ou Aerospike).
Bref, si Star Alliance avait fait le choix de la blockchain, elle aurait certainement eu une couverture médiatique. Mais pas forcément un résultat opérationnel ni un ROI plus probant. À vous de voir ce que vous cherchez.