En France, le BPO compte sur la crise pour décoller
Timides les grands comptes français en matière de BPO ! Peu de gros contrats, des durées d'engagement assez courtes, des périmètres restreints : les donneurs d'ordre hexagonaux avancent avec circonspection sur le chemin de l'externalisation des processus métier. Les prestataires, eux, comptent en partie sur le ralentissement économique pour sortir les entreprises françaises de leurs réserves.
En dehors des activités classiques que sont la délocalisation de centres d'appels et le traitement des feuilles de paie, le BPO en France reste marginal. Un marché "embarqué" pourrait-on écrire, créé en France par le volet local de grands contrats signés par des donneurs d'ordre étrangers, souvent anglo-saxons. Même si les choses semblent évoluer, avec quelques très grands comptes hexagonaux. Des noms comme ceux de Rhodia, Michelin ou Schneider donnent une nouvelle crédibilité à ce marché. "Le BPO a longtemps été, en France et en Europe continentale, un simple sujet d'intérêt. Le changement s'est opéré il y a deux ans environ : depuis lors, nous avons de vraies conversations business avec nos clients", souligne Hubert Giraud, responsable de l’activité BPO chez Capgemini au niveau mondial, qui se positionne essentiellement sur le F&A (finance et comptabilité), les achats, les RH (hormis la paie) ainsi que sur quelques secteurs verticaux (télécoms, finance).
Face à ces grands comptes encore empruntés, de grands prestataires hexagonaux investissent sur le sujet. Capgemini donc, qui via le rachat de Kanbay (spécialisée dans les services financiers, et dotée d'une forte présence en Inde) et l'installation d'un centre à Cracovie (Pologne), s'est lancé sur cette activité, en consentant d'importants investissements. Idem pour Steria, qui via le rachat de l'Anglais Xansa (lui aussi doté d'une forte présence en Inde), est en train de développer le BPO sur tous ses marchés. A commencer par la France.
Pour Accenture, de "petits" contrats
Reste que ce retard à l'allumage se retrouve tant dans la nature que dans la taille des contrats signés par les donneurs d'ordre hexagonaux. "On observe trois niveaux dans les contrats de BPO autour de la feuille de paie, explique Fabrice Buhler, directeur du développement et du marketing de NorthgateArinso en France, prestataire comptant 4 500 personnes et spécialisé sur le sujet. Le premier d'entre eux se limite à l'hébergement et à la maintenance. Le second intègre le traitement des contrôles métier, ainsi que les relations avec des organisations tierces. Enfin, le niveau 3, le vrai BPO, consiste à laisser au prestataire le contact direct avec les salariés de l'entreprise, sans filtre. En France, très peu de sociétés ont sauté le pas, on se situe plutôt entre le niveau 1 et 2."
En savoir plus : lire la tribune de notre partenaire NelsonHall sur la segmentation du marché du BPO en France.
"La France ne fait pas partie des pionniers du BPO et a démarré la mise en œuvre de ce type de solutions après les pays anglo-saxons, les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne, abonde Christophe Peynaud, associé chez Accenture, en charge des ventes pour les télécoms, les médias et la hi-tech en France et au Bénélux. En France, les contrats font l'objet de négociations plus longues que dans les autres pays et, d'une manière générale, leur taille reste inférieure à ce qu'on peut voir dans le reste du monde." Il ajoute que les donneurs d'ordre français ont tendance à contractualiser sur 3 ou 5 ans. " Un engagement sur 7 ou 10 ans est rare. Cela aboutit à des contrats d’une valeur comprise entre 5 et 15 millions d'euros, ce qui ne les place pas parmi les plus gros contrats de BPO d'Accenture dans le monde." Le prestataire, avant tout présent sur le F&A, sur les BPO verticaux (données techniques aéronautiques, tests des téléphones mobiles, relation client des FAI, programmes de fidélité, etc.) et sur les RH, aurait toutefois signé en 2008 un contrat de 70 millions en France. Même si Accenture se refuse à citer le nom du donneur d'ordre.
