Frappé par la crise, Nortel s'est éteint à 113 ans
L'équipementier canadien, héritier des découvertes de Graham Bell, a déposé le bilan ce matin après 113 ans d'existence. Gloire de l'Internet, Nortel ne s'est jamais remis de l'effondrement de la première bulle internet et luttait depuis 2001 pour sa survie. La dernière crise financière aura finalement eu raison de la compagnie. Désormais en redressement judiciaire, la firme fait face à un futur incertain entre restructuration et démantèlement.
Le dépôt de bilan ce mercredi 14 janvier d'un des pionniers des télécommunications, l'équipementier canadien Nortel Networks constitue le dernier épisode d'une descente aux enfers commencée avec l'explosion de la bulle internet en 2001, un événement dont Nortel ne s'est jamais vraiment remis.
Un pionnier des télécoms
La firme a pourtant un glorieux passé. Née en 1895 au Canada sous le nom Northern Electric and Manufacturing, lorsque sa maison mère la compagnie locale de téléphone, Bell Telephone Company of Canada, décide de commercialiser ses commutateurs téléphoniques à des tiers (Graham Bell a inventé le téléphone en 1874 et ses brevets sont détenus par Bell Canada et par son homologue US, The National Bell Telephone Company). Après avoir difficilement survécu à la crise de 1929 (Northern licenciera 66% de ses effectifs), la firme devient l'un des foyers de la R&D électronique canadienne et se lance dans des marchés aussi divers que les communications, la télévision...
Ses premiers commutateurs numériques connaissent le succès dans le courant des années 70 et la firme est rebaptisée Northern Telecom en 1976. En 1979, le DMS100, un commutateur numérique capable de gérer 100.000 fait le succès mondial de la firme. Dix ans plus tard, Northern réalise 5 Md$ de CA et signe une alliance avec Matra Communications.
En 1995, pour fêter son 100e anniversaire, Northern se rebaptise Nortel et se prépare à faire face au décollage de l'Internet avec ses équipements de transport et de commutation optique. En 1999, la firme estime que 75% du trafic internet passe par ses équipements de transport. Une période de frénésie d'investissement débute qui ne s'arrêtera qu'avec l'explosion de la bulle
Sous la direction de John A. Roth, Nortel se lance dans des acquisitions à tout va. Pour la seule année 2000, Nortel dépense près de 20 Md$ pour racheter 11 sociétés, dont Alteon, Qtera et Clarify. La firme compte alors plus de 95000 salariés et réalise un CA de près de 28 Md$. À 105 ans, Nortel est alors à son sommet.
Victime de la bulle internet
2001 s'avère calamiteux avec une chute du CA à 17,5 Md$ et le début d'une course aux économies qui n'aura quasiment plus de cesse. Après une première vague de licenciements, Roth, « homme d'affaire de l'année au Canada en 2000 » est sacrifié en en octobre 2001 et remplacé par Frank Dunn qui commence son service par 10000 suppressions d'emplois supplémentaires. Nortel termine l'année 2001 sur une perte de 24 Md$ et avec à peine 45 000 salariés. 2002 voit la dette de la firme dégradée au rang d'obligation pourrie et les suppressions d'emploi se poursuivre. Le CA n'est plus que de 10,5 Md$ et les pertes toujours de 3,5 Md$. 10000 suppressions d'emplois additionnelles ramènent les effectifs à 35000. Pour la première fois, l'action de la firme repasse sous la barre des 1$ et la société se voit menacée de délistage.
Une lente agonie marquée par les scandales financiers
2003 voit la firme renouer avec les profits (331 M$) et le chiffre d'affaire se stabiliser. Mais les profits sont factices. Les dirigeants de Nortel ont manipulé leurs comptes et en mars 2004, la firme se voit contrainte de se lancer dans une vaste opération de reconstruction de sa comptabilité. Dunn et une large partie du management font les frais du nettoyage et Nortel replonge dans la crise. En août 2004, Nortel décide de supprimer 10% de ses effectifs.
En janvier 2005, Nortel termine enfin le nettoyage de ses comptes. Octobre voit la nomination de Mike Zafirovski, l'ex COO de Motorola au poste de CEO. Nortel annonce avoir mis de côté 2,5 Md$ pour régler à l'amiable la poursuite de groupe lancée aux Etats-Unis dans le cadre de la manipulation de ses comptes. 2006 débute sur un nouveau cauchemar quand Nortel redécouvre des erreurs dans sa comptabilité pour 2003, 2004 et 2005 et se voit obligé de corriger l'ensemble de ses publications financières. Zafirovski annonce 1100 suppressions d'emplois supplémentaires et décide de céder son activité UMTS à Alcatel.
Février 2007 voit la firme supprimer encore 2900 emplois ramenant les effectifs à un peu moins de 31 000 salariés. Le chiffre d'affaires se stabilise aux environs de 11 Md$, mais les pertes restent importantes, à 1Md$. 2008 ne sera pas meilleur. Après des ventes en hausse de 8% au premier semestre mais des pertes en hausse de 80% à de 250 M$, le troisième trimestre est calamiteux. La firme affiche ainsi un CA en recul de 15% à 2,3 Md$ et une perte nette de 3,4 Md$. La trésorerie se dégrade notamment de façon affolante avec un recul de 1,2 Md$ à 2,3 Md$.
La crise financière a poussé nortel au dépôt de bilan
Renouant avec la gestion de crise, Nortel annonce la suppression de 1300 emplois, un gel général des salaires et l'arrêt de toute nouvelle embauche. La firme annonce aussi la suppression du versement du dividende sur ses actions privilégiées. Objectif des premières mesures : réduire de 400 M$ les coûts de la société; et de la seconde : préserver la trésorerie nette, qui n'est plus que de 2,3 Md$. Officiellement Nortel espère toujours se séparer de sa division Ethernet pour renflouer ses comptes. Mais avec une conjoncture économique mondiale en pleine dégradation, le management de l'équipementier sait sans doute déjà qu'il lui faudra recourir à des mesures plus drastiques. Le dernier avertissement avant le dépôt de bilan arrive finalement le 11 décembre, lorsque la société avertit que son action pourrait être délistée du marché boursier new-yorkais : depuis plus d'un mois, le cours de l'action Nortel fait en effet de la brasse coulée sous la barre fatidique d'un dollar.
C'est finalement à la veille d'un remboursement d'emprunt obligataire de 107 M$, que la firme a décidé de déposer son bilan aux Etats-Unis, au Canada et dans plusieurs pays européens, ce 14 janvier 2008, officiellement pour pourvoir réorganiser calmement la firme autour de ses activités rentables. Nortel avait 113 ans.
Un avenir incertain
Si rien ne devrait changer dans l'immédiat pour les clients de la firme, qui poursuit normalement ses opérations, aux Etats-Unis, les analystes sont partagés sur son devenir. Si certains pronostiquent son retour après une n-ième cure d'amaigrissement,comme le laisse entendre Mike Zafirovski dans un message vidéo aux actionnaires, d'autres parient plutôt sur une vente par appartement des meilleurs morceaux de la société, à savoir l'activité de téléphonie d'entreprise, l'activité de transport optique, la division commutation pour réseaux métropolitains ainsi que la division travaillant sur les technologie de réseaux 4G et sa division commutation applicative, issue du rachat d'Alteon. Il faudra sans doute attendre quelques mois afin de savoir si Nortel avait plus d'une vie. Contactée par LeMagIT, la filiale française s'est refusée à tout commentaire.
En savoir plus :
L'annonce du dépôt de bilan par Mike Zafirovski