Guangdong, Chine : l'horreur quotidienne de l’atelier IT du monde
Dans un rapport sans concession, plusieurs ONG épinglent les « effroyables » conditions de travail des employés des principaux sous-traitants de l’industrie informatique. Ca se passe en Chine, dans la province du Guangdong, l’atelier IT du monde.
Intitulé « la face sombre du cyber-espace », le rapport du projet ProcureITfair ne dresse pas un tableau rutilant des ateliers de l’informatique mondiale. Dès l’introduction, le cadre est planté : « l’industrie des équipements IT jouit d’une croissance très rapide et d’une image moderne et propre. Mais en fait, les conditions écologiques et de travail dans cette industrie sont effroyables. »
ProcureITfair est un projet porté par plusieurs ONG européennes et emmené par l’allemande Weed (World Economy, Ecology and Development). Avec l’aide du Sacom (Students and Scholars Against Corporate Misbehavior) chinois, il s’est penché, entre juin et décembre 2008, sur les conditions de production des équipements IT qui, de Chine, partent dans les salons et les bureaux du monde entier.
Le rapport concerne principalement Compeq Technology et Excelsior Electronics. Le premier fournit notamment Dell et Lenovo. Le second fournit directement Fujitsu-Siemens et, indirectement, Dell. Mais Excelsior produit aussi des baladeurs MP3 pour Sony. Selon des travailleurs sondés sur place, Excelsior produirait aussi des iPod.
Une population fragile
Selon le rapport, les populations employées par les ateliers IT du Guangdong sont particulièrement vulnérables. Il s’agit largement de migrants – un tiers des 130 millions de travailleurs migrants chinois travaillent dans la province du Guangdong –, célibataires, de sexe féminin, et âgés de 16 à 25 ans. Ces travailleurs peuvent s’organiser en syndicats, mais uniquement dans le cadre de l’Acftu, une organisation gouvernementale : « les syndicats de travailleurs sont bien plus intéressés à régler les conflits et à reprendre la production normale qu’à représenter effectivement les travailleurs », relèvent les auteurs. Quant au pouvoir judiciaire local, « il manque d’autonomie et d’indépendance pour faire appliquer la loi. » Le tout alors que « Fujitsu-Siemens, Dell et Lenovo font pression sur Excelsior et Compeq pour réduire les délais et les coûts », une pression entrainant « des violations de la loi, des codes de conduite internes et des conventions internationales sur le travail. »
Des abus multiples
Chez Excelsior Electronics, le Sacom a relevé, sur la base de témoignages, de nombreuses infractions : salariés qui ne reçoivent pas de copie de leur contrat de travail ; qui n’ont pas le droit de démissionner lorsque la production est à son maximum… Le temps de travail mensuel pourrait atteindre 370 heures, « plus du double du temps normal de travail, 174 heures, soit 196 heures supplémentaires. » Et de pointer également des salaires inférieurs au minimum légal ou encore l’absence d’assurance maladie ou contre les accidents du travail.
La situation ne semble guère meilleure chez Compeq. Le rapport fait notamment état de salariés en période d’essai payés sous le minimum légal, et d’heures supplémentaires sous-payées – dont 4 heures obligatoires par jour, après le dîner. Sans compter un paiement des salaires très retardé, le 20 du mois suivant le mois travaillé… Salaires qui peuvent être amputés d’amendes en cas d’infraction au règlement intérieur.
Des conditions sanitaires discutables
Les salariés d’Excelsior Electronics interrogés par le Sacom font état d’une ventilation insuffisante de leurs lieux de travail. Les odeurs de solvants peinent notamment à se dissiper là où sont gérés les circuits imprimés. Certains salariés affirment voir le bout de leurs doigts « blanchis » en fin de journée ; d’autres souffriraient de problèmes de peau sérieux. Les conditions d’hygiène des dortoirs – 14 adultes par chambre - et de la cantine seraient déplorables, avec « des cheveux et des insectes dans les légumes », notamment.
Chez Compeq, ce sont les positions de travail – avec des chaises sans dossier, notamment – qui sont mises à l’index, de même que des durées de travail qui conduisent à une perte d’acuité visuelle, et l’exposition à des agents chimiques dangereux : sulfate de cuivre, acide sulfurique, acide nitrique, peintures, solvants, etc.
Un appel aux grands constructeurs
Avec ce rapport, le projet ProcureITfair veut « informer les acheteurs individuels et institutionnels afin de leur permettre d’adopter des pratiques d’achat responsables, respectueuses des standards environnementaux et des conditions de travail. » Et de viser tout particulièrement des organismes publics. Surtout, les associations partenaires du programme lancent un appel aux grands constructeurs informatiques, leur demandant de surveiller leurs sous-traitants et de veiller au respect des réglementations internationales.
Dans un e-mail adressé à la rédaction du MagIT en réponse à nos questions, Lenovo indique avoir « déjà demandé à ses fournisseurs de second rang [dont Compeq, NDLR] de se conformer au code de conduite de l’industrie de l’électronique [EICC], de procéder à des auto-évaluations internes et d’accepter des audits indépendants, à leurs frais. Notre équipe de gestion de la chaine logistique demande à Compeq de procéder dès que possible à un audit sur site. » En interne, Lenovo assure avoir déjà fait auditer ses unités de production en Chine et en Inde : « des possibilités d’amélioration ont été constatées ; nous avons rapidement agi dans ce sens », assure le constructeur qui précise par ailleurs prévoir des audits dans ses unités de production en Europe de l’Est et au Mexique.
Dell, Fujitsu-Siemens, Compeq et Exelsior ont également été sollicités par la rédaction du MagIT. Nous attendons encore leur réaction et nous vous en tiendrons informés.
[Mise à jour: retrouvez ici la réaction de Fujitsu-Siemens]