Gestion des services : la longue marche des PGI de la DSI

Itil aidant, l'offre de service desk s'est agrégée et a embrassée de nouveaux horizons. Mais si le référentiel de bonnes pratiques fait l'unanimité chez les grands comptes, les suites applicatives intégrant ses principes ne pénètrent que lentement dans les organisations. Malgré les efforts des grands éditeurs, qui ont bâti ces suites à coup de rachats... Alors qu'un concurrent gagne rapidement du terrain : le modèle Saas.

Verre à moitié plein ou verre à moitié vide ? Si elle progresse, la mise en œuvre de véritables suites intégrées permettant de gérer tous les processus de la production - autour des bonnes pratiques du référentiel Itil - reste embryonnaire dans les entreprises. Les optimistes retiendront que la vision impulsée par les grands éditeurs du domaine - HP, CA, IBM ou BMC - commence à trouver sa concrétisation dans les appels d'offre des fournisseurs. Une vision qui a consisté à bâtir des suites applicatives couvrant tous les aspects abordés par le référentiel de bonnes pratiques Itil. Souvent à grand coup de rachats, comme ceux de Peregrine ou Mercury par HP, celui de Remedy par BMC ou encore celui de Niku par CA.

Comme l'explique le cabinet d'études Gartner, "appelées ITSM, ces suites comprennent des modules couvrant les incidents, les problèmes, la gestion des actifs, les configurations, les changements, les connaissances, le self-service et la gestion des SLA. Montrant une extension des produits au-delà des besoins traditionnels du service desk". Gartner estime que ce marché atteignait un milliard de dollars en 2007, avec une croissance annuelle de 14 %.

L'évolution des appels d'offre

Souvent aiguillonnés par un référentiel Itil reposant sur des processus transverses, certaines entreprises s'inscrivent déjà dans cette démarche multi-modules. "Sur des appels d'offre ambitieux, on part sur des programmes avec une vision à trois ans", plaide Cyril Gobrecht, directeur des solutions pour l'Europe du Sud chez BMC. De son côté, le directeur général d'Axios (un éditeur anglais présent depuis très longtemps sur le créneau de l'ITSM), Francis Ronez, note : "on assiste à une meilleure formalisation des appels d'offre, à une maturation du marché."

Même réflexion chez CA, où Sylvie Labaume, architecte de solutions, relève : "Jusqu'à récemment, beaucoup de cahier des charges ciblaient plutôt un processus, avec une approche très produit. On note une évolution sur ce point, avec des réflexions sur les processus au sein des organisations. Y compris avec des extensions au-delà de l'ITSM, comme par exemple une gestion des incidents couplée à la gestion des identités". Un des credos de l'éditeur américain.

"Les bénéfices attendus dans l'intégration des données et des processus entre le service desk et divers modules des suites ITSM poussent les entreprises à se tourner vers un seul fournisseur, car intégrer des modules best-of-breed de plusieurs éditeurs s'avérerait consommateur de temps et de budget", abonde le cabinet Gartner dans son étude de marché de novembre dernier, validant ainsi la démarche des éditeurs. "La preuve de cette tendance réside notamment dans la volonté croissante des donneurs d'ordre d'intégrer les processus de gestion des incidents, des problèmes et des changements", poursuit-il.

"En majorité, toujours des demandes par module"

Si le marché de l'outil intégré frémit, avec quelques contrats dépassant les 500 000 euros, il ne s'agit toutefois pas encore d'une lame de fond. Loin s'en faut. "Même si les entreprises s'inscrivent dans un programme de migration, les déploiements se font brique après brique", explique Michael Mc Closkey, le Pdg de l'éditeur américain FrontRange, qui propose une suite essentiellement destinée aux entreprises de taille moyenne.

Même si quelques appels d'offre globaux donne des raisons d'espérer aux grands éditeurs qui ont bâti leur offre de PGI de la gestion des services informatiques. Ce fut le cas de Total en 2007, un marché remporté par BMC (en association avec BearingPoint et Devoteam). Aujourd'hui, les éditeurs s'affrontent sur un appel d'offres assez large émis par la Banque de France.

"Mais la majorité des appels d'offre concerne toujours des demandes par module. Même si on observe des demandes qui grandissent autour de la CMDB, vue comme le lien entre les applicatifs, confirme Cyril Gobrecht de BMC. Mettre en place ces liens a un sens, mais beaucoup de sociétés continuent à adresser des besoins séparés". Il faut dire que plusieurs facteurs se conjuguent pour freiner les entreprises.

"Pas de ralentissement pour l'instant"

La complexité du projet d'abord. "Il faut une volonté opérationnelle, un engagement du DSI ou du directeur des opérations. Car la mise en place de l'outil signifie des bouleversements dans les méthodes de travail. Enormément de licences dorment au fond des tiroirs du fait de la mauvaise prise en compte de ce facteur", explique ainsi Francis Ronez. Un point confirmé par les autres interlocuteurs : "dans les projets ambitieux de refonte, c'est la partie processus qui freine, les guerres de chapelles", confirme par exemple Cyril Gobrecht.

La crise, ensuite. Même si Michael Mc Closkey, de FrontRange, estime "ne pas assister à un ralentissement de l'activité pour l'instant". Même si le type de démarche que supportent ces outils sont vues comme une façon de diminuer les coûts de la production - en rationalisant ses pratiques -, pendant un temps au moins, la crise de liquidités que traverse l'économie est susceptible de différer les investissements les plus importants. Dont ceux dans le logiciel. D'autant que les grands comptes ont tous un existant en matière de gestion du service desk, un existant que, crise aidant, ils peuvent choisir de faire durer.