Cap cherche son premier client français en F&A
Idem chez Capgemini, où Hubert Giraud affirme lui aussi avoir gagné un contrat significatif avec une grande banque française pour prendre en charge un service vertical. Ce service nécessiterait une équipe de 300 personnes réparties sur plusieurs centres à l'étranger. Reste que, pour l'instant, les quelque 200 francophones de Capgemini à Cracovie (centre spécialisé dans la finance et comptabilité, en photo ci-contre) travaillent sur des prestations pour des filiales françaises de grands comptes internationaux. Et non sur des contrats passés avec des acteurs nationaux. Même si Hubert Giraud dit être en discussions avancées avec des sociétés françaises sur le sujet, sociétés du secteur manufacturier ou de l'industrie.
Alors pourquoi une telle frilosité, face à des prestataires qui, comme au plus beau temps de l'infogérance globale, brandissent à qui mieux mieux les baisses de coût amenées par le BPO ? La première raison tient évidemment à l'impact social de cette forme d'externalisation, qui consiste à la fois à harmoniser ou changer des processus en place et à transférer du personnel. Autant dire que le projet est risqué, et que la gestion du changement apparaît complexe, avec des résistances possibles des équipes.
Face à ce défi, les grands comptes français - notamment ceux du CAC 40 - ont parfois préféré la politique des petits pas. "En France, certains grands comptes en sont passés par l'étape du centre de services interne mutualisé, confié dans un deuxième temps à un prestataire. Le BPO fait donc figure de réflexion à moyen terme", note Fabrice Buhler. C'est par exemple le chemin suivi par Rhodia. Avantage : le passage par un centre de service interne amortit les difficultés sociales, en scindant les aspects de regroupement des activités et ceux de transferts de personnel.
L'étape du centre mutualisé en interne : inutile ?
La solution reste toutefois provisoire et n'a pas - en toute logique - les faveurs des prestataires. "Ces centres ne permettent pas, en général, d'optimiser la qualité de services et les coûts, qui figurent parmi les principaux bénéfices qu'on est en mesure d'attendre d'un centre de services ", souligne Christophe Peynaud. Ces installations pourraient constituer un point d'entrée pour des prestataires indiens ou pour des Français ne possédant pas un réseau suffisamment développé de centres de services. Mais leur rachat n'entre pas dans la stratégie d'Accenture.
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Mêmes réflexions chez Hubert Giraud, de Capgemini : "Les entreprises qui choisissent l'option du centre mutualisé en interne s'aperçoivent assez vite qu'elles n'ont pas envie d'y consacrer du temps et des moyens. Les personnels de ce centre sont rapidement confrontés à l'absence de perspectives de carrière. Apparaissent donc des problèmes de compétences, de turnover et de formation du personnel, doublés d'une forme d'immobilisme des processus et technologies. Certains clients veulent également faire la transformation technologique avant l'externalisation du service à un prestataire. Moi je leur dis : confiez-nous tout ce que vous avez, nous nous chargerons de la transformation".
Un mariage où personne n'est heureux
Pourtant, cette prudence des grands comptes français leur amène un avantage difficilement contestable : un retour d'expérience sur les grands contrats BPO signés par les donneurs d'ordre anglo-saxons, volontiers aventureux en la matière. En juin dernier, Robert Brown, du cabinet Gartner, estimait, lors d'une conférence à Londres, que beaucoup de clients étaient "accablés" par le niveau de service fourni par les prestataires de BPO. Et que, qui plus est, nombre de ces derniers s'avéraient déçus par les marges dégagées par ces contrats. "Il semble qu'aucune des deux parties du mariage BPO ne soit heureuse", expliquait le cabinet.
De facto, de nombreux "mega-deal" touchant plusieurs processus signés au début des années 2000 sont des déceptions. Contrats trop complexes, nécessitant d'importantes transformations et délocalisations, avec leurs corollaires en matière de problèmes sociaux et de gestion du changement. Le tout couplé à un pricing aggressif des prestataires, qui ont utilisé ce levier comme principal argument pour convaincre les donneurs d'ordre. Autant d'ingrédients à la source d'échecs majeurs ayant entaché la réputation du BPO "massif".
