Comment l’IT révolutionne le métier d’assureur
L’exemple d’AXA montre qu’objets connectés, Big Data, mobile, réseaux sociaux, numérisation, contrats « à l’usage » et nouveaux partenariats vont remodeler un secteur désormais profondément lié à la technologie
Les assureurs sont en train de réinventer leurs métiers. Avec, au cœur de cette transformation, l’IT. Pourquoi ? Parce que les objets connectés, les smartphones et l’analyse des énormes volumétries de données (Big Data) qu’ils génèrent permettent de passer d’une évaluation des risques a priori qui s’appuie sur des modèles généraux (par tranche d’âge, par zone géographique, par CSP, par cylindrée, etc.) à une évaluation in situ qui s’appuie sur les comportements réels – individualisés – des assurés.
Mais pour cela, encore faut-il avoir la capacité de collecter, de stocker et d’analyser ces données. Des métiers techniques qui ne sont pas ceux traditionnels des assureurs. Mais qui risquent de le devenir comme le montre le lancement par un des leaders du marché, AXA, d’un « Data Innovation Lab ».
Quand le smartphone modélise la conduite
Ce « Data Innovation Lab », basé à Suresnes, a pour but d’acquérir de nouveaux savoir-faire autour de la donnée et du Big Data. Premier chantier d’application sur lequel travaille la nouvelle structure : la conduite.
Pour capturer des informations sur les conducteurs, l’assureur avait imaginé dès 2009 embarquer un système télématique dans les véhicules. L’avènement des smartphones a, depuis, bien simplifié les choses. Et cinq ans plus tard, AXA propose une application qui modélise la conduite d’un usager : AXA Drive.
Officiellement, cette app sur iOS et Android – à installer sur son smartphone, lui-même accroché au pare-brise du conducteur – est éducative et préventive. Elle indique au conducteur s’il est – d’après les critères de l’assureur – vertueux ou dangereux sur la route. Mais elle ne remonte pas d’informations à AXA. En tout cas pas encore. Car à l’avenir, tout indique que ce type d’outils fera aussi du reporting .Les usages possibles de ces données étant à la fois multiples et critiques.
Un « tracker » (physique et logiciel) permet en effet de lutter contre la fraude aux assurances. Un smartphone et un objet connecté sont en effet l’outil idéal pour suivre un kilométrage et voir s’il correspond bien aux déclarations de l’assuré. Mais ces données ouvrent surtout la porte à un nouveau « business model ».
Première brique du « Pay as You Drive » en France
Les informations issues de ces apps (via l’accélérateur, le GPS, etc.) et/ou d’une « boite noire » installée volontairement (que les camionneurs appellent communément « un mouchard ») ou encore celles venant des capteurs natifs - qui se multiplient dans les voitures - permettent en effet le « Pay as you Drive ». En clair, une modulation des primes d’assurance en fonction du comportement réel sur la route.
La conduite d’un jeune conducteur – statistiquement plus à risque que celle d’un conducteur expérimenté – peut par exemple être évaluée plus finement grâce à la collecte des mesures produites par sa voiture. Ses capteurs peuvent dire s’il dépasse ou non les limitations (grâce au GPS qui indique le lieu, la vitesse autorisée et la vitesse réelle du véhicule), s’il respecte les distances de sécurité (grâce au radar de distance avant), s’il franchit les lignes blanches (radar latéraux) ou s’il a une conduite nerveuse ou calme (grâce aux nombre d’à-coups et de freinages brusques comptabilisés par un accéléromètre). Au final, le jeune conducteur - s’il est plus prudent et calme - pourrait payer moins que le baroudeur de la route – sûr de lui, mais dangereux car devenu trop confiant.
Côté assureur, c’est l’évaluation du rapport entre le coût potentiel d’un sinistre et la probabilité du sinistre qui est drastiquement affiné avec cette méthode. Et donc sa rentabilité qui est améliorée.
