À force de consolidations, le filon du process mining s’épuise
Les géants technologiques comme SAP et Microsoft ont rapidement saisi la valeur du process mining, mais le rythme actuel des acquisitions altère rapidement le marché, selon les analystes.
Le marché du process mining est relativement jeune, mais il évolue rapidement. Selon les analystes, il évolue si rapidement qu’il sera considérablement altéré – voire invisible – dans quelques années.
Les logiciels de process mining permettent aux organisations d’examiner le fonctionnement de leurs processus, leur fréquence d’utilisation et la manière dont les collaborateurs les suivent. Cette approche prouve tout son intérêt quand il s’agit de détecter les procédures inefficaces, stoppées ou dupliquées.
Historiquement, cette méthodologie est née avec le BPM (Business Process Management). Les applications de process mining visaient donc en premier lieu à optimiser – voire à trouver et lister – des processus existants. Mais ces logiciels se sont plus récemment imposés comme des supports à la transformation numérique.
Les plateformes modernes de process mining combinent des capacités d’analyse et d’automatisation avancées. Elles peuvent aider les entreprises à auditer les processus lors de la migration de systèmes IT sur site vers le cloud, en identifiant les logiques opérationnelles et IT à conserver.
Celonis et Signavio sont deux des acteurs les plus célèbres de ce marché naissant. Au-delà de l’exploration, ils ont apporté des fonctionnalités telles que des algorithmes de recommandation pour améliorer les processus. Même si Celonis est presque hors d’atteinte – la licorne allemande est valorisée à 11 milliards de dollars –, d’autres éditeurs ont attiré l’attention de géants technologiques dont SAP, qui a acquis Signavio en 2021, et Microsoft, qui a ajouté Minit à son portefeuille en 2022.
Lorsque les entreprises cherchent à examiner et à améliorer leurs processus, elles peuvent envisager une variété d’approches et de solutions. Les leaders du marché comme Celonis et SAP Signavio proposent des plateformes complexes, opérées par des process analysts, pour démêler des procédures tout aussi complexes. D’autres éditeurs misent sur des approches qui nécessitent moins d’expertise technique.
Process mining : les petits éditeurs font de la résistance
Stereologic est l’un des petits acteurs qui cherchent à s’emparer d’une part du marché du process mining. La société basée à Toronto se concentre sur l’établissement d’une image globale des processus d’entreprise, selon Sofia Passova, présidente, fondatrice et PDG de Stereologic.
Pour ce faire, il faut capturer non seulement les processus, mais aussi les interactions entre les personnes impliquées dans l’exécution des processus, selon Sofia Passova. Le process mining en soi est superficiel, car la manière dont les processus sont interconnectés peut être mal interprétée et l’aspect humain peut être négligé.
L’approche de Stereologic consiste à surveiller et à enregistrer ce que font les métiers, puis à générer un modèle facile à lire qui représente la réalité d’un processus, explique la PDG. L’objectif est de fournir des informations dont les collaborateurs – plutôt que les data scientists – peuvent tirer parti, par exemple en découvrant les inefficacités ou en aidant à déterminer les processus les mieux adaptés à l’automatisation.
« Nous essayons non seulement de comprendre les processus, mais aussi de les rendre suffisamment complets pour les métiers, et non pour les spécialistes comme les data analysts », assure Sofia Passova. « Vous pouvez le lire comme une histoire pour enfants ».
Mavim est un autre éditeur indépendant qui adopte une approche plus holistique de l’exploration des processus. Basé à Amsterdam, Mavim a débuté il y a environ 30 ans dans la documentation des processus et la collaboration. La société a évolué pour intégrer l’exploration et la modélisation des processus. Ces deux approches permettent la création d’un jumeau numérique – ou d’une représentation numérique – de l’ensemble d’une organisation, des processus à la structure organisationnelle en passant par la conformité et les contrôles, selon Leo Salomons, responsable du value engineering aux États-Unis chez Mavim.
Ce jumeau numérique peut aider les organisations à planifier des projets de transformation, qu’il s’agisse de projets techniques, comme la migration d’un ERP vers le cloud, ou de projets commerciaux, comme une fusion-acquisition ou un changement de stratégie.
