SAP S/4HANA : des questions subsistent
SAP S/4HANA ouvre certes des portes vers une nouvelle approche en matière de traitements en temps réel des données et des processus, mais, traduire cela dans la réalité ne sera pas simple.
Le lancement d’une version de SAP Business Suite sur HANA, la base de donnés In-Memory du groupe, représente une étape clé dans la stratégie de SAP. Une évolution logique, après plus de 10 années de développement. La re-écriture de 400 millions de lignes de code pour créer la nouvelle suite, S/4HANA, doit aboutir sur un modèle simplifié de données, et surtout allégé - SAP fait la promesse d’une taille 10 fois moins élevée.
L’autre promesse faite par SAP est celle de la simplicité (« Run Simple »), concrétisée par des processus et de l’analytique ultra-rapide, capables d’être délivrés dans le Cloud public, privé ou encore on-premise. Et pourtant, transformer ces promesses et cette proposition de valeur en fonctions et cas d’usage réels est loin d’être simple. Comme l’indique certains analystes, après avoir discuté avec leurs clients, le seul message aujourd’hui évident, est qu’il reste encore beaucoup de travail à réaliser pour SAP.
« Le lancement de S/4HANA, et l’incertitude de la feuille de route, posent plus de questions aux utilisateurs SAP qu’il ne leur donne de réponses », commente Nigel Rayner, vice président de recherche chez Gartner. « Nous recommandons aux clients, existants ou prospects, de faire pression sur SAP pour obtenir davantage d’informations avant de s’engager sur une édition de S/4HANA. »
Invitation à la prudence
Selon lui, les entreprises ne devraient pas se précipiter sur la solution - y compris les early adopters - à moins que SAP donne des réponses à des questions clés sur la disponibilité, le mode de licence, la migration et l’intégration avec les autres solutions du groupe. « La situation évolue car SAP commence à clarifier certaines de ces questions », ajoute-t-il. « Mais Gartner entend encore des déclarations contradictoires. »
En fait, le rapport de Gartner ne mâche pas ses mots. Son titre : SAP S/4HANA est une transformation pour SAP et ses utilisateurs, mais accrochez-vous à votre portefeuille ("SAP S/4HANA Is a Transformational Shift for SAP and Its Users, but Hold on to Your Wallets for Now.")
« La bonne et unique question à poser porte sur le nombre de fonctions de EE6 qui au final doitvent se trouver dans S/4HANA et surtout quand. Cette question, tout le monde se la pose », soutient à son tour Joshua Greenbaum, analyste principal chez Enterprise Applications Consulting. « SAP commence avec les fonctions Finance, puis ajoutera la logistique et d’autres modules par la suite. Ariba et SuccessFactors suivront …dans le courant de l’année prochaine. »
Selon lui, un DSI a besoin de connaître le calendrier des fonctions pour mieux les planifier. « SAP est resté vague sur ce sujet », ajoute-t-il, expliquant que tous les regards seront tournés vers SAPPHIRE NOW en mai, espérant obtenir quelques détails de SAP.
Entre-temps, SAP a toutefois livré quelques informations. Par exemple, dans une FAQ "What Is SAP S/4HANA? 13 Questions Answered (qu'est-ce SAP S/4HANA : 13 réponses), le groupe a expliqué que la mise à disposition de S/4HANA dépendait en fait du choix de déploiement des entreprises - par exemple, la solution est disponible aujourd’hui pour les clients on-premise et SAP Simple Finance propose un système simplifié de gestion financière. Mais SAP a aussi indiqué que la prochaine brique de S/4HANA, SAP Simple Logistics, n’arriverait pas avant la fin de cette année. Ce qui est « disponible maintenant » ne l’est donc pas vraiment.
Des questions autour du mode de licence
Heureusement, Finance et Logistics couvrent la plupart des fonctions de l’ERP, affirme SAP; ce qui signifie que d’ici la fin de l’année, les principales fonctions coeur de S/4HANA seront disponibles pour les déploiements on-premise. SAP a également confirmé qu’il simplifiera son module projet, gestion de la qualité ainsi que les fonctions commerciales et distribution en 2016.
Si vous êtes un client dans l’attente de fonctions spécifiques liées aux ventes et à la distribution, 2016 semble toutefois un peu flou. Mais le reste est également confus. Regardons de plus près l’offre Cloud de SAP. L’éditeur soutient que les clients peuvent « obtenir la solution complète en un instant », lorsqu’une version en mode cloud public sera lancée début 2015 et une version cloud managée au second trimestre.
En surface, le système de coûts de S/4HANA semble relativement simple. SAP explique que S/4HANA est un nouveau produit et n’est donc pas gratuit pour les clients existants de Business Suite -ils paient une offre de maintenance pour leur solution. Les clients, aussi irrités soient-ils, finiront-ils quand même par payer ? Difficile à dire, mais SAP a clarifié la situation autour de deux points : 1 ) S/4HANA est une évolution clé et stratégique de SAP, et 2) SAP a étendu la maintenance de Business Suite jusqu’à au moins 2025. SAP ne force donc pas véritablement la main des clients.
Pourtant, SAP semble bien motivé par cette migration. Les clients qui ont une licence SAP HANA pour SAP Business Suite - leur nombre dépasse les 2 000 , selon SAP - sont éligibles à la mise à jour vers SAP S/4HANA gratuitement, via une offre promotionnelle qui durera jusqu’à la fin du troisième trimestre 2015.
Le modèle de licence pour les nouveaux clients est bien plus simple car il n’y a pas de contrats de maintenance. SAP n’a pas annoncé un type de licence Cloud particulier, seulement que cela se ferait sur un modèle de souscription.