BPO : le choix de périmètres restreints
"Les prestataires s'y sont parfois mal pris, reconnaît Fabrice Buhler, de NorthgateArinso. Ce qui, de facto, aboutit à ce que le donneur d'ordre ne bénéficie pas des économies promises. C'est une source de crispation. S'y ajoutent des discussions houleuses sur la qualité et la scission des tâches. Mais les prestataires ont globalement gagné en maturité depuis le début des années 2000. Dans certains contrats, les matrices de responsabilité (précisant la séparation des tâches entre donneur d'ordre et prestataire, ndlr) atteignent 2 500 lignes."
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De facto, après la vague des très grands contrats - surtout aux Etats-Unis -, "on voit plutôt des affaires plus modestes signées sur des périmètres plus restreints", explique Dominique Raviart, analyste senior au cabinet NelsonHall, un cabinet spécialiste du sujet (voir également sa vue d'ensemble du marché du BPO en France, à télécharger en PDF). "Mais on constate aussi des échecs sur des contrats plus modestes. Notamment quand le donneur d'ordre n'est pas vraiment convaincu par la solution ou quand ses processus ne sont pas harmonisés", prévient Hubert Giraud, de Capgemini.
Vivement la crise !
In fine, ces débats pourraient bien être balayés rapidement en 2009, du fait du ralentissement économique. Vue avant tout comme une solution de maîtrise des coûts, le BPO peut voir la crise comme un déclencheur en France. "Il est clair qu'une situation économique plus compliquée nous donne des arguments", relève Hubert Giraud. En juin, le cabinet spécialiste du BPO NelsonHall expliquait que la croissance intrinsèque du marché du BPO (de 30 à 50 % en France selon nos interlocuteurs) serait renforcée par le ralentissement économique. Selon les estimations du même cabinet, en mai dernier, la valeur des 20 plus gros contrats signés sur les douze derniers mois avait même augmenté de 43 % par rapport en un an (à 546 millions de dollars). Les premiers effets de la chasse aux coûts dans les entreprises ?
Avec plusieurs contrats emblématiques. Comme celui entre Infosys et Philips (F&A, 1 400 personnes transférées, 250 millions de dollars environ sur 7 ans) la plus grosse référence de l'Indien à ce jour. Ou encore la signature d'un contrat multi-processus entre Accenture et la compagnie Washington Gas (HR, F&A, gestion de la relation client, 350 millions d'euros sur 10 ans). En juin dernier, IBM a également convaincu Bristol-Myers Squibb de lui confier de nombreux volets de sa gestion des RH (contrat de 10 ans, 324 millions de dollars). Des exemples qui pourraient faire réfléchir les grands comptes hexagonaux. D'autant que, comme le note Christophe Peynaud, "il existe par ailleurs, industrie par industrie, un vrai mécanisme d'entraînement, notamment dans le cadre de contrats BPO au cœur même du métier de nos clients. Dans l'électronique par exemple, un premier contrat a permis de convaincre tout le reste de cette industrie. Plusieurs contrats similaires on pu être signés à la suite." Les prestataires n'attendent que ce basculement.
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Baisse de coûts : l'argument qui tue ? Si les grands comptes français ont su rester prudent dans leur approche du BPO, ils seraient en passe de tomber dans un piège qui avait coûté cher à certains d'entre eux lors des infogérances globales : leur sensibilité à l'argument de la baisse des coûts. "En France, l'angle d'attaque principal reste le coût. C'est un spécificité nationale, mais il ne faudrait pas non plus qu'elle occulte les autres bénéfices majeurs du BPO que sont l'amélioration de la qualité de service et la possibilité pour les entreprises de se concentrer sur leur cœur de métier", relève par exemple Christophe Peynaud, d'Accenture. Et il est vrai que les chiffres affichés par les prestataires ont de quoi retenir l'attention en période de réduction budgétaire. "On peut imaginer faire 40 % d'économies sur un traitement de la paie tournant sur de vieilles applications. Avec un bon processus de départ, le gain est plutôt de l'ordre de 15 %", selon Fabrice Buhler, de NorthgateArinso. |
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