TMA étendue : le nouveau gisement d'économies des DSI français
Les anglo-saxons parlent d'Application Management. Les Français de gestion du patrimoine applicatif. Il s'agit de confier de grands lots applicatifs, évolutions y compris, à un prestataire. Une façon de mettre fin aux nombreuses régies et à la multiplication des prestataires. Même si les économies agitées par les prestataires pour convaincre les donneurs d'ordre ne sont pas aussi faciles à atteindre qu'il n'y paraît.
La crise, opportunité pour l'externalisation ? Clairement, ce type d'opérations peut être vu par les directions générales comme un levier pour réduire les coûts et par les DSI comme un moyen de réduire le nombre de prestataires. Si beaucoup a été fait dans l'infrastructure - avec de nombreuses décisions remontant à la précédente crise, entre 2001 et 2004 -, l'applicatif reste un domaine largement moins exploré. "On demande aux DSI des économies.
Or beaucoup de choses a déjà été fait dans la production. On remonte donc vers les études et le développement, où les donneurs d'ordre ont encore recours à beaucoup de régies", confirme Catherine Le Louarn, directrice générale de KLC, un cabinet membre du groupe Solucom qui conseille les DSI en matière de choix de prestataires. Une vision que confirme Frédéric Giron, directeur des études au cabinet d'analyse Pierre Audoin Consultants (PAC) : "la tendance à la forfaitisation des activités actuellement gérées en régie devrait s'accélérer.
L'objectif premier des DSI en 2009 étant de réduire leurs coûts, ils cherchent à massifier de façon intelligente leurs prestations en matière d'applicatif en identifiant un ou plusieurs grands lots et des prestataires capables de les prendre en charge."
Rationalisation du portefeuille applicatif, mise en place d'un modèle global de fourniture de services, choix de solutions standardisées et migration des applicatifs legacy. Autant de chantiers cités par Gianluca Tramacere, directeur de recherche au Gartner, qui vont au-delà d'une simple TMA (tierce maintenance applicative), consistant à confier à un prestataire la gestion du maintien en condition opérationnelle d'un unique applicatif. "La TMA restait centrée autour d'un applicatif. Là, on passe au niveau supérieur en définissant des lots d'applicatifs. Ce qui va dans le sens d'une réduction du nombre de prestataires", explique Catherine Le Louarn.
Michelin et SFR en éclaireurs
Comme l'ont montré les contrats signés par de grands comptes comme Michelin, SFR ou ArcelorMittal. Dans les deux premiers cas - les contrats les plus significatifs, chacun avoisinant les 100 millions d'euros par an -, le portefeuille applicatif a été découpé par grands domaines fonctionnels. "Toute la problématique réside dans ce découpage, dans la définition de la prestation et des lots", ajoute la dirigeante de KLC, tout en précisant que plusieurs modèles cohabitent.
Certaines entreprises regroupent tout un patrimoine applicatif, centré sur un domaine vertical, et confient la maintenance, l'évolution et même les projets à un donneur d'ordre (les anglo-saxons parlent d'Application Management, soit la gestion du patrimoine applicatif). Mais d'autres conservent en interne la conception et l'intégration, pour externaliser uniquement la maintenance. Une vision plus proche de la TMA stricto sensu. "En-deçà de 100 homme.an (100 équivalents temps plein sur un an), il n'y aucun intérêt à répartir la charge entre plusieurs prestataires, précise Catherine Le Louarn. Au-delà, retenir au moins deux prestataires qui vont se challenger - permettant au donneur d'ordre de conserver un levier sur les prix - devient judicieux".
Au final, un chantier colossal pour les DSI, tant beaucoup reste à faire en la matière dans les entreprises françaises. Jean-Benoît Chauveau, un ancien de Gartner parti monter le cabinet Tiefree, spécialisé dans le conseil en "sourcing" pour les grands comptes, note d'ailleurs : "Avec la mise en place de centres de services, les donneurs d'ordre recherchent tant des baisses de coûts unitaires qu'une amélioration des processus. Les grandes banques entretiennent par exemple des armées de prestataires en régie, donc sur la base des salaires franciliens. La mise en place d'un mode séparant front-office et back-office, avec des centres de services en province ou offshore, est donc attrayante. Le marché de l'outsourcing applicatif continue d'ailleurs à être actif".