Mais cette collecte individuelle pose – pour certains – des problèmes de respect de la vie privée. AXA se montre d’ailleurs très prudent sur ce point. Un point sur lequel son « Data Innovation Lab » travaille, en collaboration avec des experts juridiques.
L’assureur promet en tout cas déjà que ce traçage sera strictement encadré, notamment par des clauses contractuelles précises, et qu’il ne pourra se faire qu’avec l’accord explicite des clients. Enfin AXA discuterait activement aujourd’hui avec la CNIL pour désamorcer ce sujet sensible.
Sensible, mais qui semble bien aller dans le sens de l’Histoire. Les applications qui filment en continue la conduite et qui conservent quelques minutes en cas de d’accident ont déjà commencé à modifier les modalités des constats. Dans les pays anglo-saxons, des assureurs proposent depuis plusieurs mois à leur client des « mouchards » en échange d’une cotisation à la « Pay as you Drive ».
En France, on estime que ces assurances « data centrées » pourraient se populariser dans les trois à quatre ans.
De (nouveaux) partenaires pour de (nouvelles) données
Quoiqu’il en soit, cette transformation profonde du métier, sous l’influence du Big Data et des nouveaux matériels, ne touche pas que les assureurs. Résultat, elle initie des rapprochements et des alliances surprenantes.
Des équipementiers, comme des concepteurs de pneus, deviennent par exemple eux-aussi, petit à petit, des fournisseurs de données. Une évolution logique à partir du moment où l’on sait que leurs modèles les plus évolués contiennent aujourd’hui des capteurs.
Initialement destinés à mieux diagnostiquer les pressions et les températures (pour optimiser la sécurité et la consommation d’essence) et à la maintenance prédictive pour les flottes de transporteurs (en anticipant un vieillissement ou un éclatement par exemple), ces « Smart Tyres » ou « pneus communicants » permettent également de manière indirecte de mieux analyser les conducteurs. D’autant plus que ces sondes intégrées se perfectionnent et enregistrent à présent la charge du véhicule, ses accélérations, son adhérence, etc.
Avec cette base d’informations issue de son cœur de métier, un des plus grands noms du pneu est en train, de manière discrète, de créer une toute nouvelle activité en devenant revendeurs de données anonymisées pour… les assurances.
Avec l’avènement des « Smart Cars », ces échanges ont de fortes chances de se généraliser dans des partenariats technologiques entre les constructeurs et les assurances.
Une assurance-santé liée à la collecte de données médicales
L’exemple de l’assurance automobile n’est pas anecdotique. Ce modèle du « Pay as you Drive » ne s’arrête en effet pas à la voiture. Bien au contraire. Les assureurs cherchent à généraliser le potentiel du Big Data. Depuis juin, AXA teste ainsi une nouvelle initiative dans la santé.
Baptisée e-Modulango, cette offre s’appuie sur un tracker. Le Pulse du Français Withings est envoyé par AXA à ses clients qui s’engagent à porter ce bracelet connecté pour mesurer leurs activités physiques en temps réel. Est enregistré un ensemble de paramètres (nombre de pas réalisés en un jour, dénivelé, distance parcourue, nombre de calories brûlées, rythme cardiaque, etc.).
Ce « Pay as you Walk » (ou Run, ou Move, etc.) a, là encore, un but préventif. « AXA France veut encourager les comportements vertueux », assurent les initiateurs du projet. Mais, il ouvre bien la porte à une modulation financière. Car contrairement à AXA Drive, le Pulse relié à un smartphone remonte à AXA les données sur le corps de l’assuré.
Le but pour AXA est d’identifier et de récompenser les personnes qui ont bien fait les exercices conseillés. « Pour inciter à l’usage du Pulse et contribuer à l’amélioration de la santé de ses clients, AXA France adressera des chèques pour bénéficier de soins de médecine douce (ostéopathie, acupuncture,…) aux clients ayant réalisé un nombre déterminé de pas sur un mois », confirme l’assureur. Un début de remise qui laisse entrevoir une facturation plus largement influencée par les « données » et les objets connectés.
