Plainte de TurboHercules : un élément d'une offensive plus vaste contre les mainframes d'IBM

Un petit éditeur vient d’engager une procédure contre IBM à Bruxelles pour abus de position dominante sur le marché des mainframes. Une procédure qui s’ajoute à celle, engagée en janvier, par T3 Technologies, avec des griefs comparables. Deux initiatives séparées dont les auteurs se retrouvent au sein d’une association ayant engagé une procédure comparable contre IBM, outre Atlantique. Et derrière laquelle se cachent, selon Big Blue, certains de ses concurrents.

Une petite société française, TurboHercules, vient d’engager une procédure contre IBM auprès de la direction générale de la concurrence de la Commission Européenne. Dans un communiqué, TurboHercules indique estimer qu’IBM empêche les entreprises « d’utiliser Hercules – un émulateur mainframe Open Source développé en Europe et maintenu par une communauté bénévole globale depuis 10 ans – pour faire fonctionner leurs applications sur des ordinateurs économiques, autres que des mainframes. » Grosso modo, Hercules s’apparente à une couche d’émulation permettant de faire fonctionner z/OS - l'OS des mainframes IBM - et ses applications sur de simples serveurs x64. Et TurboHercules de reprocher à IBM de limiter, contractuellement, le fonctionnement de z/OS à ses mainframes.

C’est là que le petit éditeur voit, dans l’attitude d’IBM, un abus de position dominante. TurboHercules précise par ailleurs avoir contacté Big Blue pour chercher à obtenir une licence z/OS spécifique autorisant son fonctionnement au-dessus d’Hercules. Une requête à laquelle Roger Bowler, fondateur de TurboHercules et créateur d’Hercules en 1999, se serait vu répondre : « Hercules nécessite la propriété intellectuelle d’IBM, et vous comprendrez que l’on ne saurait raisonnablement demander à IBM une licence de ses systèmes d’exploitation pour des plateformes contrevenantes. » Selon TurboHercules, IBM n’aurait pas détaillé les éléments de propriété intellectuelle concernés.

David contre Goliath…

C’est pour ces raisons, nous a indiqué un porte-parole de TurboHercules, que l’éditeur a décidé d’attaquer IBM devant la Commission Européenne – « et pas simplement l’autorité de la concurrence française car la portée du dossier est plus vaste. » Reste à savoir si TurboHercules aura les reins assez solides pour tenir la distance d’une procédure potentiellement longue et coûteuse – « nous en sommes bien conscients », explique l'éditeur. Cette petite société par actions simplifiée a été fondée à La Défense par Roger Bowler et quelques associés – « français et américains » - en 2009, sur fonds propres, avec un capital de 17 000 euros. Mais TurboHercules est-il vraiment seul dans cette affaire ? L’éditeur français est membre de Computer & Communications Industry Association (CCIA). Au même titre que Microsoft ou encore Oracle. Selon nos confrères de Reuters, le département américain de la justice examine actuellement les accusations d’abus de position dominante sur le marché des mainframes exprimées par la CCIA à l’encontre d’IBM.

Parmi les membres de la CCIA, on trouve également T3 Technologies. Qui a, lui aussi, engagé en son nom propre une procédure contre IBM, en janvier dernier, l’accusant d’abus de position dominante et de concurrence illégale. T3 Technologies construit des compatibles mainframes. Microsoft a investi dans son capital en novembre 2008. Les griefs exposés par T3 sont les mêmes que ceux de TurboHercules : l’interdiction de faire fonctionner z/OS sur d’autres machines que les mainframes IBM.

…ou une offensive plus large ?

Rappelons que c'est précisément pour lutter contre cette pratique que le gouvernement américain avait attaqué IBM dans les années 50, des poursuites qui s'étaient traduites par un accord à l'amiable signé en 1956; lequel avait contraint Big Blue à fournir son OS mainframe à ses concurrents. 

Dans les années 70, cet accord a permis à des concurrents comme Amdahl – chez lequel Paul Gorlinsky, l’un des fondateurs de TurboHercules, déclare avoir passé deux ans au début des années 80 – ou Hitachi de se lancer dans les compatibles mainframes. Et à des sociétés comme T3 ou PSI de tenter l'aventure dans les années 90. Mais la situation s'est compliquée en 2001, avec la levée effective de l'accord conclu avec le DOJ, le ministère américain de la justice. Big Blue a dès lors commencé à restreindre l'accès à z/OS pour les utilisateurs de mainframes compatibles. Dans le cas de PSI, cette logique a été poursuivie à l'extrême : alors que cette petite société commençait à séduire de grands clients (dont Lufthansa), le géant d'Armonk et ses avocats l'ont accusé de violer sa propriété intellectuelle et de ne pas se conformer à l'accord de licence régissant le logiciel. Dans le même temps, Big Blue a refusé de continuer à fournir des licences z/OS à des clients utilisant la plate-forme de PSI. Etranglé, PSI a porté l'affaire devant les tribunaux américains et devant la Commission Européenne. Mais les poursuites se sont éteintes outre Atlantique après qu'IBM ait décidé de racheter la petite société, la faisant taire définitivement. 

La guerre du compatible mainframe relancée ?

TurboHercules, T3 Technologies, Microsoft et la CCIA font en outre l’objet de « remerciements » de la part des administrateurs du forum OpenMainframe.org « pour leur support ayant permis de faire de ce site une réalité ». Un site créé en 2007 – mais sans déposant ouvertement déclaré pour le nom de domaine (caché par un intermédiaire) – et présenté comme le forum d’une « communauté d’individus et d’entreprises partageant un intérêt commun pour la promotion d’un marché équitable, ouvert et diversifié pour les solutions mainframe. » Récemment, IBM a accusé Microsoft d’avoir financé une étude commanditée par OpenMainframe.org et réalisée par le think tank techno Indian Council for Research on International Economic Relations (ICRIER) et Indicus Analytics, poussant au déploiement de systèmes autres que ceux d’IBM sur les mainframes de ce dernier.

Contacté par téléphone, IBM France n’a pas souhaité commenter l’initiative de TurboHercules. Mais Big Blue a tout de même fait remarquer à nos confrères de Reuters que TurboHercules « est membre d’organisations financées par des rivaux tels que Microsoft pour attaquer le mainframe. »

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