La porte d'entrée en France pour les SSII indiennes
Les perspectives des analystes sur le marché englobant l'ensemble de ces prestations sont d'ailleurs bien orientées. En septembre dernier, Gartner estimait que le marché de l'outsourcing applicatif progresserait de 6,2 % en France en 2009, pour atteindre 1,159 milliard d'euros. En Europe, la progression de ce segment est attendue à 5,6 %, selon le même cabinet d'études. Selon PAC, en France, on part même plutôt d'une base de croissance de 10 % par an. "Et le ralentissement devrait être très faible en 2009. Pour l'instant l'activité commerciale n'a pas l'air de flancher", explique Frédéric Giron.
Un point que confirme Francis Capdepuy, directeur du conseil de Compass Management Consulting, qui dit travailler en ce moment sur trois ou quatre dossiers saillants en matière de gestion du patrimoine applicatif. Selon le cabinet NelsonHall, qui étudie les contrats signés rendus publics, le poids de l'outsourcing applicatif s'est accru dans le marché global de l'externalisation (schéma ci-dessus). Et c'est la seule catégorie à avoir vu la taille moyenne d'un "deal" progresser entre 2007 et 2008, particulièrement en Europe (voir ci-dessous).
Si la croissance sera donc vraisemblablement au rendez-vous, la montée en puissance de l'offshore sur ce segment de marché a un effet déflationniste, amputant l'activité. En septembre dernier, PAC calculait que, en raison des délocalisations dans les pays low cost, la croissance devrait ainsi passer de 11 % en 2007 à 8,8 % en 2011.
En savoir plus : lire la tribune de Dominique Raviart (NelsonHall)
TMA étendue : le nouveau gisement d'économies des DSI français
Car, sans conteste, c'est bien ce segment de marché qui fait figure de porte d'entrée privilégie pour des prestataires indiens à qui le marché français semble résister. Selon une récente étude de PAC, la TMA pèse près de 60 % des prestations offshore commandées par des comptes hexagonaux. D'ailleurs, Wipro avait remporté deux lots du contrat Michelin. Et une autre SSII du sous-continent, Infosys, ainsi que le même Wipro ont été sélectionnés par SFR. "Certains prestataires indiens, comme Infosys, viennent de l'intégration et visent à transformer ces contrats en TMA : c'est un de leurs arguments de vente clefs. D'autres sont quasi-exclusivement sur des TMA, comme TCS. Essentiellement autour d'applications bien maîtrisées comme SAP, Siebel ou Oracle Applications", explique Frédéric Giron.
Catastrophes en gestation
"Les prestataires indiens sont très présents, très actifs et extrêmement attractifs au plan commercial, commente Francis Capdepuy, de Compass. Ils ont une façon attractive de présenter le service, de mettre en avant les processus mis en place pour assurer la qualité et affichent une bonne couverture technologique sur l'applicatif. Mais attention aux coûts faciaux qu'ils revendiquent. Car, pour contrôler leurs activités, un donneur d'ordre aura besoin d'aligner un certain nombre de gens en interne." Attention également aux transitions trop brutales, préviennent les cabinets de conseil, alors que le marché bruisse de rumeurs d'échecs de certains contrats misant sur une délocalisation d'ampleur des activités. "Je ne conseillerais pas à un donneur d'ordre fonctionnant en mode régie de se lancer tout de suite dans l'offshore de façon aggressive. Il cumulerait deux difficultés : le besoin de gérer des équipes travaillant à l'extérieur des murs de son entreprise et les différences culturelles", confirme Jean-Benoît Chauveau.
Pour Frédéric Giron, plusieurs facteurs sont à considérer avant de tenter l'expérience de l'offshore. "Le nombre d'interfaces avec le reste du SI, la criticité des applications concernées, le besoin de refonte de processus, la présence d'un environnement particulier ou le contexte social de l'entreprise sont autant de points qui, notamment s'ils sont conjugués, ne plaident pas pour une éligibilité à l'offshore". Le besoin de transférer du personnel constitue également un facteur de blocage avec les SSII du sous-continent.
