Infogérance : réinternaliser pour gommer les excès du passé
A contre-courant de la tendance générale, certaines organisations choisissent de rapatrier des services qu'elles avaient confiés à des prestataires. Parfois la conséquence d'une infogérance malheureuse, mais plus souvent la volonté de redéfinir le périmètre externalisé.
Un mouvement de fond, débuté voici une trentaine d'années et qui ne se dément pas. Globalement, l'externalisation informatique poursuit sa progression. En 2008, ce type de prestations devrait progresser de 6,4 % en France, selon le cabinet Pierre Audoin Consultants (PAC). Contre 5,9 % en 2007. Et globalement les comptes hexagonaux ont moins recours à l'externalisation IT que leurs voisins, ce qui laisse présager une poursuite de ce type d'opérations : "les prestations externalisées ne représentent en France que 34 % de l'ensemble de la sous-traitance, contre 41 % en moyenne en Europe de l'Ouest, moyenne tirée par la Grande-Bretagne et les pays nordiques", notait PAC à l'occasion de la sortie de son étude annuelle sur le sujet, à la mi-septembre.
Cette tendance ne signifie pas qu'organisation par organisation, l'externalisation progresse de façon linéaire. Pour des raisons de coût, de qualité de service ou de révision du périmètre outsourcé, certains donneurs d'ordre choisissent en effet de réinternaliser tout ou partie des lots qu'ils avaient confiés à un ou des prestataires. "Ce n'est pas un phénomène marginal. J'ai eu à traiter deux cas de la sorte en 2008 par exemple. Et sur l'ensemble du cabinet, c'est plutôt trois ou quatre", explique Lionel Saler, directeur associé de Nexsys (cabinet de conseil en management des SI). "Ces opérations sont plus courantes qu'on ne croit. Il s'agit souvent de reprendre en interne le management des systèmes d'information qu'on avait dans un premier temps confié à un prestataire", confirme Pierre Laigle, un des fondateurs du cabinet KLC, notamment spécialisé dans le conseil en sourcing et aujourd'hui dans le giron du groupe Solucom.
Selon lui, 30 % des contrats changent de main au renouvellement, pour être transféré d'un prestataire A à un prestataire B. Les reprises en bloc sont plus rares. "Il y a quelques cas de reprise totale du contrat. Par exemple des sociétés qui grossissent très vite et deviennent trop grosses pour leur prestataire. Ou des groupes dotés d'une SSII interne, qui réinternalisent l'informatique des sociétés qu'ils rachètent."
Vers l'infogérance de troisième génération
Mais le cas le plus courant concerne la révision - à la baisse - du périmètre confié au prestataire. "Les donneurs d'ordre cherchent souvent à le limiter à des prestations techniques, explique Lionel Saler. Bien sûr, ce cas se présente souvent sur des infogérances globales. Mais c'est vrai aussi sur des contrats plus sélectifs où les organisations n'ont pas forcément pratiqué d'emblée le bon découpage, en misant trop sur leur prestataire." Cas typique : "Quand les compétences métier du département étude ont été confiées à l'extérieur, généralement le donneur d'ordre s'en mord les doigts", note Pierre Laigle. Selon Lionel Saler, les DSI se remusclent alors par des embauches, sauf dans le cas où elles ont gardé des personnels en interne. "C'est un mouvement parfois insidieux au terme duquel l'organisation s'aperçoit qu'elle a presque la capacité à reprendre la prestation en interne".
Pour ces deux spécialistes de la relation client-fournisseur, ce mouvement s'inscrit dans une tendance plus large, une évolution du modèle sur lequel se construit le mécanisme d'externalisation. "Les deux modèles de l'infogérance, le megadeal (consistant à tout confier à un seul prestataire, ndlr) et le lotissement en interne (avec un prestataire pour chaque grande fonction mais dans la continuité de l'exploitation du donneur d'ordre, ndlr), tendent à évoluer vers une nouvelle forme, dite de troisième génération", explique ainsi Pierre Laigle.
"Le facteur prix est décisif"
Dans ce modèle encore un peu théorique mais vers lequel convergent les DSI, le donneur d'ordre supervise plusieurs contrats sur des lots banalisés, suivant des méthodes standardisées (notamment autour d'Itil ou du référentiel eSCM). L'exécution de ces contrats est assuré dans des centres de services appartenant aux prestataires et répartis dans le monde. "De véritables usines mutualisées", dit Pierre Laigle.