« Vous pouvez déterminer l’impact de ces changements sur l’organisation ou modéliser les implications de ces changements », avance-t-il.
Contrairement aux éditeurs absorbés par leurs pairs, Mavim joue de son indépendance pour se rendre plus flexible et cibler des industries spécifiques, en particulier celles qui ont des exigences réglementaires, déclare Leo Salomons.
Par exemple, l’industrie pharmaceutique a été confrontée à une augmentation de la demande ces deux dernières années. L’apparition de la COVID-19 a fait émerger de nouvelles exigences réglementaires. Il a fallu développer des vaccins et des traitements à un rythme impossible à tenir auparavant. Tout cela a entraîné une révision en profondeur des processus.
« Lorsque nous identifions des opportunités de ce type, nous avons la capacité – grâce à notre petite taille et à notre souplesse – de pivoter et de répondre à ce besoin sur le marché », vante Leo Salomons.
Une razzia sur le marché du process mining
Si les grandes entreprises comme SAP, Microsoft et Pegasystems ont fait parler d’elles avec leurs acquisitions dans le domaine du process mining, il ne faut pas oublier de mentionner d’autres rachats un peu plus confidentiels.
En janvier 2022, iGrafx, un éditeur de logiciels de modélisation des processus basé à Tualatin, dans l’Oregon, a acquis Logpickr, une startup rennaise, et donc française, spécialisée dans l’extraction de processus.
L’ajout des fonctionnalités de Logpickr a amélioré les capacités d’iGrafx à fournir un modèle de processus précis, tout en le rendant disponible pour un plus grand nombre d’utilisateurs, selon Alexandre Wentzo, directeur de la stratégie d’iGrafx.
Il y a quelques années encore, les entreprises devaient faire appel à des experts pour mener à bien des projets laborieux visant à documenter les processus et à comprendre le fonctionnement des entreprises, explique-t-il. Cependant, ces efforts ne portaient généralement que sur les processus métier standardisés, sans tenir compte des exceptions ou des événements ponctuels.
« De toute évidence, l’exploitation des données peut vous donner une vision très précise de l’entreprise, car il ne s’agit pas de ce que les gens disent, mais de ce qui se produit », déclare Alexandre Wentzo. « C’est d’autant plus important pour les grandes organisations avec beaucoup de systèmes fragmentés et des billions de lignes d’événements. Comment pouvez-vous analyser cela en tant qu’être humain ? »
« Celonis et Signavio sont comme les Lamborghini du monde du process mining ; ils offrent de hautes performances, mais sont difficiles à conduire et coûteux à maintenir », souligne Alexandre Wentzo. « Logpickr est comparable à une Tesla, car il est facile à démarrer et à utiliser, et les données peuvent être utilisées par n’importe qui, pas seulement par des experts data ou métiers ».
UiPath, spécialiste de la RPA et de l’automatisation des tâches, a ajouté l’extraction de processus à son portfolio à travers l’acquisition de ProcessGold en 2019.
Le process mining est essentiel pour préparer le terrain à l’automatisation robotisée des processus, dont le rôle est d’éliminer les tâches répétitives de bas niveau, avance Palak Kadakia, vice-président de la gestion des produits chez UiPath.
« L’exploration des processus est question de découverte : il s’agit d’identifier les goulets d’étranglement et les lacunes », explique-t-elle. « Il s’agit de découvrir les processus qui se prêtent à l’automatisation et ceux qui ne s’y prêtent pas, en prenant en compte les collaborateurs et leur influence quotidienne sur les procédures en place ».
Si l’exploration est précieuse, la véritable valeur réside dans ce qu’une entreprise fait des informations qu’elle trouve, ajoute-t-elle. Selon la dirigeante, UiPath peut contribuer à la transparence des processus métier critiques et à l’identification des domaines mûrs pour l’automatisation.
« Cela peut aider à déplacer la charge de travail ou à en automatiser certaines parties, de sorte que les utilisateurs peuvent désormais faire un travail plus intéressant ou des tâches à haute valeur ajoutée », indique Palak Kadakia.
Turbulences ou clap de fin ?