L’assurance santé : un débouché majeur pour des vêtements intelligents et des objets connectés de plus en plus matures
Tout comme pour la voiture, les partenariats dans la santé vont devenir de plus en plus prégnants pour les assureurs à mesure que les « vêtements intelligents » se démocratisent et produisent des informations viables.
Or ces « wearables » sont à un tournant majeur de leur histoire. Intel a par exemple annoncé en mai qu’il travaillait désormais sur un textile connecté. Des Canadiens ont conçu cette année des tenues - Athos Base Series - qui cartographient efficacement l’activité musculaire. L’année dernière, une autre société canadienne - OMSignal – a dévoilé des t-shirts qui mesurent avec précision la respiration et le pouls.
En France, Cityzen Sciences – qui travaille avec le club de basket de l’ASVEL, le Stade Toulousain et les footballeurs de l’ASSE – prédit que « aux premiers capteurs seront rapidement ajoutés de nouveaux, capables de mesurer des températures, la déshydratation, la respiration ou le PH ».
Conséquence, en plus du sport professionnel, le consortium – qui se définit comme « le spécialiste du textile connecté » et compte parmi ses membres Telecom Bretagne, Eolane et Payen -, identifie pour demain des retombées fortes dans la santé mobile. « Ces technologies permettent d’obtenir des diagnostics plus précis et donnent ainsi la possibilité d’administrer des traitements à distance ». Ce qui, d’après lui, devrait réduire les coûts d’hospitalisation et de transport des malades à hauteur de « 99 milliards d’euros en Europe d’ici 2017 ». Au regard de ces chiffres, l’intérêt pour les assureurs est clair. Moins de frais de santé égale moins de de sommes à rembourser.
Là encore, les assureurs vont devoir acquérir des compétences nouvelles pour traiter, collecter et remonter ces données issues de vêtements et d’objets de santé connectés. Ce qui annonce des alliances nouvelles avec des acteurs IT – comme Apple, qui a sorti en juin son application Healthkit pour centraliser toutes les données médicales des utilisateurs issues de tout type de capteurs.
La relation commerciale : l’autre chantier IT majeur des assureurs
Moins spectaculaire, mais tout aussi structurant pour la transformation du métier d’assureur, l’IT change également la manière d’interagir avec les clients. AXA travaille ainsi sur des constats amiables dématérialisés et sur l’accès aux informations de l’assuré sur mobiles et tablettes. Et il a passé un partenariat avec… Facebook.
Facebook ? L’idée peut paraitre étrange. Elle vient en fait du constat – fait par l'« Axa Lab », la cellule de veille de l’assureur située à San Francisco – que la relation de proximité avec les clients passe impérativement aujourd’hui par les réseaux sociaux.
Un constat confirmé dans la pratique puisqu’aux Etats-Unis, les premiers agents d’AXA à avoir bénéficié d’une formation dans le cadre de cet accord et à être présents sur Facebook auraient des résultats largement supérieurs à ceux de leurs collègues. En contactant leurs clients lors d’évènements majeurs (mariage, naissances, anniversaires, déménagements, etc.), ces agents créeraient en effet un lien et une fidélisation plus importante.
Autre champs d’action de cette petite révolution des pratiques commerciales et marketing, les campagnes virales et l’image de marque. Dans le cadre de sa page Facebook « AXA People Protectors », l’assureur a par exemple lancé l’année dernière une opération pour lutter contre l’obésité et la malnutrition au Mexique. La campagne aurait été un franc succès. Quant à la page, elle totalise aujourd’hui plus de 1,2 million de « Like ».
Des assureurs pas tous à la même enseigne
Les objets connectés, les smartphones et les réseaux sociaux sont donc en train de remodeler en profondeur toutes les facettes d’un secteur désormais très lié à la technologie. Il n’en reste pas moins que si l’exemple d’AXA montre une certaine maturité dans la réflexion globale, les assureurs dans leur ensemble tarderaient encore à prendre le train du Big Data. Ce qui, en creux, signifie qu’il y a là un fort potentiel d’opportunités à saisir pour les professionnels de l’IT.