Autant d'appels à la prudence qui pourraient bien ne pas être entendus. Car, comme lors de la crise qui avait suivi l'explosion de la bulle Internet, grande est la tentation de n'aborder le dossier de la rationalisation de l'applicatif que sous l'angle des coûts. "Le risque, c'est que les entreprises se focalisent uniquement sur les coûts, confirme Gianluca Tramacere, directeur de recherche au Gartner. Ce serait particulièrement dangereux car les contrats d'outsourcing - notamment dans la sphère applicative - doivent être regardés sous bien d'autres aspects : qualité des équipes, temps de mise en place, améliorations opérationnelles, montée en charge, expertise technique, etc. En réalité, 2009 a tout le potentiel pour devenir une grande année pour les contrats d'outsourcing ratés. Les conséquences de ces erreurs pourraient apparaître entre 2010 et 2012, avec de nombreuses renégociations de contrats."
HCL : "les approches progressives ne marchent pas"
Bien sûr, l'un des objectifs de ce type d'opérations réside dans la réduction des coûts. SFR, qui s'est ainsi engagé dans un vaste programme, vise par exemple à diminuer de 30 % les coûts de gestion de son parc applicatif en trois ans. "Dans le meilleur des cas, on aboutit à ce gain de 30 %. Mais il s'agit d'une asymptote qu'on n'atteint qu'avec le temps", précise Jean-Benoît Chauveau. "Idéalement, les donneurs d'ordre doivent respecter un cheminement qui va de la régie, à la prestation au forfait, au centre de services en France puis, éventuellement, à l'offshore, confirme Frédéric Giron.
C'est le passage au centre de services qui représente le saut le plus important. Au fur et à mesure, les coûts baissent bien sûr, mais la maturité nécessaire pour passer d'une étape à l'autre ne s'acquiert pas du jour au lendemain." Dès que la maintenance est assurée depuis un centre de services, les processus doivent en effet être entièrement repensés. "Cette transition peut aussi faire apparaître des lacunes dans les compétences des équipes internes, car ce mode exige plus de rigueur dans la formalisation des cahiers des charges. C'est la raison d'être d'ailleurs de certains programmes CMMI (modèle de développement et de maintenance des applications, ndlr)", explique Jean-Benoît Chauveau.
En savoir plus : lire la tribune de Dominique Raviart (NelsonHall)
Le casse-tête des prix unitaires Si les coûts unitaires - à partir desquels sera calculé le montant total du contrat - sont bien balisés en matière d'infrastructure, il n'en va pas de même dans l'applicatif. "C'est clairement un domaine où le marché se cherche, reconnaît Francis Capdepuy, directeur du conseil de Compass Management Consulting. Deux axes se dégagent : une tentative pour catégoriser les évolutions ou corrections demandées ; et le point de fonction, certainement la moins mauvaise méthode en matière d'évolutions fonctionnelles. Même si tout le monde admet que ce n'est pas la métrique idéale. On applique généralement un paramètre correctif pour tenir compte des différents niveaux de complexité par exemple." Cette méthode consiste à mesurer les fonctions nouvelles ou modifiées du point de vue de l'utilisateur. Pour Jean-Benoît Chauveau, associé-gérant de Tiefree (cabinet spécialisé dans le choix de prestataires), "elle est très standardisée, très utilisée aux Etats-Unis. Pour moi, il s'agit de la méthode la plus sûre. On peut même l'étendre à la maintenance en fixant pour un équivalent temps plein le nombre de points de fonctions maintenus par an." Mais la méthode ne fait pas l'unanimité, Catherine Le Louarn, du cabinet de conseil KLC, la trouve "délicate à mettre en oeuvre". Et prévient les donneurs d'ordre contre les discussions interminables sur ce sujet des coûts unitaires. L'exécution du contrat sera, plus classiquement, associée à un système de pénalités et de primes, en fonction de l'atteinte de niveaux de services (SLA) définis contractuellement. "Nous avons par exemple un niveau minimum à atteindre chaque mois et un niveau attendu à atteindre quatre mois de suite, expliquait récemment Ian Morris de la SSII indienne HCL. Ce sont sur ces deux critères que sont versées les primes et réclamées les pénalités." |
TMA étendue : le nouveau gisement d'économies des DSI français
Privilégier les petits pas donc. Une approche que contestent les SSII indiennes. Lors d'une conférence à Paris, début février, Ian Morris, le responsable des solutions pour la banque HCL, expliquait ainsi : "les approches de type amélioration progressive puis transfert à l'offshore ne fonctionnent pas. Améliorer la gestion de l'applicatif prend en général cinq ans en interne."