HANA ? Mais quid d’IBM, Microsoft et Oracle
Pour la plupart des clients SAP, acheter S/4HANA ne signifie pas faire table rase du passé. La plupart des grandes entreprises disposent d’environnements IT mixtes, peuplés par exemple de base de données tierces, comme celles d’Oracle, IBM ou Microsoft. Dans le cas d’une migration vers S/4HANA, les DSI auront à calculer comment sortir de leur modèle de licences en place avec les autres fournisseurs de bases de données ou attendre la fin de vie de leur contrat. Inévitablement, des chevauchements budgétaires sont à prévoir, ce qui peut être problématique dans le cadre d’une licence étendue à l’ensemble de l’entreprise, et qui supporte également des solutions non SAP.
« Le problème de la licence est toujours clé. Cela a toujours été compliqué depuis la lancement de HANA », souligne Joshua Greenbaum, « Pour les clients qui ont acheté leur licence Oracle ou DB2 avec SAP avec des accords OEM, c’est un non problème - c’est l’affaire de SAP. Mais si vous achetez du Oracle avec une licence sur site que vous étendez à SAP, ce n’est pas sans problème, car de vraies négociations contractuelles devront être menées…et vous pouvez être certain qu’Oracle ne va pas faciliter les choses. »
Joshua Greenbaum aimerait que SAP ait une discussion avec le marché sur les potentielles économies réalisées sur le long terme avec S/4HANA, confrontées aux coûts de d’arrêt des contrats des autres solutions. Par exemple, « si vous stoppez un contrat Oracle pour migrer vers S/4HANA dans la Cloud, les coûts IT en termes d’infrastructure, les coûts de maintenance et de licences seront tous réduits. Et bonus supplémentaire, vous obtiendrez les gains de rapidité promis par le In-Memory. Ces coûts et ces gains sont quelque chose que, j’espère, SAP mettra un peu plus en avant ».
« SAP aime présenter HANA comme la Killer app. Mais SAP doit reconnaître que toutes les données n’ont pas besoin de ce traitement de première classe », explique Holger Kisker, vice président et directeur de recherche chez Forrester. « Les entreprises devront également implémenter des solutions de gestion des données flexibles qui associent différentes technologies, comme des systèmes de gestion de bases de données, HDFS, et des bases In-Memory, comme HANA. Le In-Memory est important mais il s’agit juste d’une technologie dans une architecture hybride de la donnée. »
De leur côté, certains analystes soutiennent que l’industrie des bases de données s’écarte des traditionnels systèmes de bases de données relationnelles. « Je pense que le temps des SGBDR autonome est révolu », affirme John Appleby , en charge de SAP HANA chez Bluefin Solutions. « Les solutions actuelles sont des plateformes qui comprennent des applications et des données. Comme SAP S/4HANA, Oracle Fusion, Salesforce et Workday. Ils utilisent tous une plateforme intégrée et cela montre que le marché des SGBDR seules se réduit. »
L’intégration et les chemins de migration de S/4HANA
L’un des jokers de SAP sera de montrer comment il peut aider les clients de son ERP en place à migrer vers S/4HANA. Dans une FAQ, par exemple, SAP explique les points d’intégration de base et les chemins de migration. Ainsi, un client d’ERP 6.0 peut migrer depuis n’importe quelle base vers SAP HANA puis déployer le nouveau code pour S/4HANA. Si un client vient de Business Suite sur HAHA, il doit seulement déployer le nouveau code pour S/4HANA.
Au final, la réussite de S/4HANA est loin d’être gravée dans le marbre. « La plupart des fournisseurs d’ERP qui ont essayé de refondre leur système coeur n’ont pas été très performants. « Mais supposons que SAP puisse le faire », commente Franck Scavo, président de Strativa.
« Les clients existants vont montrer une forte résistance au changement. Oracle a déjà rencontré cela avec son programme Apps Unlimited - de nombreux clients ont tout simplement pas souhaité migrer vers Fusion. Oracle a dû promettre de conserver ses investissements dans E-Business Suite, JD Edwards, et Siebel. Autant que je sache, SAP n’a pas promis de supporter éternellement Business Suite, sur autre chose que HANA. Pourtant, à un moment donné, les clients devront migrer. Cela ne passera pas bien avec les clients, surtout s’il y a des nouveaux coûts de licence », explique Franck Scavo. « Si SAP veut convertir des clients en place, il doit rendre cela neutre en terme de coûts. Mais en tant que société cotée, cela sera difficile, les investisseurs ne sont pas des plus patients. »
Tester en amont S/4HANA
Pour Joshua Greenbaum, SAP rate l’occasion de monter la vraie valeur de S/4HANA, via une forme de modèle de bac à sable gratuit. Un client de SAP ECC 6.0 pourrait charger une copie de son système dans S/4HANA pour le voir fonctionner, sur un mode ‘try before you buy ».
« SAP devrait simplement mettre à disposition une zone de test gratuite », soutient-il. « Un essai gratuit - vous prenez les clés de l’auto, vous vous promenez en famille, et nous revenez la semaine d’après. Lorsqu’il s’agit d’une nouvelle expérience de conduite - je sais que ma métaphore n’est pas la meilleure -, c’est ce que veulent les clients. Le bac à sable pourrait permettre à SAP de montrer que HANA n’est pas seulement plus rapide et moins chère, mais également souligner aux yeux de tous sa richesse fonctionnelle en environnement Cloud. »
En dépit de ces multiples questions en suspend autour de S/4HANA, Joshua Greenbaum reste optimiste, tout comme les analystes qui suivent SAP. « S/4HANA est la bonne chose à faire et nous sommes dans une époque de transformation du marché de l’application d’entreprise », souligne John Appleby. « il s’agit d’une opportunité sur plusieurs années. Le support s’arrête en 2025, je prévois une période de transition de 10 ans pour les clients retardataires.