S’il reste encore quelques petits éditeurs indépendants, le marché du process mining a vu se multiplier les fusions et acquisitions ces dernières années. Ce serait les signes annonciateurs de la fin d’un marché, selon Mark McGregor, un consultant indépendant qui a accompagné plusieurs spécialistes du process mining, dont Signavio et iGrafx.
Ceux qui ont repris des éditeurs de solutions de process mining l’ont fait en grande partie pour perfectionner leurs offres, rappelle Mark McGregor. « Quand Appian a acheté Lana Labs, par exemple, c’était parce qu’Appian a identifié que certains clients cherchaient des moyens pour améliorer leurs applications développées au sein d’Appian ».
« C’est la même chose avec Pegasystems avec l’acquisition d’Everflow », considère-t-il. « Ils [les dirigeants de Pega] n’ont aucun intérêt à commercialiser un outil de process mining généraliste – ils reconnaissent simplement que [les clients de Pegasystems] ont besoin d’une bonne surveillance des processus ».
Selon le consultant, certains des plus petits acteurs de ce marché ont des atouts indéniables. Toutefois, ils n’ont pour l’instant pas prouvé leur efficacité auprès des entreprises. Il se pourrait que bon nombre de ces outils soient à l’avenir intégrés dans d’autres plateformes, car des fournisseurs comme ServiceNow, Salesforce et Oracle pourraient chercher à se doter de capacités de process mining.
« Il est probable qu’il reste quelques survivants [du process mining] après une phase de turbulences. Mais je ne pense pas que le marché disparaîtra complètement », analyse Mark McGregor. « Mais ce ne sera plus un marché pertinent que tout le monde suit et couvre ».
Reetika FlemingAnalyste, HFS Research
Reetika Fleming, responsable de la recherche chez HFS Research se range à l’avis de Mark McGregor. Elle affirme que le marché survivra, mais ne sera plus le même.
« Actuellement, cette nouvelle catégorie naissante qui suscite de nombreuses demandes est à l’ère du Far West », déclare Reetika Fleming. « Si vous avez un produit décent, c’est la barrière d’entrée sur le marché. Si vous avez des contacts avec de nouveaux clients, vous pouvez faire des POC, donc il y a beaucoup de nouveaux entrants. »
Le marché connaît cependant différentes vagues de maturité. Certains clients commencent tout juste leur parcours d’exploration des processus. D’autres ont déjà évalué leurs procédures et passent à des cas d’usage plus avancés, remarque-t-elle.
« Les utilisateurs ont accompli les tâches les plus basiques. Maintenant, ils veulent construire des jumeaux numériques pour prédire des scénarios et évaluer des probabilités à l’aune des données historiques. Ou alors, ils tentent de connecter tous leurs flux de données dans l’entreprise à travers les systèmes », précise-t-elle.
En fin de compte, les fournisseurs vont vraisemblablement développer leurs solutions de process mining pour répondre au niveau de maturité du marché, poursuit l’analyste.
Par exemple, si Reetika Fleming salue les capacités avancées de Celonis, elle prévient que les clients et les partenaires ont besoin d’une bonne préparation et de ressources considérables pour que cela fonctionne.
« Vous devez organiser tout le reste pour envelopper ces systèmes et disposer des personnes capables de prendre en charge un tel projet », informe Reetika Fleming. « Parfois, quand le cas d’usage est moins complexe, cela revient à moins cher d’adopter une autre solution que d’essayer [d’implémenter Celonis], sans parler de la maintenance et du support. »
En ce sens, les fournisseurs continueront de racheter les startups spécialisées dans le process mining parce qu’ils veulent inclure ces fonctionnalités dans leurs piles technologiques et qu’il est beaucoup plus facile d’acheter que de construire.
« Si vous essayez de créer un outil de process mining à partir de zéro, mais que vous avez les moyens de vous en procurer un, alors choisissez la deuxième option », juge-t-elle. « Automation Anywhere a lutté si longtemps pour construire son propre outil interne de process intelligence, qu’il a abandonné, puis a acheté FortressIQ. Les responsables ont donc appris la leçon : cela n’a rien de facile. »