Inde : ces campus qui défient l'imagination
Officiellement, il ne s’agit pas de faire des démonstrations de puissance. Dans la pratique, sur place, il est difficile de rester de marbre face au gigantisme des campus des SSII indiennes, et à la recherche architecturale dont ils profitent. Visite guidée.
Ravi Shah, vice-président de Tata Consultancy Services (TCS), est formel, alors qu’il présente le site en construction de Siruseri, à Chennai : il n’est pas question de montrer ses muscles face à la concurrence. Pourtant, c’est un peu l’impression que peuvent donner, au visiteur extérieur, ces campus démesurés des SSII indiennes.
Et la démesure ne réside pas uniquement dans la surface aménagée, ni dans la surface de bureaux utile, ni dans le nombre de personnes employées sur place… elle tient aussi à la qualité architecturale des ensembles; certains sont de pures merveilles, tous transpirent d’un soin manifeste de conception au service d’une certaine ambiance de travail.
C’est un détail anecdotique mais il marque l’envie des dirigeants des SSII indiennes de se mesurer aux standards occidentaux : il est interdit de fumer, à peu près partout, sur les campus de ces entreprises. Par là, il faut comprendre que, même en extérieur, il faut, soit se rendre dans un espace dédié, soit sortir du campus pour fumer. Dans les bâtiments, c’est bien sûr impensable.
Chez certaines SSII, on peut trouver des espaces fumeurs improvisés, dans un coin reculé du toit terrasse, où le tabac est toléré, à la limite de la clandestinité. Au fil des pages suivantes, nous allons vous emmener tout d’abord sur le campus de Wipro à Bangalore, puis sur celui d’Infosys, toujours à Bangalore, et enfin sur celui que TCS est en train de construire dans la banlieue de Chennai.
Les deux ruches de Wipro
A Bangalore, Wipro dispose de rien moins que de deux sites d’importance. Le premier est dédié au développement, avec environ 20 000 collaborateurs. Le second abrite les fonctions de support et la direction de l’entreprise.
D’extérieur, les bâtiments sont sans extravagance, un simple mélange efficace de verre et de béton. Côté fonction support, ils sont même un peu tristes à l’intérieur. Mais les deux sites brillent par leur aménagement paysagé, à la végétation luxuriante, avec des espaces aux proportions humaines. Les petits groupes de salariés, en pause, occupés à bavarder, ne sont pas rares, entre deux palmiers ou sous une tonnelle de verdure.
Bien sûr, ici, comme sur la plupart des campus de SSII indiennes, on trouve tout ce qu’il faut pour la journée de travail, de la cafétéria aux salles de sport. Cafétéria dont les prix peuvent d’ailleurs sembler un peu élevés par rapport à ceux pratiqués dans la rue, en ville.
Bienvenue à Infosys City
Chez Infosys, on a affaire à une ville dans la ville. Et la SSII l’assume si bien que son campus de Bangalore, situé dans la banlieue d’Electronic City, jouit du doux nom d’Infosys City. Il faut reconnaître que le site est impressionnant. Impossible d’en connaître la superficie exacte. Mais Infosys déclare plus de 342 000 m2 construits à Bangalore, pour un total de près de 24 000 collaborateurs. Un quart des effectifs de la SSII.
Dans les faits, le site d’Infosys City est si vaste que l’on s’y déplace à vélo, ou bien en voiturette de golf électrique. S’y trouvent des terrains de sport, déserts. Mais aussi un complexe hôtelier privé, avec sa piscine. De quoi recevoir les hôtes de marque et leur épargner les embouteillages matinaux de Bangalore. La piscine jouxte un bâtiment qui rappelle volontairement l’opéra de Sydney : c’est une cantine pour les salariés qui travaillent sur le site.
Une cantine parmi d’autres, qui révèlent un point faible des efforts d’aménagement des SSII indiennes. Conçues comme des espaces de transit, où l’on ne s’attarde guère, les cantines ne sont pas insonorisées et s’avèrent très, très bruyantes. Accessoirement, près de l’entrée d’Infosys City, on trouve un espace vert planté de jeunes arbustes : chacun a été érigé en l’honneur d’une personnalité politique de passage. Le décompte serait trop long.
Siruseri : le projet pharaonique de TCS
Plus de 283 000 m2 de terrain. C’est la surface acquise par TCS à Siruseri, dans la banlieue de Chennai pour son nouveau centre de service. A proximité quasi immédiate, les installations d’Hexaware, mais aussi d’Infosys, Xansa ou encore Cognizant pourraient bien avoir l’air ridicule. Et ce n’est pas qu’une question de taille : c’est aussi une question d’architecture.
A Siruseri, TCS veut abriter quelque 25 000 collaborateurs, au sein, essentiellement, de six modules répartis autour d’une longue dorsale centrale. Au nord doit se dresser une tour de plus de 100 mètres de haut avec, à son sommet, deux plateaux bordés de larges baies vitrées. De quoi accueillir la direction du site ainsi que les hôtes de marque, pour les réunions de travail. Ceux-ci pourront être logés dans un mini-complexe hôtelier privatif. Mais, sur le site, on trouvera aussi une bibliothèque, bâtiment dédié aux conférences, une piscine, etc. Sans compter les groupes électrogènes et les parkings, situés sous les bâtiments.
L’ensemble a été dessiné par l’architecture Calos Ponce de Leon, avec le but de rappeler les temples hindous de l’Inde du Sud. Et il ne manque pas de continuer à poser des questions. Par exemple, Ravi Shah, vice-président de TCS en charge du projet, a reconnu, lors de notre entretien, ne pas connaître le coût d’exploitation de l’ensemble.
Pour des raisons très pratiques, en partie : TCS ne sait pas encore comment assurer l’entretien de ces nouveaux bâtiments. Ni même comment ou par qui faire construire la fameuse tour qui doit dominer l’ensemble. La question des voies d’accès n’est pas non plus réglée. TCS a imaginé quatre voies. Pour l’heure, la SSII ne dispose qu’un unique chemin de terre.
La première partie de ce projet à 200 M$ doit s’achever l’an prochain, avec la mise en production des trois premiers modules et de la dorsale centrale. Deux de ces modules sont déjà opérationnels et accueillent, chacun 3500 collaborateurs. Et si nombre de questions sont en suspens, force est de constater, déjà, des éléments de réussite : la plupart des bureaux profitent directement de l’apport de lumière extérieure ; dans les modules, l’air circule bien, créant des espaces à la fraicheur très agréable pour le climat de Chennai.