((Lire nos articles sur le référentiel eSCM, sur son utilisation au sein de la DSI Courrier de La Poste))
Selon ce dernier, cette solution peut coûter jusqu'à 50 % moins cher silo par silo. Ce qui ne signifie pas qu'on obtienne sur le budget total de la DSI pareille économie. "Gérer les infogérances coûte cher. On estime qu'il faut compter 10 % de la valeur du ou des contrats. Et ce chiffre augmente régulièrement." Car pour piloter tous ces contrats en parallèle, il faut une DSI suffisamment musclée. "La clef de ce modèle réside notamment dans les outils de gestion des services autour du référentiel Itil. Tout le cortège d'outils et de méthodes inclus dans ce référentiel rendent les transferts plus simples entre prestataires", précise le fondateur de KLC.
Plus rarement ces mouvements de retour en interne sont la conséquence de contrats qui ne donnent pas satisfaction (voir encadré). Un besoin impérieux qui n'attend alors pas forcément la fin de contrat. "Le facteur prix est aussi décisif, ajoute Lionel Saler. Souvent les entreprises pensaient faire des économies avec l'infogérance, puis s'aperçoivent qu'elles ne sont pas au rendez-vous. Parfois tout simplement parce que les coûts internes ont été mal évalués : le prestataire ne monte pas assez haut dans la couche métier et l'entreprise se voit contrainte de garder des experts métier, des architectes pour faire fonctionner le contrat. Et quand on fait ses comptes, on s'aperçoit que cette solution coûte plus cher qu'une réinternalisation".
Attention au piège de l'outillage
Le retour en interne constitue évidemment, comme dans le cas d'un transfert entre prestataires, une période critique. "Il faut anticiper cette période d'instabilité, en préparant le transfert de compétences, la documentation et en mettant les inventaires à jour", conseille Lionel Saler. Identifier les ressources clefs chez le prestataire s'avère également essentiel pour passer ce cap. "Et il ne faut pas négliger le rôle de l'outillage. Si le prestataire emploie des solutions du commerce en matière de supervision ou de pilotage, les reprendre en interne aura un coût. Si on a affaire à un gros progiciel ou à un développement spécifique de la SSII, c'est un point difficile. Normalement, ce sujet doit être traité contractuellement. Mais c'est loin d'être toujours le cas." Pas toujours facile de gommer certains excès du passé.
((Lire nos articles sur le référentiel eSCM, sur son utilisation au sein de la DSI Courrier de La Poste))
Témoignage : "l'externalisation nous coûtait trop cher" Notre interlocuteur est le directeur des infrastructures d'une société internationale de restauration. En 2002, son entreprise choisit de confier le coeur de son système d'information (notamment son PGI Oracle) à un gros infogéreur. Un contrat arrêté à la rentrée 2007. "Nous ne sommes pas allés au terme du contrat, explique notre interlocuteur qui préfère garder l'anonymat. La prestation nous coûtait trop cher." Pour le fonctionnement de l'infrastructure en place, la société déboursait 800 000 euros par an. "Et pour chaque changement, il nous fallait payer en plus", raconte-t-il. Or, la direction générale voulait réduire cette enveloppe de moitié, autrement dit rentrer dans un budget de 400 000 euros annuels. Conseillé par les consultants de Nexsys, la DSI explore donc différentes hypothèses. "Mais seule la réinternalisation nous permettait de diviser le budget par deux", explique le responsable. La société décide donc de recréer une équipe pour gérer ses plates-formes AIX et AS/400. "Nous avions conservé certaines compétences en interne, qui avaient basculé vers d'autres postes pendant la durée de l'infogérance". Secondés par des régies et un technicien qui était en formation, ces personnes clés recréent l'ossature qui permet, en octobre 2007, de reprendre en interne les services concernés. "In fine, nous avons gagné notre pari budgétaire et amélioré la qualité de service", explique le directeur des infrastructures, qui avoue ne pas avoir été très satisfait du service fourni par son infogéreur. Il parle "d'une armée mexicaine difficile à faire bouger et de gros ratés techniques". Malgré ce contexte, la transition entre l'infogéreur et les équipes internes s'est déroulé en douceur. Sans activer la clause de sortie. Tout simplement parce que la société disposait d'autres contrats avec la SSII concernée. "Notre ingénieur d'affaires chez ce prestataire a donc organisé les choses pour que la transition se passe en bonne intelligence. La SSII a même nommé un responsable de la transition." |