Au démarrage, pas des économies... mais un surcoût
Quel que soit le choix du donneur d'ordre - transition douce ou passage rapide au centre de services -, il ne pourra pas s'épargner la phase de transfert de compétences, entre les équipes internes - ou les régies en place - et la SSII choisie. "Souvent, une année est nécessaire pour qu'un prestataire entrant acquiert un niveau de compétences équivalent à celui des équipes internes ou des régies en place", note Jean-Benoît Chauveau. Pas moins. "Le point le plus délicat de ces contrats réside dans le transfert de connaissances, confirme Catherine Le Louarn. Il faut éviter que les personnels qui ont la connaissance du patrimoine ne partent trop vite. D'autant que les difficultés que crée une transition trop brutale n'apparaissent pas tout de suite." Un écueil qu'avait connu par exemple Renault, lors de la signature du contrat de gestion du patrimoine applicatif avec Atos-Origin. Le départ brutal des régies, notamment celles d'Unilog, avait abouti à de sérieuses difficultés. "Dans les contrats, il faut donc prévoir de conserver les régies. Et il faut bien compter six mois", ajoute-t-elle.
Un point qui peut faire grincer des dents côté donneur d'ordre, puisque, durant cette période au moins, les équipes fonctionnent en doublon, multipliant d'autant les coûts. De quoi assombrir la mine d'un DAF qui voyait dans l'outsourcing applicatif un moyen de réduire ses coûts fixes rapidement.
Dans la pratique, Catherine Le Louarn conseille d'en passer par trois étapes. Une première phase où le donneur d'ordre conserve les régies en place et assure la montée en charge du nouveau prestataire. Une seconde phase où ce dernier prend la main, tout en conservant en sous-traitance certaines des régies ayant une bonne connaissance des applicatifs concernés. Et, enfin, l'entrée du contrat dans son régime nominal. "Et, en interne, il faut penser à reconvertir le management intermédiaire, qui doit apprendre à gérer un contrat plutôt que des équipes", note la directrice générale de KLC. Preuve que les gisements d'économies agités par les prestataires sont peut être bien là, mais qu'ils ne se laissent pas exploiter sans effort.
En savoir plus : lire la tribune de Dominique Raviart (NelsonHall)
La fin des "deals" purement financiers ? Comme les autres entreprises, les SSII sont affectées par la crise du crédit. En effet, les prestataires avaient coutume de proposer des réductions significatives aux grands donneurs d'ordre sur la première année (ou les premières années) de contrat. Cette sorte de crédit était ensuite compensée par une augmentation du coût annuel de la prestation. Selon Francis Capdepuy, directeur du conseil de Compass, "les prestataires ont changé leur fusil d'épaule sur les nouveaux contrats en cours de négociation. Ce sont de moins en moins des affaires présentées sous un volet purement financier. Cette mutation entraîne une certaine forme d'incompréhension chez quelques donneurs d'ordre, notamment dans la distribution". Un facteur susceptible de bloquer certaines affaires, confirme le dirigeant, même s'il affecte avant tout les affaires touchant à l'infrastructure. Résultat : selon les chiffres récents du cabinet NelsonHall sur les signatures de contrats d'outsourcing (infogérance et BPO) dans le monde en 2008, le quatrième trimestre de l'année dernière a été particulièrement faible, avec un volume d'affaires près de trois fois inférieur à celui enregistré en 2007 (voir graphique ci-dessous). Un effondrement qui a particulièrement affecté l'Europe. Et NelsonHall prévoit que la crise financière ralentira les signatures de contrats sur le continent au moins pendant tout le premier semestre 2009. Mais certains y voient une forme d'assainissement du marché. "L'ingénierie financière d'un contrat est toujours défavorable au donneur d'ordre. Le prestataire n'est jamais un bon banquier. Je recommande à mes clients de payer le vrai prix de la prestation", explique Jean-Benoît Chauveau, associé-gérant du cabinet de conseil Tiefree. |
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