Enfin, les produits eux-mêmes ne sont pas exempts de lacunes ou de déficiences susceptibles de freiner les donneurs d'ordre. Si, dans une étude datant de novembre, le cabinet Gartner note une simplification du pricing, c'est uniquement pour ajouter immédiatement que "les éditeurs ont encore des progrès à faire en la matière". "Attention aux coûts cachés sur le licensing, renchérit Francis Ronez. Certains proposent des licences au module, alors que nous proposons l'ensemble du progiciel et des licences à jeton".

Autre point faible, un peu paradoxal au regard de la promesse affichée par les éditeurs : l'intégration déficiente des suites ITSM. Une conséquence directe d'offres construites notamment par rachats. Les DSI ne doivent pas penser que, parce que les modules proviennent d'un seul vendeur, l'intégration est aboutie, facile et pré-configurée, avertit le Gartner. Qui pointe également la faiblesse des outils de reporting fournis par ces suites. "Beaucoup de DSI ont abandonné ces outils et ont du acheter une solution dédiée comme Crystal Reports", écrivent les analystes.

Marché scindé en deux

Des domaines sur lesquels travaillent les éditeurs. Sylvie Labaume (CA) explique ainsi : "Nous travaillons à l'homogénéisation de nos interfaces et à proposer un modèle unifié de services. Mais également à faciliter l'intégration avec des solutions externes. Nous commençons à avoir des solutions qui convergent, qui laissent penser à un outil unique".

Comme le notent les deux principaux cabinets d'étude IT, Forrester et Gartner, cette course aux armements a donné naissance à un marché assez nettement segmenté en deux parties. Avec, côté grands comptes, des offres complètes, ambitieuses. Dans son étude d'avril dernier, le cabinet Forrester cite six fournisseurs majeurs dans cette catégorie : Axios, BMC (avec les solutions de Remedy), CA, HP, IBM et Infra. "Tous possèdent une suite d'outils couvrant le spectre complet des besoins en matière de gestion des services, couplée à des moteurs de workflow et reposant au-dessus d'une architecture CMDB", note le cabinet. Dans son Magic Quadrant (classant les solutions selon leur degré de maturité, voir ci-dessous), Gartner accorde lui une avance à HP, BMC et CA ; IBM et Axios étant distancés (Infra ne figure pas dans le classement).

magicquadrant

En dessous de cette catégorie, un autre marché s'organise, visant des organisations de plus petite taille (des comptes intermédiaires, voir notre enquête sur ce sujet) ou celles ayant des attentes moins importantes en matière de workflow ou de montée en charge. Forrester retient notamment les produits de FrontRange (ITSM), Numara, Service-now.com et Symantec. "Ces produits s'implémentent plus rapidement que ceux des grands éditeurs et, quand ils correspondent aux besoins, peuvent être le meilleur choix pour les grandes organisations", écrit le cabinet d'étude.

L'argument de la simplicité de déploiement

"Les temps de déploiement des suites des quatre grands éditeurs (HP, IBM, CA, BMC) sont beaucoup trop longs. Il faut compter entre 9 et 15 mois pour un déploiement sur ces solutions", estime ainsi Michael Mc Closkey, Pdg de FrontRange. L'éditeur mise sur cette complexité pour séduire des comptes intermédiaires qui n'ont souvent ni les moyens humains, ni les budgets pour se lancer dans ce type de projets. Un argument qu'exploite également Axios, qui joue sur les deux tableaux. L'éditeur anglais revendique un progiciel conçu pour limiter les adaptations à de simples paramétrages, sans développement. Axios avance une facture finale divisée par un facteur 2 par rapport aux solutions des HP, BMC ou CA. "Et une montée de version ne prend pas six mois", glisse Francis Ronez, son directeur général.

L'irrésistible poussée du modèle Saas

C'est un signe : un acteur misant 100 % sur des offres hébergées pour répondre aux attentes des entreprises en matière de gestion des services informatiques figure tant dans le Magic Quadrant de Gartner (catégorie Visionnaires) que dans l'équivalent chez Forrester.   Pour le premier, l'irruption du modèle Saas constitue l'innovation la plus importante dans le service desk ces dernières années. Les grands éditeurs qui ont dépensé des millions de dollars pour constituer des suites complètes d'ITSM apprécieront... "Ce modèle a amené une flexibilité dans les prix qui n'existait pas ces dernières années", reprend le Gartner.

service now

Au sujet de Service-now.com, qui talonne désormais les grands éditeurs du domaine dans les classements des deux cabinets d'étude, Gartner écrit : "Les entreprises à qui nous avons parlées étaient impressionnées par la rapidité de mise en oeuvre et par les coûts très bas pour obtenir une solution de gestion des services IT complète". Nul doute que la crise actuelle ne va faire que renforcer l'intérêt des donneurs d'ordre pour ces solutions. Une tendance qu'ont compris les principaux éditeurs du secteur, qui tous ont mis en place des offres hébergées. Même si elles restent embryonnaires ou, pour certains, à l'état de projet.

Interrogé sur ce sujet, Michael Mc Closkey, Pdg de l'éditeur américain FrontRange, nous expliquait voici quelques semaines : "La gestion des services via des offres hébergées en mode Saas reste embryonnaire. Je pense que, dans deux ans, elle atteindra 4 à 5 % du marché. Mais c'est une réponse intéressante pour les clients qui se contentent d'une approche générique, notamment ceux qui évoluent en environnement distribué".

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